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Smells like Ambroise Thomas

Berlin
Philharmonie
04/15/2001 -  04/16/01
J. Adams : El Nino
Susannah Glanville (Soprano), Cornelia Kallisch (Mezzo-Soprano), Willard White (Baryton)
Theater of Voices, London Voices, Deutsches Symphonie-Orchester, Kent
Nagano (direction)

Dans un entretien au Monde publié l'année dernière, Julien Gracq déplorait que notre fin de millénaire n'ait pas vu l'émergence d'un seul peintre ou d'un seul compositeur de premier plan. Propos certes un peu grincheux et traditionalistes, auxquels on rétorquera facilement que la notion de ``grand artiste'' reste de toutes façons attachée au XIXème siècle, et donc aujourd'hui bien périmée. Propos qui peuvent cependant venir assez rapidement à l'esprit après l'audition d'un concert de John Adams. D'ailleurs, sans vouloir chercher à juger en profondeur de l'importance ``réelle'' de ce compositeur d'aujourd'hui unanimement fêté (en particulier dans ces colonnes, lire par exemple la critique de la création de El Nino à Paris), on peut se fier plus simplement à son instinct. En particulier à son instinct de conservation qui, peut-être passablement aiguisé par les ravages malheureusement plus actuels de la sale bouffe, peut très catégoriquement rejeter cette mauvaise nourriture culturelle que l'on nous sert, sous des dehors chics.

Il ne s'agit pas ici de faire le procès du minimalisme, sympathique mouvement qui lança quelques ruades bien senties dans le monde de la musique classique au cours des années 60-70, et qui aura par ailleurs produit quelques oeuvres intéressantes, en particulier dans le rock. Mais tout de même, peut-on soutenir avec sérieux qu'il s'agit du ``seul courant musical important des 30 dernières années'', comme le fait assez aimablement M. Adams dans la brochure de présentation ? La musique répétitive, dont le credo compositionnel reste quoi qu'on en dise relativement simpliste, peut certes devenir captivante lorsque le compositeur arrive à donner un ``grain'' particulier à son matériau musical, de façon que l'auditeur puisse en quelque sorte accrocher à ce dernier, et entrer dans un léger état de transe qui est selon nous une condition indispensable pour jouir de cette musique. Il faut reconnaître que cela marche parfois, dans certaines oeuvres de Steve Reich, de Martin Rev, du collectif anglais Throbbing Gristle, ou encore de Michael Nyman (quand les films de Greenaway sont là pour tromper l'ennui qui s'installe quand même assez vite). Mais nous comprenons mal l'extase suscitée, par exemple, par les mesures finales de ce Nino qui se résument à une longue succession d'accords de do, de sol et de fa. Accords joués sur une guitare classique d'ailleurs parfaitement juste, mais qui laisse paradoxalement une impression de vide sidéral encore plus grande (joués par un quelconque groupe de rock de banlieue parisienne et pimentés de quelques effets larsen, ces accords auraient peut-être au moins attiré l'attention pour leur ``saleté''). Toute cette musique s'écoule comme une lymphe parfaitement insipide, les seuls moments dramatiques ``forts'' surviennent comme appuyés par une aveugle pédale d'accélérateur, dans le forte, l'aigu ou le presto, et ne font naître aucun plaisir d'ordre spécifiquement musical. On sourit de la belle fausse modestie de M. Adams lorsque celui-ci affirme que raconter la Nativité incite à l'humilité devant tant de chefs d'oeuvres. Au risque de paraître une nouvelle fois traditionalistes, et quoi qu'en pense notre collaboratrice H.H. Elsom dans son récent éditorial, aucune comparaison ne nous semble possible entre le Messie (pour rester dans l'univers positiviste) et cet oratorio contemporain.

Une autre qualité que l'on trouve habituellement à la musique de M. Adams est celle d'être ``bien écrite pour les voix'', qualité qu'on ne saurait d'ailleurs lui contester, à condition cependant de bien s'entendre sur les sens des mots. Certes, cette musique met en valeur les voix au sens verdien du terme (et ainsi l'on aura pu juger les interprètes de ce concert à l'aune des canons du XIXème siècle : Granville splendide, White solide, Kallisch insipide), mais suffit-il à une écriture vocale de ménager le confort des chanteurs, par de longues tenues et quelques vocalises dans des tessitures flatteuses, pour être jugée intéressante ? Ambroise Thomas, dont on donne toujours les opéras pour le plaisir de quelques superstars, écrivait lui aussi bien pour les voix à ce compte-là, mais alors avec quel triste résultat ! La ligne vocale ``difficile'' (et qui n'exclut pas le plaisir) inaugurée au début du siecle dernier par l'École de Vienne et reprise par Boulez ou Barraqué, et dans un autre contexte par Berio, Messiaen, Kagel, n'est-elle pas infiniment préférable à ce retour consensuel aux anciens phrasés, surtout, comme c'est manifestement le cas pour la musique de M. Adams, lorsqu'on ne dispose d'aucun talent pour la mélodie ? Nous confessons n'avoir personnellement jamais rien entendu d'aussi laid, par exemple, que les ``ho-ho-ho'' supposément admiratifs proférés par le baryton dans la scène de l'adoration des rois mages.

Nous voudrions terminer sur une note pas trop négative en signalant que cette oeuvre s'écoute malgré tout sans déplaisir dans l'ensemble, aidée en cela par un livret bien agencé (hélas, l'art de compiler les textes n'a jamais suffit pour faire un bon compositeur !), et que ce concert aura bien dégagé l'impression générale, d'ailleurs assez suspecte, d'un véritable confort d'écoute (l'orchestre de Nagano sonnant toujours aussi luxueux et y étant pour beaucoup). Confort cependant presque uniquement mécanique, et qui n'évoque rien d'autre que le moteur d'une puissante automobile lancée sur une quelconque Highway de l'ouest américain (l'une des premières oeuvres d'Adams s'intitule d'ailleurs ``Riding a fast machine''). Si, pour paraphraser Pascal, la musique est vaine qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on admire point les originaux, nous avouons nettement préférer à l'écoute des oeuvres de M. Adams le simple plaisir de la conduite.



Thomas Simon

 

 

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