About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Naufrage sur le Nil

Paris
Opéra Bastille
10/10/2013 -  et 12, 15, 20, 25, 29 octobre, 2, 6, 9, 12, 14, 16 novembre 2013
Giuseppe Verdi : Aida
Carlo Cigni (Il Re), Luciana D’Intino*/Elena Bocharaova (Amneris), Oksana Dyka*/Lucrecia Garcia (Aida), Marcelo Alvarez*/Robert Dean Smith (Radamès), Roberto Scanduzzi*/Alexei Botnarciuc (Ramfis), Sergey Murzaev (Amonasro), Oleksiy Palchykov (Un messagero), Elodie Hache (Sacerdotessa)
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors, costumes), Bertrand Killy (lumières)


R. Scandiuzzi, M. Alvarez (© Opéra national de Paris/Elisa Haberer)


Les trompettes font leur effet, mais Aïda, malgré les pompes de la scène du triomphe, est aussi un opéra intimiste, un huis clos passionnel même, surtout à partir du troisième acte. Et l’un des plus exigeants ouvrages de Verdi : une Aïda et un Radamès ne se trouvent pas si aisément, qui appellent des voix longues, assez corsées, capables également des plus suaves nuances – le guerrier a le cœur tendre. Bien des directeurs ont préféré ne pas s’y risquer : à l’Opéra de Paris, on n’avait pas vu Aïda depuis 1968, un triomphe pour une Leontyne Price à son zénith. Nicolas Joel a voulu relever le défi : bien mal lui en a pris. C’est une des plus malheureuses productions du moment et de son mandat.


Non qu’Olivier Py méritât la bronca qu’on lui a infligée. Parce qu’il a transformé les prêtres égyptiens en clergé catholique ? Parce qu’il a habillé les soldats égyptiens en treillis ? Aïda fustige pourtant l’alliance du sabre et du goupillon. On lui reprochera plutôt le didactisme du propos. Les Autrichiens, d’abord, persécutent les Italiens qui, à leur tour, ne traitent pas mieux leurs immigrés, avec la bénédiction de l’Eglise. Eternel renversement : l’opprimé devient l’oppresseur. Et l’on verra le peuple, au moment du triomphe, brandir des pancartes glorifiant le nationalisme colonial – Mussolini, plus tard, occupa l’Ethiopie. Voici, à la place des pyramides et du temple d’Isis, le Vittoriano romain... avec la fameuse inscription « Vittorio Emmanuele Re d’Italia »... et Verdi complice malgré lui de l’odieuse entreprise. Pour nous rappeler, sans doute, qu’Aida fut créé au Caire, alors que prospérait la bonne conscience de l’expansionnisme colonial ? Tout cela est assez facile et l’on attendait plus d’originalité de la part d’un Olivier Py. N’en ferait-il pas trop ? Alceste à Garnier, Aïda à Bastille, bientôt les Carmélites aux Champs-Elysées ? Pas de quoi huer en tout cas. Pas de quoi s’offusquer, non plus, de cet amoncellement de mannequins cadavres auxquels se mêleront, à la fin, Aïda et Radamès. Ni de la scène de l’appartement d’Amnéris, transformée en repos du guerrier. Le problème est que le metteur en scène se répète, avec, par exemple, ces immigrés venus de son Idoménée aixois, ces soldats au torse musculeux. Sans apporter à la direction d’acteurs le soin scrupuleux qu’on attendait. Cela dit, ça fonctionne, c’est fait de main de maître, qu’il s’agisse des grands déploiements choraux ou des scènes intimistes. Et tout est d’or rutilant, l’or du décor de son Mathis le peintre, avec cette profusion baroque qu’il associe si volontiers au grand opéra – à ses Huguenots bruxellois, par exemple.


Le ratage de cet Aïda, à vrai dire, vient de la musique. Avec des erreurs de distribution assez consternantes. Oksana Dyka a le timbre rêche, ignore les séductions du legato, est incapable d’émettre un aigu piano - ne parlons pas de pianissimo : un comble pour l’esclave éthiopienne. Sans parler d’une interprétation sommaire, où l’on ne sent guère de frémissement. Marcelo Alvarez, lui, s’attaque à trop forte partie : Radamès, qui n’est pas encore Otello mais qui n’est plus Manrico, le dépasse et le conduit à passer sans cesse en force dès le « Celeste Aida », où il cherche ses appuis et sa ligne. Le timbre lui-même a perdu son éclat et l’émission de sa franchise ; les aigus s’ouvrent souvent à l’excès et lorsqu’ils sont chantés piano, ils sont détimbrés. Cela dit, il sait au moins ce que chanter Verdi veut dire, à l’inverse de Sergey Mazuev, dont l’Amonasro éructe ses notes en insultant au beau chant. On connaît depuis longtemps l’Amnéris de Luciana D’Intino : solide plus que subtile. Mais elle avait une certaine superbe vocale, qu’elle a perdue ici : à force de poitriner, elle dessoude les registres, creuse des trous dans la tessiture, ce qui défait la ligne de chant. Les basses passent leur chemin – Roberto Scanduzzi chante néanmoins à côté les a cappella du jugement.


Philippe Jordan ? Le Prélude suscitait les plus grands espoirs : des nuances raffinées, un abandon, des courbes. Les deux premiers actes montraient ensuite un sens du théâtre, un engagement qu’on ne trouve pas toujours chez le directeur de l’Opéra, à la faveur de tempos assez rapides. Des décalages aussi, une mauvaise balance avec les voix, que la direction ne favorisait guère – comme souvent lors des premières. La suite révélait malheureusement, malgré le fini instrumental, le travail sur les couleurs, une certaine sécheresse, un orchestre qui ne chante pas assez, des lignes trop droites. Il faut attendre l’agonie extasiée du duo final pour retrouver l’inspiration du Prélude. Le chœur est vaillant, sans être parfait.


Encore une fois, c’était la première. Mais mieux vaut peut-être tenter votre chance avec la seconde distribution.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com