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Purcell revisited

Madrid
Teatro Real
11/05/2013 -  et 7, 9, 10*, 13, 15, 17, 19 novembre 2013
Henry Purcell: The Indian Queen
Vince Yi (Hunahpú), Julia Bullock (Techulihuatzin [Dona Luisa]), Nadine Koutcher (Dona Isabel), Markus Brutscher (Don Pedrarias Dávila), Noah Stewart (Don Pedro de Alvarado), Christophe Dumaux (Xbalanque), Luthando Qave (Prêtre maya), Maritxell Carrero (Leonor)
MusicAeterna: Chœur de l’Opéra de Perm, Vitaly Polonsky (chef chœur), Orchestre de l’Opéra de Perm, Teodor Currentzis (direction musicale)
Peter Sellars (mise en scène), Gronk (décors), Dunya Ramivoca (costumes), James F. Ingalls (lumières), Christopher Williams (chorégraphie)


M. Carrero (© Javier del Real)


Après La Conquête du Mexique de Rihm, la reconquête de Purcell par Sellars. Il s’agit d’une coproduction du Teatro Real de Madrid, l’Opéra de Perm et l’English National Opera de Londres.


Purcell comme excuse? Ce n’est pas le cas cette fois-ci. Purcell comme texte, surtout, mais comme prétexte? Plutôt cela, certainement. Dans une époque de primauté (voire de prépotence) du metteur en scène dans les spectacles d’opéra, il y a des moments où le résultat est légitime là où l’on pouvait craindre l’arbitraire.


Il est bien dommage de commencer de la sorte, mais on est tellement habitué à l’arbitraire de l’ignorance osée qu’on est surpris: la surprise du savoir créatif. Osé, lui aussi? La créativité est toujours osée, mais jamais dans le vide. En plus, il s’agit de Sellars, pourrait-on nous rétorquer... Bon, d’accord, mais est-ce qu’on est toujours d’accord avec Sellars?


Sellars est l’auteur d’un spectacle où la musique de Purcell pour son œuvre inachevée, The Indian Queen, est le point de départ d’un processus de création incluant d’autres musiques du compositeur anglais, où l’histoire dramatique est bouleversée: on conserve les textes chantés de Dryden, mais on ajoute des anthems et autres chants de Purcell (Music for a while, O solitude) et on modifie l’histoire, une histoire impossible aujourd’hui (après tout, encore un Dido & Aeneas), à l’aide d’une sélection de textes narratifs du roman La nina blanca y los pájaros sin pies («La gamine blanche et les oiseaux sans pieds») de la Nicaraguayenne Rosario Aguilar, un des plus importants auteurs d’Amérique latine, engagée dans les combats des femmes dans des pays où ce combat-là a une importance et quelques nuances très différentes de ce qu’on pense et de ce qu’on vit en Europe. Sellars relie une histoire sur plusieurs femmes en Amérique pendant l’arrivée des Espagnols vers la fin du XVe siècle et le début du XVIe: l’arrivée des Européens est la fin d’une civilisation, d’un mode de vide, pas tout à fait l’imposition d’une civilisation européenne, mais le début d’un autre mode de vie, de pensée, voire le début d’une autre race. Les femmes y sont pour souffrir les sévices de la guerre, mais aussi pour préserver la vie et le sens, malgré les changements profonds dont les protagonistes ne sont pas conscients. Les femmes y sont pour raconter l’histoire, parce que l’histoire n’est que les combats, les alliances, la politique, l’impérialisme, la défaite et l’illusion de la victoire. Sellars ne veut pas un spectacle-dénonciation, il ne s’agit pas de cela.


Sellars se sert du canevas de The Indian Queen de Purcell et Dryden et essaye de donner avec les autres composantes du spectacle (le texte de Rosario Aguilar, narratif, pas dramatique; les anthems: célébrations, lamentations, prières, voire prêches; les chants, lyriques) une histoire, un conflit dramatique, un spectacle. C’est parfois un peu forcé et composite (le très beau chant Music for a while y est introduit sans motif convaincant), c’est parfois parfait (je n’aurais jamais pensé, la première fois que j’ai entendu O solitude, par Alfred Deller, que cette page aurait un jour un rôle au théâtre, et ce n’est pas la première fois que je dois l’accepter, ici pour le personnage de Dona Isabel). C’est parfois d’une ironie cruelle: les massacres en même temps que les chants sacrés pour le Dieu dont le Nom est invoqué pour le crime. Mais Sellars se sert aussi de la légende, des rites, des histoires – jamais perdus, jamais enterrés, mais résistants, expectants – du monde précolombien. On nous qu’Aguilar et Sellars se sont inspirés du Popol Vuh, recueil de légendes mayas, et de la littérature náhuatl, pour les rares témoignages féminins recherchées par l’écrivain.


Le tout est un produit artistique ambitieux (pas du tout prétentieux), d’une beauté incontestable, pas tout à fait réussi du point de vue de la dramaturgie et la continuité de l’histoire (un peu composite, on l’a remarqué plus haut; assez confuse, parfois), mais il s’agit d’un spectacle qui a une prétention de rituel, il ne s’agit pas d’un drame comme un autre. Cela justifie les hétérodoxies théâtrales et la lenteur des chants d’aspect religieux lorsque l’action s’arrête, le lyrisme se tait et la cérémonie est invoquée.


Les artistes de Sellars chantent et sont des comédiens, certainement, mais ils dansent. Les solistes et les membres du chœur y dansent: avec les pieds et les jambes, bien sûr, mais aussi avec les épaules, les dos, les bras, les mains, voire les regards. Il y a une direction d’acteurs insurpassable (Sellars est un maître aussi dans ce sens-là) qu’on peut considérer, surtout, comme une grande chorégraphie qui passe des grandes expressions de ballet – quatre formidables danseurs: Kitamura, Scranton, Johnson, Singh – aux gestes rituels des bras, des mains, où la danse marque le rituel ou son évocation, son mimétisme.


L’actrice Maritxell Carrero – jeune et frôlant la perfection, une belle voix, une belle couleur – est Leonor, et la voix de Rosario Aguilar parle à travers la sienne. Un peu étrange: un texte en espagnol à l’origine (Aguilar), une actrice dont la langue maternelle est l’espagnol (Carrero, de Puerto Rico), un public madrilène, un thème sur l’invasion espagnole des Indes, de l’Amérique... et Maritxell nous raconte tout cela en anglais. Certes, c’est la langue des chants théâtraux de Purcell. Et l’on prépare le DVD, que auquel Sellars apporte toujours beaucoup de soin (au Teatro Real, on n’oublie pas son travail inépuisable pour Iolanta/Perséphone il y a presque deux ans), et peut-être l’anglais est-il plus... plus global. Passons. Malgré tout, le charme et la belle diction et interprétation de Maritxell Carrero sont toujours présents, et le spectateur attend ses contes comme s’il était un enfant à l’heure de dormir.


Le spectacle est surtout une traduction musicale d’une narration et une pièce, et la distribution est pour des voix d’un niveau excellent, parfois miraculeux, comme dans le cas du Coréen Vince Yi, personnage divin, voix presque féminine. L’autre personnage divin, le haute-contre Christophe Dumaux, lui donne une très belle réplique. Mention pour les deux protagonistes féminins, Julia Bullock et Nadine Koutcher, qui savent très bien déplacer leurs voix entre des tessitures en principe étrangères. Des très belles voix masculines pour compléter une distribution heureuse: Markus Brutscher, Noah Stewart et Luthando Qave.


Mais, attention, il y a un chœur qui chante, danse, acteurs et voix mélangés, un chœur aux costumes polychromes, populaires, quotidiens même, un chœur dont la présence et le jeu donnent une dimension encore plus riche à un spectacle dont les richesses dévoilent de la générosité. Le Chœur de Perm est accompagné par un orchestre qui va au-delà d’un simple soutien: Teodor Currentzis et l’ensemble donnent un goût d’époque qui est la base de la vérité présidant à tout le spectacle. Sans ces sons, il n’y aurait presque rien de ce qu’on a décrit et loué plus haut.


Je le regrette, mais je n’admire pas tant que cela les décors de Gronk. Mea culpa?



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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