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Lucia est revenue !

Paris
Opéra Bastille
11/27/2000 -  et 30 novembre, 6, 9, 12* et 15 décembre 2000
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor
June Anderson (Lucia), Martine Mahé (Alisa), Frank Lopardo (Edgardo), Franck Ferrari (Enrico), Eldar Aliev (Raimondo), Christian Jean (Normanno, Reinaldo Macias (Arturo)
Andrei Serban (mise en scène), William Dudley (décors et costumes), Guido Levi (lumières)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, Bruno Campanella (direction)


Parfois, les miracles se renouvellent. Ceux qui avaient vibré à la création houleuse de cette Lucia en 1995 (triomphe pour la cantatrice, bronca pour la mise en scène), conscients de ce que l’impact de l’une devait à la puissance de l’autre, désespéraient de revoir un jour June Anderson enflammer une production qui semblait, d’une reprise à l’autre, privée de son pivot dramatique. Inévitablement aussi, le doute s’immisçait : l’artiste retrouverait-elle cet investissement éperdu, presque suicidaire, qui avait tant frappé les esprits autrefois ? En partie épargnée par les grèves, cette série de représentation est allée au delà de toutes les attentes. Non seulement Anderson vit sa Lucia avec la même intensité, mais sa maîtrise vocale paraît bien plus évidente encore qu’il y a cinq ans. Timbre lumineux, ample et dense sur toute la tessiture (oublions le contre-mi bémol, serré et un peu bas, dont tout amateur devrait se ficher comme d’une guigne), phrases portées par un souffle inépuisable qui jamais, de surcroît, n’a semblé aussi ductile, tant de perfection formelle évoquerait la Sutherland des années soixante-dix si la fibre théâtrale ne nous renvoyait, irrésistiblement, au souvenir de Callas et Scotto. Pour convenue qu'elle soit, la comparaison n’en est pas moins incontournable, Anderson égalant, dans ce rôle précis, ses illustres devancières - on ne nourrit pas pour sa Norma une admiration aussi inconditionnelle. Si son interprétation revêt une dimension ainsi anthologique, c’est par la fusion en tous points idéales des éléments musicaux, intellectuels, sensibles et physiques. Le corps, dans son engagement virtuose travaillé par un metteur en scène dont le public aujourd’hui cerne mieux la pertinence des partis pris, intervient comme contrepoint visuel aux exigences d’un chant qui de la sorte n’apparaît jamais gratuit. Immergée dans cette parabole sur l’aliénation voulue par l’ordre social, et non suscitée par un esprit égaré, où même les éléments triviaux revêtent une force poétique et symbolique peu commune, June Anderson lui donne à la fois sa noblesse et sa profondeur par le frémissement des mots, la plénitude déchirée ou la faiblesse maladive d’accents ciselés par un absolu contrôle dynamique (opposer, dans cette scène de la folie à briser le cœur, la cadence avec flûte à « Alfin son tua » ou « Spargi d’amaro pianto »). Ajoutons que l’approche d’abord surprenante de Bruno Campanella (tempo très lent, pulsation rythmique souvent peu marquée mais phrasé fermement dessiné et généreux en rubato) sert tout autant l’artiste, peut-être plus à l’aise aujourd’hui dans un chant de haute école à la fois dramatique et élégiaque que dans les courses de vitesse, et la mise en scène, retrouvant ses sortilèges d’incantation funèbre là où tant d’autres ne voient que joliesses. Un regret simplement, que l’orchestre n’ait pas l’air ce soir là des plus concernés - les cuivres pensent visiblement à autre chose.
Le bonheur serait total si nous étaient rendus le soleil et la vigueur d’Alagna en ses jeunes années, mais Frank Lopardo, scéniquement bien terne et limité sur le terrain de l’ampleur vocale et de la richesse du timbre, tire d’un phrasé d’une belle musicalité une émotion qui culmine dans sa remarquable scène finale. Franck Ferrari méritait bien Enrico dans cette salle, même si une élocution plus véhémente et une virtuosité plus élancée feront à l’avenir mieux ressortir une approche musicale intègre et un timbre bien placé. Impressionnant de plénitude et de tenue, le Raimondo d’Eldar Aliev, jeune basse avec laquelle il faudra désormais compter dans ce genre d’emploi. Martine Mahé, Christian Jean et Reinaldo Macias retrouvent des rôles désormais habituels, complétant avec bonheur un plateau de haut niveau que la diva peut légitimement dominer sans non plus le piétiner.




Vincent Agrech

 

 

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