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Un vrai Tannhäuser

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/24/2013 -  et 30 mars, 2, 5*, 8 (Strasbourg), 21, 23 (Mulhouse) avril 2013
Richard Wagner : Tannhäuser
Scott MacAllister (Tannhäuser), Barbara Haveman (Elisabeth), Béatrice Uria-Monzon (Vénus), Jochen Kupfer (Wolfram von Eschenbach), Kristinn Sigmundsson (Le Landgrave Hermann), Gijs Van der Linden (Walther von der Vogelweide), Roger Padullés (Heinrich der Schreiber), Raimund Nolte (Biterolf), Ugo Rabec (Reinmar von Zweter), Odile Hinderer (Un Pâtre)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Constantin Trinks (direction)
Keith Warner (mise en scène), Boris Kudlicka (décors), Kaspar Glarner (costumes), John Bishop (lumières), Karl Alfred Schreiner (chorégraphie)


(© Alain Kaiser)


Keith Warner et Boris Kudlicka ont souvent collaboré déjà, pour des productions très remarquées, dont l’étonnant André Chénier qui vient de faire les beaux soirs de plein air du festival de Bregenz pendant deux étés consécutifs... Alors comment ces vieux routiers de l’opéra ont-ils pu se laisser piéger par un dispositif aussi incommode que celui qu’ils ont conçu pour cette nouvelle production de Tannhäuser : une halle à deux niveaux, qui pourrait être le grand salon néo-gothique d’une maison bourgeoise ou une sorte de salle des fêtes, équipée d’une minuscule scène au fond. Cette pièce peut s’ouvrir latéralement à droite et à gauche, ce qui ne suffit malheureusement pas à résoudre le problème des entrées et sorties. D’autant plus que les deux étages ne communiquent par aucun escalier visible. Donc une fois qu’on est entré en haut il faut impérativement ressortir de scène par le même chemin avant de pouvoir reparaître en bas... Ce problème d’allées et venues devient vite insoluble, en particulier lors du cortège des invités à la Wartburg. Ici l’effectif complet rentre d’un bloc, les choristes du haut restent piégés sur leur balcon, les choristes du bas tournent en rond pour s’occuper pendant que la musique défile... C’est désastreux. La joute des Minnesänger n’est pas moins pénible à gérer, avec un chœur tantôt assis de dos pour regarder le petit théâtre sur lequel s’affrontent les compétiteurs, et tantôt retourné vers le vrai public quand il s’agit de lui chanter quelque chose. Et puis, tout au long de ce second acte, il faut prévoir beaucoup de sièges pour asseoir tout ce monde et ensuite se poser constamment la question de ce qu’on va pouvoir faire de toutes ces chaises encombrantes. Les empiler? Les brandir? Les renverser? De tout un peu, le pire étant quand Elisabeth doit quitter dignement la scène en marchant derrière le chœur, surélevée sur un long alignement de ces chaises disposées en hâte et mal espacées, ce qui donne à cette digne héroïne bafouée une démarche déhanchée et précautionneuse, pas du tout en phase avec la situation.


On reste aussi perplexe devant une figuration absconse, dont un enfant omniprésent dont on se demande ce qu’il fait là aussi souvent (aucune réponse claire ne sera donnée...), et aussi devant une sorte de cyclotron géant qui descend du plafond temps à autre pour emprisonner Tannhäuser. Téléporteur high-tech? Aspirateur à pécheurs? Ascenseur transcendantal? L’effet n’évite pas le ridicule mais paraît mieux exploité à l’extrême fin, quand cette cage géante descend cette fois obliquement et que Tannhäuser y progresse à la rencontre d’une apparition d’Elisabeth descendant lentement, suspendue depuis les cintres. L’image est spectaculaire et laisse l’interprétation de la fin de l’œuvre relativement ouverte. Efficace scène du Venusberg aussi, pas trop gâchée par un ballet parodique qui semble surgir, par un bel effet d’éclairage, d’un grand tableau académique suspendu au mur. Cette atmosphère de lupanar permet à Venus et Tannhäuser de se vautrer sur plusieurs grands divans rouges facilement déplaçables, bonne solution palliative pour éviter d’avoir à gérer deux chanteurs constamment plantés là, debout, à dévider des phrases extrêmement longues. Quant à la transposition globale de l’action à l’époque de Wagner, voire pendant la période wilhelminienne, avec un cortège d’éclopés qui reviennent du casse-pipe en guise de pèlerins, elle permet aussi de faire l’impasse sur une ambiance médiévale difficile à caractériser sans ridicule. On sent bien que Warner et Kudlicka ont beaucoup réfléchi face à cet ouvrage difficile à ne pas rater, et il est dommage que trop de leurs idées originales se retournent finalement contre eux. Pour mémoire rappelons la production hideuse actuellement présentée à Bayreuth, ou le pénible nanar qui encombre toujours le répertoire du Staatsoper de Munich, depuis plus de vingt ans maintenant… Des souvenirs effrayants, qui incitent d’emblée à davantage d’indulgence par rapport à ce travail-là, fondamentalement honnête.


Heureusement, ce soir-là l’oreille est comblée, grâce au jeune chef allemand Constantin Trinks, dont la sûreté technique et la précision de battue font merveille. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg paraît totalement sécurisé et les timbres s’épanouissent fièrement, comme si tous les défauts acoustiques de la fosse avaient miraculeusement disparu.


Et même les chanteurs bénéficient de cette mise en confiance, parvenant à valoriser à leur meilleur des moyens naturels parfois perfectibles. Seule Béatrice Uria-Monzon convainc de bout en bout en Vénus, un rôle qu’elle semble avoir apprivoisé dans ses moindres détails. L’Elisabeth de Barbara Haveman n’a pas un timbre très homogène ni une ligne de chant soutenue de façon infaillible, mais elle use de son instrument d’une façon très touchante. Le Wolfram de haute stature de Jochen Kupfer peut surprendre par un timbre relativement léger, qu’il sait colorer cependant avec une expressivité très prenante. Le Landgrave de Kristinn Sigmundsson ne peut en revanche que frustrer par un manque relatif de noblesse, l’usure de son matériau devenant difficile à camoufler. Quant au Tannhäuser de Scott MacAllister, malade pendant les premières représentations, il semble avoir pleinement récupéré l'usage d'une voix qui reste malheureusement trop claire, ce qui le conduit souvent à forcer voire à détimbrer. Cela dit son incarnation est crédible (en dépit d’un costume et d’une perruque vraiment peu flatteurs) et son endurance lui permet d’arriver en bonne forme jusqu’aux dernières répliques d’un rôle particulièrement astreignant.


On sort du théâtre en ayant au moins l’impression d’avoir vécu un vrai Tannhäuser, avec son émotion, son orchestre, toutes ses voix, et bien sûr ses grands chœurs (facilement grisants certes, mais ici luxueusement chantés par les Chœurs de l’Opéra du Rhin). Bref, une production qui fonctionne, et vu le défi représenté par l’œuvre, c’est déjà très bien.



Laurent Barthel

 

 

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