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Louis Vierne en majesté

Paris
Amphithéâtre Bastille
03/26/2014 -  
Louis Vierne : Spleens et Détresses, opus 38 – Préludes pour piano, opus 36 – Quintette pour piano et quatuor à cordes, opus 42
Anaïk Morel (mezzo-soprano), Muza Rubackyté (piano), Quatuor Danel: Marc Danel, Gilles Millet, Vlad Bogdanas, Yovan Markovitch


M. Rubackyté


Une soirée Louis Vierne remplit l’Amphi Bastille ? Tout n’est donc pas perdu et l’on ne désespérera pas du public français. Mais plutôt de la frilosité des programmateurs, qui devraient prendre exemple sur les Convergences, où l’on (re)découvre tant de belles choses.


Vierne est un des plus originaux et des plus méconnus élèves de Franck. L’organiste avait atteint les sommets : il était titulaire des orgues de Notre-Dame, où il mourut à la tâche en 1937, à 66 ans. On oublie d’ailleurs aujourd’hui qu’il ne se limita pas à l’orgue, malgré quelques disques passionnants – d’où l’intérêt de la soirée de l’Amphithéâtre. L’homme, lui, fut marqué par le malheur : la quasi-cécité, la perte, à la guerre, de deux fils et de son frère... Le programme de la soirée réunissait ainsi des pièces liées à des circonstances douloureuses de sa vie, méritant bien son titre de « Spleens et Détresses ».


Tel est le titre d’un cycle de mélodies de 1917, sur dix poèmes de Paul Verlaine, où Vierne se garde bien d’imiter son ami Fauré. Partition très sombre, parfois d’une ironie grinçante, où il met parfois la voix à rude épreuve. Si elle ne maîtrise pas toujours son vibrato, Anaïk Morel assume les tensions de la partie vocale, sait l’art de la déclamation, celui de la coloration aussi, jouant des reflets d’une voix dont les aspérités servent bien l’esprit de l’œuvre. Elle a aussi assez de puissance – il faut ici une chanteuse d’opéra – pour les élans dramatiques de « Sapho » ou de « Marine ». La partie de piano est redoutable, Muza Rubackyté en vient à bout avec une grande maîtrise, éclaire une polyphonie complexe, mais le jeu semble parfois trop sec, alors que le clavier peut, ailleurs, déployer un bel éventail de couleurs – comme dans « Promenade sentimentale ».


On la préfère dans les Douze préludes opus 36 de 1915, dont l’écriture, pour ne pas répudier la virtuosité, est beaucoup plus traditionnelle. Le jeu se détend, le piano respire beaucoup plus, crée les ambiances propres à chaque pièce, dont le titre, sans se référer à un programme à proprement parler, est très suggestif, marqué par le regret et la mélancolie, sans doute lié à deux pertes : celle de son fils cadet, emporté par la tuberculose en 1913, celle de sa mère, disparue en 1915. La pianiste lituanienne, qui joue par cœur, se montre à la fois généreuse et sobre, notamment dans « Pressentiment » ou « Evocation d’un jour d’angoisse », sans éluder la puissance dévastatrice – même convenue – de « Suprême appel », ni la lumière recueillie de « Sur une tombe ».


La soirée s’achève par un incontestable chef-d’œuvre, le Quintette avec piano opus 42 de 1918, « un ex-voto [...] quelque chose de puissant, de grandiose et de fort, qui remuera au cœur des pères les fibres les plus profondes de l’amour d’un fils mort [...] un rugissement de tonnerre et non [...] un bêlement plaintif ». L’hommage au fils mort à la guerre en 1917 se rapproche de Franck, avec ses trois mouvements puissamment structurés. Hôte régulier de l’Amphi Bastille, le toujours excellent Quatuor Danel fait d’abord du Poco lento, moderato, très intériorisé, un condensé de douleur. Le Larghetto sostenuto, plein de questions et de doutes, épanche ensuite son lyrisme inquiet sur le mode de la confidence, avant que l’Allegro molto risoluto verse dans le cauchemar d’une chevauchée nocturne. Muza Rubackyté, excellente, est à l’unisson, cheville ouvrière d’une soirée qui, pour elle, constituait un vrai tour de force.



Didier van Moere

 

 

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