About us / Contact

The Classical Music Network

Bordeaux

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Noir, c’est noir

Bordeaux
Grand-Théâtre
11/21/2013 -  et 24, 27, 30 novembre, 2 décembre 2013
Giuseppe Verdi : Otello

Carlo Ventre (Otello), Leah Crocetto (Desdemona), Laurent Naouri (Iago), Benjamin Bernheim (Cassio), Svetlana Lifar (Emilia), Xin Wang (Roderigo), Mischa Schelomianski (Lodovico), David Ortega (Montano), Davide Ronzoni (Le Hérault)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Alexander Martin (direction), Jeune Académie vocale Aquitaine, Marie Chavanel (direction), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Julia Jones (direction)
Gabriele Rech (mise en scène), Dieter Richter (décors), Gabriele Heimann (costumes), Thomas Schlegel (lumières)


C. Ventre (© Guillaume Bonnaud)


Cet Otello bordelais vaut d’abord le détour pour sa distribution formidablement homogène et soigneusement composée par Thierry Fouquet et Isabelle Masset, respectivement directeur général et directrice ajointe artistique du Grand-Théâtre, à commencer par le ténor uruguayen Carlo Ventre, qui campe un irrésistible Otello: voix claironnante et percutante, d’un somptueux métal, capable de passer l’orchestre avec une incroyable arrogance, comme dans le fameux «Esultate». Scéniquement, le chanteur confère à son personnage une superbe présence, celle d’un écorché vif, dont il parvient à exprimer la grande souffrance, notamment dans un bouleversant «Dio! Mi potevi scagliar», détaillé piano, à la fin du III.


Après avoir chanté in loco le rôle de Leonora du Trouvère en avril 2011, la soprano américaine Leah Crocetto s’attaque cette fois à celui de Desdémone, avec son timbre dense et riche, sensuel et lumineux, qui convient parfaitement à l’épouse du Maure, et qui fait merveille dans le premier duo «Già nella notte densa», avec ses innombrables nuances. On mettra également à son crédit des phrasés magnifiquement différenciés, des piani de toute beauté, un «air du saule», puis un «Ave Maria» bouleversants, délivrés à la manière d’un lied.


Iago très intériorisé, d’une noirceur qui sourd de chacun de ses gestes, mais en restant toujours contenue, Laurent Naouri, pour qui c’est une prise de rôle, incarne de saisissante façon cette figure shakespearienne qui est l’incarnation même du Mal. Très homogène et remarquablement puissante – parfois même trop, comme dans le fameux «Credo» – la voix du baryton-basse français impressionne par sa noirceur et son mordant. On admire également chez l’artiste sa maîtrise du mot, qui flatte l’oreille dans son récit du rêve de Cassio. Ce dernier rôle est tenu par jeune ténor français Benjamin Bernheim, à la belle prestance et aux généreux moyens, qui se pose ainsi musicalement en vrai rival d’Otello. Quant aux basses de Mischa Schelomianski et David Ortega, elles permettent aux personnages de Lodovico et de Montano de se profiler comme des ressorts de l’intrigue. La mezzo russo-française Svetlana Lifar, enfin, mérite également d’être saluée, pour son Emilia sonore et vibrante.


Etrennée au Théâtre de Nuremberg le mois dernier, cette nouvelle production d’Otello, signée par Gabrielle Rech, est placée sous le signe de la noirceur, celle de l’âme de Iago, qui contamine bientôt celle du héros, prenant un ascendant extrêmement fort sur tout le spectacle. Son «Credo», chanté devant le rideau baissé tandis qu’il scrute le public, nous a glacé le sang. Sous sa machiavélique influence, tout s’assombrit, tout se noircit d’acte en acte, à commencer par les vêtements d’Otello – d’un blanc éclatant au I et d’un noir profond au IV – ainsi que son visage, qu’il barbouille d’une épaisse couche de cire couleur ébène, au III, juste avant de jeter Desdémone à terre, en lui écrasant la tête au sol, image d’une insoutenable violence. La violence (souvent crue) imprègne d’ailleurs toute la mise en scène, jusqu’à l’ultime image du dernier acte où, plutôt que de se poignarder, Otello s’égorge, dans un geste aussi désespéré que sauvage.


Très à l’aise dans le répertoire verdien, la chef britannique Julia Jones, qui reviendra à Bordeaux en février prochain diriger Le Château de Barbe-Bleue de Bartók, apporte à sa lecture cette intensité dramatique sans laquelle Otello sombre dans l’apathie; d’une rare précision technique, elle dirige avec brio un Orchestre national Bordeaux Aquitaine que l’on sent complice, l’exécution culminant dans les passages épiques – l’Introduction ou le «Si pel Ciel» – qui frôlent néanmoins la saturation dans la bonbonnière qu’est le Grand-Théâtre. Quant au chœur maison, toujours remarquablement préparé par Alexander Martin, il se révèle puissant, précis, vigoureusement coloré dans le «Fuoco di gioia», et d’une cohésion jamais prise en défaut.


Une superbe soirée.



Emmanuel Andrieu

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com