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Les limites de la subjectivité

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
11/01/2012 -  
Ludwig van Beethoven : Symphonies n° 1 en ut majeur, opus 21, et n° 7 en la majeur, opus 92
Fabien Waksman : Protonic Games (création)

Orchestre national de France, Daniele Gatti (direction)


D. Gatti (© Radio France/Christophe Abramowitz)



Donner l’intégrale des Symphonies de Beethoven n’est jamais anodin pour un orchestre. Lorsqu’il occupait les fonctions de directeur musical, Kurt Masur avait choisi ce programme pour marquer son arrivée à la tête du National lors d’une série de concerts donnés en novembre 2002 et c’est également ce programme qu’il avait dirigé pour son départ en juillet 2008 (voir ici, ici, ici, ici et ici). Nul doute que c’est donc avec une certaine fébrilité que Daniele Gatti et l’Orchestre national de France se lancent donc dans cette intégrale marathon, donnée du 31 octobre au 15 novembre, dans le cadre de cinq concerts associant à chaque fois deux symphonies du compositeur allemand (hormis le dernier concert où seule la Neuvième sera programmée) et la création mondiale d’une œuvre commandée par Radio France à un compositeur français. Cette formule, consistant à associer des œuvres célèbres et «grand public» avec une pièce contemporaine n’est pas nouvelle. Daniele Gatti l’avait déjà expérimentée lorsqu’il avait donné l’intégrale des Symphonies de Beethoven à Bologne en 2004 et, il y a un an exactement, c’est également la formule qu’avait choisie Riccardo Chailly lorsqu’il était venu salle Pleyel pour une autre intégrale beethovénienne (voir ici, ici et ici).


Ce soir, avant d’entendre des pièces signées Bechara El Khoury, Guillaume Connesson, Pascal Zavaro et Bruno Mantovani, c’était donc au jeune Fabien Waksman (il est né en 1980) d’ouvrir le bal. Comme il a lui-même eu l’occasion de l’expliquer tant dans la presse que dans le programme de ce cycle de concerts donnés au Théâtre des Champs-Elysées, sa pièce Protonic Games se veut à la fois un hommage à l’infiniment petit (il éprouve visiblement une vraie fascination pour le proton, élément irréductible de la matière) qui peut ensuite donner lieu à de l’infiniment grand et à l’accélérateur de particules qu’est le LHC (Large Hadron Collider) du CERN de Genève, outil ultraperformant qui permet, en faisant s’entrechoquer des protons entre eux, de créer de nouvelles particules. Or, à l’écoute de cette brève pièce d’une dizaine de minutes (que Gatti, comme pour toutes les autres créations hormis celle de Mantovani, a décidé de jouer deux fois, en fin de première partie et en début de deuxième partie de chaque concert), c’est moins à la physique des particules que l’on pense qu’à Hollywood... Les climats de sa pièce nous remémorent quelques accents tirés de John Williams (Les Dents de la mer) ou de Bernard Herrmann (La Mort aux trousses) quand les accents des violoncelles n’évoquent pas La Mer de Debussy. L’œuvre s’écoute agréablement et les musiciens, à l’image de l’excellent timbalier Didier Benetti, s’y plongent avec délice et conviction.


Or, là est l’accessoire car, rappelons-le, l’essentiel du concert (et du cycle), c’est Beethoven. On le sait, l’interprétation de ces symphonies peut donner lieu à mille et une approches, les visions traditionnelles que nous avons tous en mémoire ayant ensuite été renouvelées par les approches baroqueuses de tel ou tel qui, elles-mêmes, se sont mâtinées d’un certain retour à la «tradition». La subjectivité est évidemment reine mais on pouvait tout de même s’attendre à un discours renouvelé dans le bon sens du terme; force est de constater que le concert de ce soir aura été lourd de désillusions tant on ne se retrouve pas dans ce Beethoven. La photographie centrale qui illustre le programme est d’ailleurs très révélatrice: Gatti pose avec les cinq compositeurs contemporains joués au fil du cycle dans une salle du musée Bourdelle où trône un buste de Beethoven sculpté par Bourdelle lui-même. Or, c’est visiblement la parfaite incarnation du Beethoven souhaité par Daniele Gatti: noir, massif, dense où les traits du visage sont à peine esquissés et où seule importe la figure imposante du compositeur.


Lorsque la Première Symphonie est créée en avril 1800, Beethoven a donc trente ans: où est ce soir cette juvénilité? Où perçoit-on le clair héritage de Haydn et de Mozart? Nulle part puisque, de la première à la dernière note, Gatti nous livre une œuvre très sage (notamment dans la deuxième partie du premier mouvement, Allegro con brio) qui, trop souvent, en raison notamment d’accents pris avec une trop grande ampleur, trahit une lourdeur qui affecte un discours déjà passablement engoncé (le Menuetto fut à cet égard des plus décevants). Quant au dernier mouvement, le chef italien ne joue jamais sur les échanges qui devraient pourtant fuser entre les vents et les cordes. C’est d’autant plus dommage que l’orchestre est plutôt en forme et que, en dépit de quelques décalages au début de la symphonie (venant vraisemblablement du côté des cordes), les solistes brillent comme souvent: citons avant tout Nora Cismondi au hautbois et Hervé Joulain au cor, tous deux irréprochables par leur finesse et leur implication.


Malheureusement, alors qu’on espérait une entrée en matière plus convaincue, la Septième (1812) fut tout aussi lourde et lente. Encore une fois, le disque nous a livré maints témoignages où certains chefs, en concert et à une époque où le renouvellement stylistique n’avait pas encore fait son œuvre, parvenaient à allier discours traditionnel et fougue de tous les instants. Ici, l’ensemble livré par Daniele Gatti est imposant, globalement bien fait mais sans vie. Sous couvert d’affiner un trait ou un passage, la battue plombe l’ensemble; cette déception est patente dans le premier mouvement dont la deuxième phase est pourtant marquée Vivace. L’Allegretto, toujours très attendu par le public, tombe presque dans l’excès inverse, Gatti ayant choisi de le faire jouer sans legato, veillant au contraire à ce que les cordes détachent bien chaque note, faisant ainsi perdre au thème toute sa majesté. On eut l’heureuse impression d’un vrai changement avec le troisième mouvement, pris à la bonne allure, et joué au début avec verve par l’orchestre: on en sera pour ses frais, les travers dénoncés jusqu’ici reprenant rapidement le dessus, travers renforcés par de vraies baisses de tension de telle sorte que le mouvement n’en finit plus de finir. Quant à l’Allegro con brio final, les éclats des trompettes et des cors sont bien ternes, Daniele Gatti bridant un National que l’on sent parfois vouloir s’envoler davantage.


En dépit des vifs applaudissements de la salle, comble pour ce premier concert, et des saluts de l’orchestre à l’adresse de leur directeur musical, on ressort avenue Montaigne avec une cruelle désillusion à l’esprit. On ne peut qu’espérer un vrai sursaut pour la suite du cycle: dans le cas contraire, les déceptions risquent de s’accumuler.



Sébastien Gauthier

 

 

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