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La part du lion

Lyon
Opéra
04/10/2014 -  et 13, 15, 19, 22, 24, 26 avril 2014
Benjamin Britten : Peter Grimes, opus 33
Alan Oke (Peter Grimes), Michaela Kaune (Ellen Orford), Andrew Foster-Williams (Balstrode), Kathleen Wilkinson (Tantine), Colin Judson (Boles), Karoly Szemeredy (Swallow), Jeff Martin (Révérend Adams), James Martin (Carter Hobson), Rosalind Plowright (Mrs. Sedley), Benedict Nelson (Keene)
Chœurs et Maîtrise de l’Opéra national de Lyon, Alan Woodbridge (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Kazushi Ono (direction musicale)
Yoshi Oida (mise en scène), Tom Schenk (décors), Richard Hudson (costumes), Lutz Deppe (lumières)


(© Jean-Pierre Maurin)


C’est Lyon qui aura rendu à Benjamin Britten, pour le centenaire de sa naissance, le grand et seul hommage français. Paris n’aura pas participé à la célébration. Pourtant l’Opéra national possède avec Peter Grimes et surtout Billy Budd deux productions superlatives de ses opéras. Le Châtelet a manqué l’occasion de présenter son «opérette» américaine Paul Bunyan, rarissime en Europe. Quant au festival d’Aix-en-Provence, il aurait pu reprendre la passionnante mise en scène du Tour d’écrou de Luc Bondy et Richard Peduzzi. Mais il est vrai que Britten est considéré comme box office poison (pas à Lyon où les salles étaient pleines) et même la Grande-Bretagne, dans son tiède hommage à son compositeur à la gloire la plus universelle depuis Purcell, n’a rien réuni à un tel niveau. Lyon, avec trois opéras donnés en alternance se taille la part du lion! Deux nouvelles productions de Peter Grimes et du Tour d’écrou et la reprise de La Rivière au courlis mis en scène en 2008 par Olivier Py, soit trois œuvres composées sur une période de vingt ans qui sont des jalons importants dans la production lyrique de Britten. Vues en ordre chronologique, elles ont certainement un grand rôle didactique sur l’évolution du style et de l’écriture du compositeur.


Ce festival Britten qui se déroule sur trois semaines a ouvert en force avec la première grande œuvre lyrique du compositeur, Peter Grimes (1945), d’après un poème de George Crabbe dont la lecture avait nourri le mal du pays de Britten et Peter Pears lors de leur exil américain au début de la guerre. Peter Grimes est autant une fable sociale, reflet d’une certaine société méthodiste prévictorienne du Sud de l’Angleterre, que politique, véritable geste protestataire en faveur de la marginalité de son personnage, un pêcheur aux mœurs sinon troubles au moins en désaccord avec la bien-pensance et la justice de ladite société. Britten n’a jamais été satisfait de la dramaturgie et de sa collaboration avec le librettiste Montagu Slater et, pendant toute sa carrière, à cherché à corriger les erreurs de la gestation de Grimes. Les metteurs en scène des dernières décennies n’ont eu cesse de lui prouver le contraire et quelques productions mémorables (David Alden à l’ENO, Alfred Kirchner à Toulouse, Graham Vick à Paris, Peter Stein au WNO, Willy Decker à la Monnaie...) ont donné tout son sens et son relief à son message de tolérance et de condamnation de la société bigote. Yoshi Oida a réussi à Lyon une magistrale représentation de Peter Grimes en soulignant l’importance du poids de la voix du «village» et la décadence des personnes qui le composent et d’isoler les personnages principaux, Grimes, Ellen, l’apprenti dans les scènes signifiantes de l’opéra. Le dispositif scénique très habile de Tom Schenk montre sur le plateau vide une épave de barque, symbole de la solitude de Grimes, qui monte dans les cintres quand il faut laisser place au village, son pub stylisé par des containers portuaires, la cabane de Peter réduite aux quelques accessoires utile à la compréhension de la scène de la mort du second apprenti. Aucun élément n’évoque formellement la typicité de la côte anglaise mais les éclairages virtuoses de Lutz Deppe et les couleurs du décor évoquent sans ambiguïté un univers marin. La direction d’acteurs extrêmement précise, quasi cinématographique, de Yoshi Oida montre en un crescendo terrifiant la cruauté et l’hypocrisie de cette société renfermée sur elle-même, la montée de la folie de Peter et l’impossibilité finale de son insertion sociale.


Autre point fort du spectacle, la direction de Kazushi Ono à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Lyon plus somptueux que jamais, qui donne toute leur ampleur symphonique aux superbes Interludes instaurant la mer comme le second grand personnage de l’œuvre et soutient le discours lyrique en privilégiant la rythmique très complexe du tissu orchestral. Jamais Britten n’a sonné aussi proche de Berg. L’excellente distribution est dominée par Michaela Kaune, qui confère au personnage d’Ellen une bouleversante humanité. Alan Oke, souvent trop juste d’aigus, montre d’évidentes limites dans le rôle-titre, mais cette relative fragilité vocale convient bien à son incarnation du personnage, un Grimes moins brute que le montrait avec sa grande particularité vocale Jon Vickers dans son interprétation historique (quoiqu’à l’opposé de la conception du compositeur), plus dans l’ambiguïté et la folie conformément à ce que raconte le livret. Tous les rôles des villageois sont parfaitement campés, autant Kathleen Wilkinson et Rosalind Plowright toutes deux parfaites sans friser la caricature dans les rôles extrêmes de Tantine et Mrs. Sedley, que les deux «nièces» de Caroline MacPhie et Laure Barras (artistes du studio de l’Opéra de Lyon) et que le Balsrode d’Andrew Foster-Williams. Et le formidable Chœur de l’Opéra de Lyon, qui commence son intervention installé au balcon, a dominé cette représentation avec une précision, une force et des couleurs vocales proprement inouïes.



Olivier Brunel

 

 

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