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Une tragédie au cirque

Strasbourg
Opéra national du Rhin
12/08/2013 -  et 14, 16, 19*, 23 décembre 2013 (Strasbourg), 8, 10 janvier 2014 (Mulhouse)
Giuseppe Verdi: Rigoletto
Dmytro Popov (Le Duc de Mantoue), George Petean (Rigoletto), Nathalie Manfrino (Gilda), Konstantin Gorny (Sparafucile), Sara Fulgoni (Maddalena), Scott Wilde (Comte Monterone), Manuel Betancourt (Marullo), Mark Van Arsdale (Borsa), Ugo Rabec (Comte Ceprano), Anna Maistriau (Comtesse Ceprano, Page)
Chœurs de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Paolo Carignani (direction)
Robert Carsen (mise en scène, réalisée par Christophe Gayral), Radu Boruzescu (décors), Miruna Boruzescu (costumes), Robert Carsen, Peter Van Praet (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)


G. Petean (© A. Kaiser)


Inutile de revenir en détail sur ce Rigoletto mis en scène par Robert Carsen, longuement commenté l’été dernier, au Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence où il a été pris sous les feux croisés du public et de la critique. Une reprise de cette production à l’Opéra du Rhin se justifiait pleinement, ne serait-ce qu’en raison des liens privilégiés de la maison avec le metteur en scène canadien depuis l’entrée en fonction de Marc Clémeur, mais aussi parce qu’il s’agit d’un travail de grande qualité. Très occupé en cette fin d’année 2013, Robert Carsen n’a pu ni revoir ni adapter son travail initial, confié aux soins d’un assistant, et son intervention sur place s’est limitée à peu de chose, ce qui est sans doute dommage. Cela dit ce spectacle reste riche en images fortes et se révèle à l’usage d’une continuité dramatique remarquablement fluide.


Quant à la transposition de l’ouvrage sous un chapiteau de cirque, ce type de décor en gradins semi circulaires, métaphorique d’un théâtre antique déguisé (en version guirlandes, pompons rouges et flonflons), Carsen l’avait exploité presque à l’identique dans sa mise en scène de Richard III de Giorgio Battistelli, vue ici-même. Mais l’effet de distanciation entre le côté dérisoire et ludique d’un cirque et l’action particulièrement sanglante de la pièce de Shakespeare fonctionnait avec davantage de force que pour l’anecdote hugolienne, aux affects davantage embourgeoisés. Les ressort dramatiques du Roi s’amuse et du Rigoletto qui en découle restent empreints d’une logique rationnelle : une combinaison d’engrenages qui mène immanquablement au meurtre et dont ici certains rouages patinent un peu. En particulier la notion de despotisme arbitraire (c’est quand même aussi de cela qu’il s’agit, le sort tragique du trublion Monterone devrait normalement en attester) ne peut apparaître que de façon assez floue. Mais en définitive ces problèmes de vraisemblance gênent peu et on se laisse facilement prendre par ce spectacle continuellement animé, qui sait créer des personnages forts et ne renonce jamais à un esthétisme de tous les instants. Quant à l’artifice technique qui consiste à gommer les temps morts de l’ouvrage par de multiples numéros de cirque intégrés à l’action (acrobaties en tous genres, voire une exhibition de félines dénudées qui a fait couler pas mal d’encre), il est manié à la perfection.


Musicalement, cette reprise a bénéficié également d’un travail d’une grande homogénéité, dans une distribution totalement renouvelée. C’est avant tout cette cohésion que l’on a envie de souligner, et on la doit pour beaucoup au chef Paolo Carignani, qui comme d’habitude a l’œil et l’oreille à tout, autant sur le plateau que dans la fosse. On a entendu des Rigoletto plus flamboyants et tendus (surtout au disque, avouons-le), mais ce travail pragmatique qui sait à merveille tenir compte des contraintes d’une scène et d’une fosse acoustiquement difficiles, mérite d’être salué.


Sur scène, le masque de clown hilare que doit porter le Rigoletto de George Petean dans beaucoup de scènes décisives nuit nettement à l’intensité de sa composition dramatique, mais la voix répond bien, particulière, un peu feutrée aux entournures mais bien projetée, et les phrasés sont très émouvants quand il le faut. C’est la même sensibilité affleurante que l’on apprécie chez Nathalie Manfrino, Gilda intéressante même si techniquement la voix accuse beaucoup de défauts. Un timbre d’une largeur étonnante pour ce type de voix à l’aigu sinon facile du moins encore assez maîtrisé, une vraie ligne de chant malgré quelques accidents (peut-être douloureux certains soirs, ici relativement véniels), et puis surtout une crédibilité et un investissement scéniques appréciables. De bons atouts pour le rôle en tout cas. Très bonne surprise avec le Duc de Mantoue de Dmytro Popov, vraie voix de ténor charpentée dotée d’une bonne intendance de souffle et pourtant chanteur élégant, voire physiquement capable d’assumer sans ridicule l’acte II, dans cette mise en scène qui le déshabille beaucoup. Parfaits Maddalena et Sparafucile aussi (saluons au passage l’impeccable Konstantin Gorny, pilier de la troupe voisine de Karlsruhe et qui vient promener ici sa superbe voix de basse, d’une assurance toujours insolente). Et très bonne prestation du chœur masculin de l’Opéra du Rhin, fort bien servi en ce début de saison (De la maison des morts, Cenerentola, Rigoletto : à chaque fois beaucoup des scènes très animées à incarner...). En revanche les dames du chœur, en quasi-chômage technique depuis le mois de septembre, doivent commencer à faire grise mine.



Laurent Barthel

 

 

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