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Paris joue Enesco

Bucharest
Grande Salle du Palais
09/05/2013 -  et 6* septembre 2013
Hector Berlioz : Ouverture «Le Corsaire», opus 21
Benjamin Britten : Concerto pour violon et orchestre n° 2 en ré mineur opus 15
Camille Saint-Saëns : Symphonie n° 3 avec orgue en do mineur, opus 78
Georges Enesco : Symphonie n° 1, opus 13
Serge Prokofiev : Symphonie n° 5 en si bémol majeur, opus 100

Vilde Frang (violon), Thierry Escaich (orgue)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)


P. Järvi (© Julia Bayer)


Au festival Enesco, Christoph Eschenbach était venu deux fois, en 2001 et en 2007. Voici le tour de Paavo Järvi qui, selon l’usage, dirige deux concerts, avec une partition d’Enesco – condition de la participation au festival. La chose semble d’ailleurs aller de soi, étant donné les liens entre le compositeur roumain et la France – elle l’a pourtant laissé mourir dans la misère à Paris, en 1955.


L’Ouverture Le Corsaire impressionne par la virtuosité orchestrale, témoin du travail accompli par le chef avec tous les pupitres – les cordes ont beaucoup gagné en homogénéité, alors que la petite harmonie garde ces sonorités fruités typiquement françaises. Il se laisse néanmoins prendre à son propre piège : la rapidité vertigineuse du tempo ne peut corriger la sécheresse brutale du propos. Il n’y a pas moins de rigueur, mais plus de liant dans le Second Concerto pour violon d’un Britten avant Britten, une partition sans doute plus solide qu’inspirée, que Paavo Järvi affectionne – il l’a enregistrée (voir ici) et souvent donnée, à Paris par exemple (voir ici), avec Janine Jansen. Le compositeur anglais y assume toute une tradition, classique et romantique, que le chef porte dans un bel équilibre, à l’unisson de la jeune violoniste norvégienne Vilde Frang, à la technique sûre et d’une belle sobriété dans l’expression, comme si les deux voulaient éviter tout excès de sentiment – elle donne en bis un air populaire norvégien.


La Symphonie avec orgue de Saint-Saëns rejoint un peu le Concerto de Britten, par la clarté de la structure et le juste dosage de l’émotion. C’est ce à quoi s’attache d’abord, en complicité avec Thierry Escaich, le chef estonien, qui propose une lecture très fouillée, où ressort tout le classicisme du chantre de l’ars gallica, mais trop sèchement analytique, insensible à la dimension dionysiaque de l’œuvre : on avait, à Paris, éprouvé la même impression (voir ici=. Deux bis de Bizet : un preste Galop final de Jeux d’enfants, une Farandole assez militaire de L’Arlésienne.


Le second concert ne suscite guère de réserves. Parmi les partitions orchestrales d’Enesco, Paavo Järvi a choisi la Première Symphonie, synthèse d’influences française et allemande, où l’héroïsme – son mi bémol majeur ne vient pas du hasard - se conjugue à ce lyrisme puissant caractéristique du compositeur roumain. Loin d’en exalter le postromantisme, le chef fluidifie une matière sonore très dense, éclaire l’écheveau polyphonique, montre tout ce qu’Enesco doit à la fréquentation assidue des grands classiques. Il ne rogne pas pour autant les ailes d’une inspiration généreuse, n’émousse pas les élans euphoriques des mouvements extrêmes, n’assèche pas le lyrisme chaleureux du « Lent » central. Une interprétation très « moderne », bien dans la manière du patron de l’Orchestre de Paris, très différente d’une certaine tradition perpétuée en Roumanie même – passionnante comparaison avec l’enregistrement de Horia Andreescu (Electrecord). On pensait en tout cas que cette musique flamboyante créée par Colonne en 1906 serait bientôt révélée salle Pleyel : qu’on en ait décidé autrement laisse pantois.


La Cinquième Symphonie de Prokofiev, en revanche, sera bientôt redonnée à Paris... Là encore, rupture : à l’inverse de beaucoup de chefs russes, surtout ceux de l’ancienne génération, Paavo Järvi ne dirige pas vraiment une symphonie « de guerre » ou de « victoire », liée à l’histoire – tel est aussi le cas de la « Leningrad » de Chostakovitch. Nous entendons une œuvre de musique pure, superbement architecturée, aux arêtes vives, pleine d’une énergie abrupte dans l’Andante initial, de mordant dans le Scherzo, d’une grandeur sombre dans l’Adagio, de franchise festive dans l’Allegro giocoso. La Symphonie conserve sa puissance, gagne en clarté ce qu’elle perd en tension menaçante, en force de suggestion. Mêmes bis que la veille, dans l’ordre inverse, alors que le public avait, en général, assisté aux deux concerts...



Didier van Moere

 

 

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