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Le retour de Pelléas dans son théâtre

Paris
Opéra Comique
02/17/2014 -  et 19, 21, 23, 25* février 2014
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
Philipp Addis (Pelléas), Karen Vourc’h (Mélisande), Laurent Alvaro (Golaud), Jérôme Varnier (Arkel), Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève), Dima Bawab (Yiniold), Luc Bertin-Hugault (Un médecin, Le berger)
Chœur de chambre accentus, Orchestre des Champs-Elysées, Louis Langrée (direction musicale)
Stéphane Braunschweig (mise en scène et scénographie)


P. Addis, K. Vourc’h (© Elisabeth Carecchio)


Présenté en 2010, le Pelléas et Mélisande mis en scène par Stéphane Braunschweig revient à Favart, où sa création en 1902 provoqua le scandale que l’on sait. Un retour pleinement justifié : le directeur de la Colline, pas toujours très inspiré par l’opéra, signe là une production de référence, par la subtilité de sa lecture et le raffinement de sa direction d’acteurs. Un huis clos, où les murs du château sont des persiennes, avec un phare omniprésent, symbole de surveillance ou de lointain fantasmé, rappelant l’importance de la mer – on pense d’autant plus à la tour du Tristan de Wieland Wagner qu’il repose sur une plate-forme circulaire inclinée. Le metteur en scène respecte le texte à la lettre – la longue chevelure de Mélisande, les trois pauvres, les servantes au chevet de la mourante, par exemple – tout en ouvrant des perspectives : voici une Mélisande sensuelle, pas plus mystérieuse que Pelléas, s’offrant à lui à sa fenêtre, un Golaud quasi voyeur à la fin du quatrième acte, où il force presque les deux jeunes gens à s’embrasser... Mélisande meurt très symboliquement dans le lit où Golaud était couché après son accident. Le couple ressemble parfois à des adolescents à la Rohmer, se livrant au bord de la mer à d’ambigus marivaudages. La direction d’acteurs joue beaucoup sur les corps, en rupture, pour Pelléas et Mélisande, auxquels elle impose un jeu d’une souplesse quasi chorégraphique, avec une tradition d’évanescence longtemps perpétuée : elle va, pour la folie jalouse de Golaud, jusqu’à une rage autodestructrice à la limite du soutenable. Mais rien ne pèse, Stéphane Braunschweig épure, se concentre sur l’essentiel : on reste fidèle à l’esprit symboliste, notamment grâce aux magnifiques lumières de Marion Hewlett, qui instillent des couleurs subtilement signifiantes dans le noir et blanc du huis clos.


A John Eliot Gardiner succède Louis Langrée, décidément l’un de nos meilleurs chefs, que l’étranger continue de s’arracher, depuis longtemps familier de la partition – on n’a pas oublié son Pelléas genevois de 2000, anthologique, ni celui de 2011 aux Champs-Elysées. Il installe d’emblée une atmosphère sourdement oppressante, tend implacablement l’arc du drame, jusqu’à une violence qui peut le conduire à compromettre l’équilibre avec la scène, équilibre toujours menacé, de toute façon, par la nature même des lieux. On entend rarement ainsi l’orchestre de Pelléas, dont cette direction toute en souplesse met à nu les lignes et les plans sonores. Mais s’il est d’abord chef de théâtre, Louis Langrée ne se révèle pas moins peintre que narrateur, en particulier dans les marines des trois premiers actes, montrant à quel point y perce le futur compositeur de La Mer : il a l’art de faire entendre le murmure ou le grondement des vagues. On regrette seulement que les couleurs de l’Orchestre des Champs-Elysées soient un peu trop crues, manquent un peu de sensualité, asséchées là aussi, il est vrai, par l’acoustique de la salle. Au fait, la nouvelle direction de l’Opéra a-t-elle prévu de l’inviter ?


Les chanteurs sont parfois ceux de 2010, comme Philipp Addis, Karen Vourc’h et Dima Bawab, Yniold qui sait faire l’enfant sans devenir ridicule. Le baryton canadien endosse de nouveau avec bonheur la fraîcheur juvénile de Pelléas, n’ayant rien à envier à ses partenaires français pour la clarté de l’articulation et le sens de la déclamation, à peine handicapé par une émission assez serrée, gêné cependant, comme la plupart des barytons, par les tensions du haut médium et de l’aigu dans la grande scène d’amour du quatrième acte. Karen Vourc’h est Mélisande, tout simplement, à la fois frêle et forte, lumineuse et énigmatique, qui préserve le mystère des mots de Maeterlinck, jouant du frêle cristal d’une voix parfois absorbée par l’orchestre. Golaud sort souvent du mélodrame : ce n’est pas le cas de Laurent Alvaro, pas la voix de baryton la plus homogène, mais qui sait justement en exploiter les aspérités ou les profondeurs pour les mettre au service du mal être du personnage – de même qu’il exploite savamment toutes les ressources de l’émission, jusqu’à la voix mixte. Et l’on entend, une fois n’est pas coutume, une Geneviève et un Arkel en voix : Sylvie Brunet lit superbement la lettre de Golaud, Jérôme Varnier a la noblesse du vieux roi. Excellent Médecin, de son côté, de Luc Bertin-Hugault.


Si l’on a émis quelques réserves, ce Pelléas reste un des spectacles les plus forts de la saison. On n’est pas près d’oublier la fin du dernier acte : Mélisande tend les bras vers le ciel, telle une sainte, Arkel prend dans les siens la petite orpheline sortie de sa couveuse, alors qu’émergent de la fosse des sonorités aussi ténues que le dernier souffle de la mourante.



Didier van Moere

 

 

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