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Une formidable reprise

Bordeaux
Grand-Théâtre
09/23/2013 -  et 29 septembre, 1er, 3 octobre 2013
Wolfgang Amadeus Mozart : Lucio Silla, K. 135

Tiberius Simu (Lucio Silla), Elizabeth Zharoff (Giunia), Paola Gardina (Cecilio), Daphné Touchais (Celia), Eleanore Marguerre (Cinna), Carl Ghazarossian (Aufidio)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Alexander Martin (chef de chœur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Jane Glover (direction)
Emmanuelle Bastet (mise en scène), Tim Northam (décors et costumes), François Thouret (lumières)


(© Guillaume Bonnaud)


Lucio Silla, le dernier des opéras proprement italiens de Mozart, a longtemps été ignoré de nos scènes nationales, jusqu’à ce que l’Opéra de Nice en monte une nouvelle production en 2010, ainsi qu’Angers Nantes Opéra la même année, régie qui accoste aujourd’hui les berges de la cité girondine. Particulièrement saluée à l’époque, tant par le public que par la critique, cette production est signée par la talentueuse Emmanuelle Bastet, qui avait déjà été accueillie au Grand-Théâtre pour donner sa vision d’un autre opus mozartien: Così fan tutte.


Lucio Silla a beau porter tous les stigmates du génie d’un Mozart de seize ans, c’est un opéra redoutable. Le théâtre y est maigrissime, même à l’aune du genre serio. Les récitatifs sont ici réduits au minimum, si bien que les airs da capo, qui s’enchaînent sans relâche, ont beau être souvent sublimes, ils exposent les chanteurs à l’obligation de perfection – et la mise en scène à des sommets d’invention –, sauf à faire naître un sourd ennui, comme nous avons eu à le déplorer en juillet dernier au Liceu de Barcelone. Rien de tout cela à Bordeaux, en cette soirée de première, et il faut saluer bien haut une proposition ingénieuse, un plateau vocal excellent, et un orchestre superlatif.


Certes, c’est un Lucio Silla tronqué de près d’une demi-heure de musique qui est présenté au public bordelais, mais si certaines coupes peuvent paraître arbitraires, la proposition scénique de Bastet garantit au moins une certaine cohérence, tout en témoignant de son «style», que nous avons pu goûter plusieurs fois – essentiellement à Angers Nantes Opéra – dans des ouvrages lyriques tels qu’Orphée et Eurydice ou La Traviata. Plutôt qu’une reconstitution historique à l’antique ou une transposition contemporaine radicale, Bastet choisit une atmosphère marquée par l’Italie du XVIIIe: c’est finalement l’élégance et la clarté qui caractérisent le mieux cette production, rehaussée par le beau décor cylindrique tournant de Tim Northam, qui signe également de superbes costumes stylisés renvoyant à la psychologie de chaque personnage.


Très homogène, la distribution vocale n’appelle (quasiment) aucune réserve. A commencer par le rôle-titre, le ténor roumain Tiberius Simu, déjà présent à Nantes, qui empoigne son personnage avec une avidité presque rageuse; la voix, bien menée, ne manque ni d’autorité, ni de noblesse pour cet emploi de tyran magnanime. Mais c’est au couple Cecilio-Giunia que reviennent les plus nombreux et les plus beaux airs. On admire chez la mezzo italienne Paola Gardina (Cecilio) l’humanité qu’elle confère à cet amant blessé, sa voix superbement timbrée et sa technique brillante, toujours au service de l’émotion. Son grand air du deuxième acte «Quest’improvviso tremito» a constitué le sommet de la soirée, avec le magnifique «Ah se crudel periglio» chanté par Elizabeth Zharoff (Giunia). La soprano américaine impressionne par la fermeté de son timbre charnu et ses accents éloquents de tragédiennes, mais ses problèmes récurrents de souffle handicapent malheureusement sa prestation, et en premier lieu les effroyables acrobaties vocales dont sa partie est truffée. C’est une tout autre satisfaction que procure, dans ce registre technique, la magnifique soprano allemande Eleanore Marguerre, au timbre chaud et rond, à l’impressionnant abattage, et à l’aigu souverain. Un talent à suivre de très près. La soprano grecque Daphné Touchais n’est pas en reste, et elle convainc totalement dans le rôle de Celia: timbre fruité, aigus faciles et brillants, présence indéniable. Enfin, le ténor marseillais Carl Ghazarossian s’acquitte fort honorablement de ses brèves interventions, de même que le Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, toujours fort bien préparé par Alexander Martin.


La principale satisfaction de la soirée viendra cependant de la fosse, placée sous la baguette aguerrie de Jane Glover, ancienne habituée du Grand-Théâtre, où nous avons déjà apprécié sa maestria dans des opéras tels que Le Tour d’écrou (Britten) ou encore Jephté (Haendel). La Britannique, au moyen d’une baguette chaleureuse et presque enfiévrée, à laquelle répond un Orchestre national Bordeaux Aquitaine des grands soirs, accentue d’admirable manière les contrastes de la partition de Mozart, tout en préservant l’équilibre des moments de tendresse. C’est un triomphe mérité que lui adresse, ainsi qu’à l’ensemble de l’équipe artistique, un public qui n’a pas boudé son plaisir au moment des saluts.



Emmanuel Andrieu

 

 

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