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Bonheur vocal et platitude scénique

Marseille
Opéra municipal
03/24/2013 -  et 27, 30* mars, 2, 4 avril 2013
Giuseppe Verdi : Otello

Vladimir Galouzine (Otello), Inva Mula (Desdemona), Seng-Hyoun Ko (Iago), Doris Lamprecht (Emilia), Sébastien Droy (Cassio), Jean-Marie Delpas (Lodovico), Alain Gabriel (Roderigo), Yann Toussaint (Montano), Frédéric Leroy (Araldo)
Chœur de l’Opéra de Marseille, Pierre Iodice (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Marseille, Friedrich Pleyer (direction)
Nadine Duffaut (mise en scène), Jean-Philippe Corre (assistant mise en scène), Emmanuelle Favre (décors), Thibault Sinay (assistant décors), Katia Duflot (costumes), Philippe Grosperrin (lumières)


V. Galouzine, I. Mula (© Christian Dresse)


Après vingt-cinq années d’absence, l’avant-dernier opéra de Verdi revient sur la scène phocéenne, dans une coproduction avec les Chorégies d’Orange, où l’ouvrage sera à l’affiche en 2014. Si la proposition scénique de Nadine Duffaut (femme de Raymond Duffaut, directeur du festival provençal) peut éventuellement s’avérer acceptable sur l’immense (et difficile) plateau de la cité antique, disons d’emblée qu’on ne pensait plus voir quelque chose d’aussi ringard sur une scène lyrique en 2013. A commencer par l’énorme décor unique, d’une laideur sans nom, sorte de hall en béton armé (avec piliers et passerelle) d’une usine désaffectée de l’ancien bloc de l’Est. En phagocytant l’espace scénique, il empêche les vastes mouvements de foule que visait Verdi, notamment au I, pendant lequel le peuple suit avec inquiétude l’arrivée du Maure. Second point noir de ce spectacle, la direction d’acteurs, quasi inexistante, les chanteurs errant la plupart du temps comme des âmes en peine; quand il y en a une, elle frise souvent le ridicule, telle l’entrée d’Otello sur une passerelle, livrant son «Esultate» l’épée brandie et vêtu d’un costume rouge vif, question de bien annoncer (lourdement) la couleur.


Par bonheur, le spectacle est bien plus inspiré sur le plan musical. Le chef autrichien Friedrich Pleyer dirige un Verdi sanguin, âpre, peu enclin à l’introspection: l’accompagnement souligne les coups de théâtre et dépeint les conflits psychologiques avec une plénitude sonore absolument jouissive, qui a cependant parfois tendance à recouvrir les voix. Quant au chœur maison, fort bien préparé par Pierre Iodice, il fait montre d’une virtuosité impressionnante, qui lui permet d’aborder le célèbre «Fuoco di gioia» ou le long final du III sans fléchissement rythmique ni intonation fautive.


Magistral Canio (dans Paillasse) ici même il y a deux saisons, Vladimir Galouzine campe ce soir un irrésistible Otello, grâce à sa voix claironnante et percutante, d’un somptueux métal, capable de passer l’orchestre avec une arrogance inouïe. Scéniquement, le ténor russe prête à son personnage la force de sa présence magnétique: il conçoit son personnage comme un animal aux abois, incapable de se maîtriser, et comme un écorché vif, dont il parvient à exprimer la grande souffrance, notamment dans de bouleversants «Dio! Mi potevi scagliar» et «Niun mi tema», détaillés piano. Il est légitimement permis de penser que la scène internationale tient là, avec l’Argentin José Cura, le meilleur interprète actuel du rôle.


De son côté, la soprano albanaise Inva Mula dessine une intense Desdemona. Son timbre riche et prenant, la sensualité troublante de son émission moirée, la tendresse de ses accents, ses pianissimi impalpables, sa ligne de chant savamment contrôlée et enfin ses phrasés magnifiquement différenciés sont un bonheur de chaque instant. Certes, on relève quelques notes «sourdes» dans les passages et un bas medium qui se dérobe parfois, mais broutilles que cela. Dans la scène finale, on rend les armes devant son sens du mot et sa façon de conduire l’air du Saule et l’Ave Maria à la manière d’un lied.


Très apprécié à Marseille, où il a, entre autres, chanté le rôle d’Amonasro en 2008, le baryton coréen Seng-Hyoun Ko incarne un Iago plutôt intériorisé, maléfique, d’une noirceur qui transpire de chacun de ses gestes. Son baryton corsé, mordant, dégagé dans l’aigu, et remarquablement puissant ont à nouveau conquis le public qui lui réserve la plus belle ovation de la soirée. Tamino convaincant in loco l’an passé, le jeune ténor français Sébastien Droy manque de volume et de projection dans le rôle de Cassio, tandis qu’Alain Gabriel et Yann Toussaint permettent aux personnages de Roderigo et Montano de se profiler comme des ressorts essentiels de l’intrigue. Même le Lodovico pourtant en retrait de Jean-Marie Delpas et l’Emilia plutôt fatiguée de Doris Lamprecht ne parviennent pas à détruire la formidable impression d’homogénéité qui caractérise cette distribution, composée avec soin.



Emmanuel Andrieu

 

 

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