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Luxe berlino-new-yorkais à Baden-Baden

Baden-Baden
Festspielhaus
04/12/2014 -  et 16, 21 avril 2014
Giacomo Puccini : Manon Lescaut
Eva-Maria Westbroek (Manon Lescaut), Massimo Giordano (Des Grieux), Lester Lynch (Lescaut), Bogdan Mihai (Edmondo), Liang Li (Géronte), Reinhard Dorn (L’aubergiste, Le capitaine), Magdalena Kozená (Un musicien), Kresimir Spicer (Un maître de ballet), Arthur Espiritu (Un allumeur de réverbères)
Philharmonia Chor Wien, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)
Sir Richard Eyre (mise en scène), Robert Howell (décors), Fotini Dimou (costumes), Peter Mumford (lumières)


E.-M. Westbroek, M. Giordano (© Monika Rittershaus)


On commence rarement le compte rendu d’une soirée d’opéra en parlant de l’orchestre. Mais parfois des priorités s’imposent. Cette seconde édition du Festival de Pâques à Baden-Baden marque de façon plus usuelle et confortable l’installation de l’Orchestre philharmonique de Berlin au Festspielhaus, et dès les premières mesures de cette Manon Lescaut de Puccini on pressent que le personnage principal de la soirée, c’est bien dans la fosse que l’on va le trouver. L’acoustique, cela dit, est différente de celle du Grosses Festspielhaus de Salzbourg, où la perception de cette phalange d’élite s’étalait davantage en largeur, avec une précision un peu clinique qui confinait à la froideur. Dans la fosse de Baden-Baden tout ce qu’on entend de la phalange berlinoise paraît plus dense, plus rond, concentré en une architecture sonore qui met magnifiquement en valeur la petite harmonie, dont les timbres paraissent comme posés sur un tapis moelleux. Chaque solo ressort avec une précision quasi holographique et les mariages des timbres avec les voix sont souvent d’une ensorcelante beauté, tels ces fantastiques entrelacs de flûte (Andreas Blau) et de hautbois (Jonathan Kelly) qui viennent se mêler à la voix d’Eva-Maria Westbroek dans l’air Sola, perduta, abbandonata. Il y a là une colossale valeur ajoutée instrumentale, dont peu de représentations d’opéra peuvent aujourd’hui se targuer dans une maison ordinaire.


Pour autant les Berliner Philharmoniker ne sont pas un orchestre rompu à la discipline lyrique et cela s’entend aussi. Tout particulièrement peut-être dans Puccini, où les formations plus coutumières de l’accompagnement de grands airs possèdent une élasticité voire une immédiateté de réaction plus confortables pour les chanteurs, voire plus excitantes pour l’amateur de performances vocales. Ici à plusieurs reprises on ressent un découplage, les voix n’étant pas suffisamment serties dans l’appareil orchestral voire paraissant un peu livrées à elle-mêmes, les timbres occasionnellement appauvris paraissant presque grêles par rapport à la somptuosité d'un accompagnement qui, lui, continue imperturbablement son chemin. Simon Rattle, c’est peu croyable mais vrai, dirige ce soir son tout premier opéra de Puccini, avec un respect qui confine à la timidité. On perçoit là un louable souci de lisibilité, une envie très compétente de faire tout entendre d’une orchestration subtile, mais parfois on attendrait davantage de subjectivité voire un rien de trivialité efficaces auxquels le maestro britannique semble se refuser absolument. Rattle perçoit en Puccini un digne continuateur de Verdi mais surtout un cousin germain de Janácek, pour ce qui est de la modernité humaniste. Son approche des maîtres de Brno et de Torre del Lago n’est pas foncièrement différente. Pourquoi pas ? Même si l’on ressent ce Puccini-là comme ayant encore besoin d’un petit rodage... En l’état il est déjà d’une somptuosité limpide à laisser tout ébaubi d’admiration.


Pour l’occasion le Festspielhaus de Baden-Baden a choisi scéniquement de mettre les petits plats dans les grands, en coproduisant avec le Metropolitan Opera de New York, dont le manager Peter Gelb s’est d’ailleurs déplacé pour assister à cette première. Les décors de Robert Howell sont d’une monumentalité qui ne déplaira certainement pas au public américain, d’autant plus que leur modification spectaculaire à chaque acte renouvelle à chaque fois l’intérêt visuel. Le travail sur les architectures, les effets de perspective en contreplongée, voire le choix des matériaux relève rien moins que du grand art, avec un savant mélange de somptuosité et de décrépitude, le second état prenant progressivement le pas sur le premier au fil des actes. On apprécie aussi la minutie de confection des costumes, le travail sur les harmonies de couleurs, mais sans que l’on assiste pour autant à une démonstration d’esthétisme gratuit. On pourra toujours arguer que tout cela est bien trop chic et étudié pour un opéra naturaliste (en l’état le terme de «vérisme» ne nous paraît de toute façon pas du tout adapté à cet ouvrage-là), mais ce luxe reste toujours bon à prendre, a fortiori en période de disette. Un petit clin d’œil à l’acte II : la grande colonne spiralée dressée à côté du lit de Manon. De loin on dirait une antiquité romaine géante transportée là à grands frais. A la jumelle on découvre en revanche que ces reliefs de pierre émoussés par le temps sont en fait une succession de scènes érotiques très épicées...


D’autres originalités sautent davantage aux yeux, puisque le metteur en scène Richard Eyre a choisi de décaler l’action pendant la période d’occupation allemande des années 1940-44. Du coup on se trouve d’emblée plongé dans une ambiance qui est bien davantage celle de Boulevard Solitude de Henze, transposition moderne de l’histoire de Manon, que celle de l’ouvrage de Puccini. A Amiens les farces estudiantines se dérouleront donc sous l’œil moyennement bienveillant de soldats de la Wehrmacht armés, et à Paris le trouble Géronte paraît un parfait exemple de collaborateur nanti et opportuniste. On y gagne une ambiance généralement luxueuse et glauque (l’acte II est à cet égard tout particulièrement réussi), en revanche la vraisemblance des situations peut parfois s’avérer discutable. On imagine mal pendant la période grise de l’occupation une aussi joyeuse ambiance de carte postale que celle l’acte I, Café Momus avant la lettre. De même qu’à l’acte III la déportation des prostituées vers... l’Amérique (!) devient incongrue. De gros aléas qui auraient peut-être dû davantage gêner au moment de l’élaboration du projet, mais dont on parvient globalement à s’accommoder. En l’occurrence on ne peut que souligner à quel point cette production culmine à l’acte II, très chargé en érotisme malsain, véritable radiographie des cynismes d’une classe sociale dominante prédatrice, mais tout cela sous le vernis glacé d’une constante somptuosité visuelle (une très belle leçon de tact : les Calixto Bieito, Martin Kusej et autres adeptes de la vulgarité provocatrice pourraient en prendre de la graine...). Ensuite la soirée redevient plus banale, mais sans chute de niveau rédhibitoire.


A ce moment ce sont de toutes façons les chanteurs qui reprendront la main, et particulièrement Eva-Maria Westbroek, dont l’état de santé vocal suscite cependant quelques inquiétudes au I, avec un timbre un peu voilé, mais qui récupère ensuite une force de projection et une intensité émotionnelle sidérantes. Performance nullement méticuleuse au demeurant, qui privilégie l’instantanéité de l’effet psychologique à la beauté de la ligne puccinienne, mais à un degré d’efficacité peu discutable. Scéniquement l’actrice est crédible dans son engagement physique (on sent là l’influence de quelques metteurs en scène particulièrement intransigeants avec lesquels Westbroek a travaillé), Manon devenant ici proche d’une Lulu ou d’une Lady Macbeth de Mzensk dans l’intensité de la féminité déchue, au détriment sans doute d’une certaine juvénilité du personnage. Le Des Grieux de Massimo Giordano a lui aussi beaucoup d’atouts physiques à faire valoir, dont une prestance de jeune premier bien à sa place dans cet emploi d’étudiant désargenté. Mais la musicalité de l’interprétation et le charme relativement sommaire du timbre laissent à désirer, même si globalement les exigences du rôle sont correctement assumées. Autour de ce couple efficace, et surtout d’une présence visuelle quasi-cinématographique, le reste de la distribution ne comporte aucun point faible, avec le délicieux Bogdan Mihai en Edmondo, voix de ténor toujours un peu ténue mais souple et juste, le Géronte impeccablement sonore de Liang Li, et le très solide Lescaut de Lester Lynch, jeune baryton noir américain d’une généreuse ampleur. Magadalena Kozená, en musicien qui vient brièvement pousser le Madrigal, apporte une petite note luxueuse supplémentaire à l’acte II.


Avec un spectacle aussi soigné, le Festival de Pâques de Baden-Baden prend clairement maintenant la relève de celui de Salzbourg antérieurement, et dans une ambiance conviviale que les musiciens berlinois paraissent tout particulièrement apprécier. Quant au cru lyrique pascal 2015, il s’annonce d’ores et déjà prometteur : Simon Rattle y dirigera un Rosenkavalier mis en scène par Brigitte Fassbaender dans des décors d’Erich Wonder, avec Anja Harteros, Magdalena Kozena, Anna Prohaska et Peter Rose... Quatre représentations sont annoncées, entre le 27 mars et le 6 avril : une étape indispensable !



Laurent Barthel

 

 

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