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Paris
Opéra Bastille
12/04/2012 -  et 7*, 10, 13, 16, 20, 22, 25, 27, 29 décembre
Georges Bizet : Carmen
Nikolai Schukoff*/Khachatur Badalyan (Don José), Ludovic Tézier (Escamillo), Edwin Crossley-Mercer (Le Dancaïre), François Piolino (Le Remendado), François Lis (Zuniga), Alexandre Duhamel (Moralès), Anna Caterina Antonacci*/Karine Deshayes (Carmen), Genia Kühmeier (Micaela), Olivia Doray (Frasquita), Louise Callinan (Mercédès), Philippe Faure (Lillas Pastia), Frédéric Cuif (Un guide)
Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Paris, Philippe Jordan (direction)
Yves Beaunesne (mise en scène)


N. Schukoff, G. Kühmeier (© Opéra national de Paris/Charles Duprat)


Elle commence bien, cette Carmen : orchestre svelte et élancé, vents colorés, cordes souples, plans sonores clairs comme le ciel sévillan. Philippe Jordan, malheureusement, révèle vite ses faiblesses : la direction manque de sensualité, de tension, sacrifie trop exclusivement au fini instrumental – magnifique accompagnement de l’air de la fleur, superbes accords sombres de l’air des cartes. Rien n’avance, les tempi, nullement condamnables a priori, semblent d’autant plus lents. Carmen n’est plus un drame, encore moins une tragédie, devient musique pure, abstraite.


Si encore la distribution nous restituait ce que la fosse nous refuse… On reconnaît à peine Anna Caterina Antonacci, si belle Carmen naguère, à Covent Garden ou à l’Opéra Comique : voix souvent noyée par le vaisseau de Bastille, à l’homogénéité improbable, ne pouvant donner sa mesure que lorsque l’orchestre se fait plus discret, comme dans la Habanera ou l’air des cartes, où l’intimité avec le style français, grâce notamment à un sens de la déclamation toujours aussi exemplaire, retrouve son évidence. De quoi faire oublier une Chanson bohème où elle s’empêtre, incapable d’en assumer l’irrésistible accélération ? Atypique Carmen, de toute façon, lointaine, comme étrangère à son propre destin, parfois d’autant plus absente qu’elle est vocalement à la peine. On verra, à partir du 20 décembre, ce que donnera Karine Deshayes.


Pourquoi, d’autre part, alors qu’on l’annonce malade depuis quelques jours avant le lever du rideau, ne pas avoir remplacé Nikolai Schukoff ? Les deux premiers actes, pourtant, portent à l’indulgence : ce Don José sensible, dépassé par ce qui lui arrive, s’avère, tout fatigué qu’il soit, assez scrupuleux stylistiquement, avec des demi-teintes très louables jusque dans la fin de l’air de la fleur. La suite, pierre d’achoppement pour les brigadiers trop légers de voix ou de technique, met à nu les failles qu’on a déjà observées chez lui en d’autres circonstances : il n’en peut visiblement plus.


Même Ludovic Tézier déçoit, qu’on a connu pourtant comme un des toréadors les plus racés du moment. Il a beau retrouver ses marques à partir du deuxième acte, un Escamillo aux couplets empâtés n’est pas vraiment un Escamillo. La plus grande satisfaction de la soirée, du coup, nous vient de la Micaëla de Genia Kühmeier, que Salzbourg, cet été, avait déjà consacrée : timbre rayonnant, maîtrise parfaite des registres, phrasé de classe, refus – malgré les tresses – de toute mièvrerie. On aurait pu, enfin, veiller davantage au grain pour les rôles secondaires, piliers eux aussi d’une Carmen digne de ce nom : ils font plutôt pâle figure. Le chœur ne donne pas toujours, lui non plus, le meilleur de lui-même, avec des aigus trop durs et pas très homogènes.


Dans cet affligeant ratage, Yves Beaunesne porte une lourde responsabilité. Ne parlons pas de « l’adaptation » des dialogues de la version Oeser par Marion Bernède. Le décor unique et assez laid de Damien Caille-Perret, plus hangar que place publique ? Passe encore. Micaëla arrivant à bicyclette ? Pourquoi pas ? On va jusqu’à tolérer un Escamillo aux airs d’Elvis Presley. On admet volontiers la transposition « à l’époque de la movida ». On souscrit plus volontiers encore au refus « d’être coincé entre le respect béat et la subversion bébête ». Mais le metteur en scène n’a pas les moyens de ses ambitions : sa Carmen reste creuse, indigente. Il ne tire rien de cette bohémienne à la fois poupée Barbie et Marilyn aux petits pieds. Le côté faussement Almodovar sent le bric-à-brac – la présence dans le programme une photo de Rossy de Palma et d’un extrait d’un texte du cinéaste sur sa mère invite à une cruelle comparaison. Les ensembles sont mal maîtrisés, on se croirait presque au patronage – subventions en plus. Les passages intimistes, les duos entre les deux protagonistes en particulier, passent heureusement beaucoup mieux et on aime bien la dernière scène, avec cette Carmen figée dans la dérisoire robe de mariée que Don José lui passe comme une camisole de force, morte avant même d’être étranglée.


Que, après Faust et Manon, l’Opéra de Paris propose une aussi triste Carmen laisse pantois. A croire que, pour l’opéra français, il faudra désormais aller voir ailleurs.



Didier van Moere

 

 

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