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Michael Gielen, toujours...

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
06/09/2012 -  
Arnold Schoenberg : Thème et Variations
, Op. 43b
Gustav Mahler : Rückert-Lieder
Johannes Brahms : Symphonie n° 3, Op. 90

Elisabeth Kulman (mezzo-soprano)

SWR Sinfonieorchester Baden-Baden & Freiburg, Michael Gielen (direction)


M. Gielen (© Manu Theobald)


L’Orchestre symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg ne franchit pas souvent la frontière pour venir jouer à Strasbourg. Et en ce cas il s’y produit systématiquement devant une salle aux deux tiers vide. Les musiciens badois ont fini par se résigner à cette désaffection, phénomène répétitif qui les étonne toujours autant et dont il leur suffirait de chercher les causes du côté de l’imprésario avec lequel l’orchestre traite à Strasbourg, toujours le même, dont les méthodes d’annonce et de communication sont obsolètes depuis vingt ans déjà. D’où ce public dispersé qui se retourne de temps en temps pour balayer d’un regard morne les légers rideaux (troués) tendus derrière lui, dispositif de fortune qui tente de dissimuler par une naïve illusion d’optique à quel point la salle du Palais de la Musique est peu remplie.


Cela dit les apparitions au pupitre de Michael Gielen, 84 ans, sont d’autant plus attendues qu’elles sont devenues rarissimes et la phalange de Baden-Baden et Freiburg reste l’un des grands orchestres allemands du moment. Interdisons donc à cette ambiance sclérosée de gâcher notre plaisir d’écoute : la soirée s’annonce de très haut niveau, et elle va tenir amplement ses promesses.


Michael Gielen considère que l’œuvre orchestral de Schoenberg est un repère incontournable de la musique allemande, au même titre que les symphonies de Beethoven ou Brahms, ce en quoi il a certainement raison, et reste aujourd’hui l’un des rares chefs germaniques à accorder dans ses concerts à l’auteur des Gurre-Lieder une place proportionnelle à son envergure réelle. Cela dit l’étape Schoenberg de ce concert se transforme en surprise, puisqu’en lieu et place de la Kammersymphonie initialement programmée c’est tout l’orchestre qui se déploie dans les très rares Variations Op. 43b.


Schoenberg destinait cette ouvrage, créé à Boston en 1944, à une formation d’harmonie mais il en rédigea pratiquement dans la foulée une version pour phalange symphonique complète. Cette persévérance atteste bien de son intérêt pour une œuvre qui n’est pas que la pièce de circonstance initialement annoncée, bien que tardive et émanant d’un compositeur désormais américain qui a abandonné pour diverses raisons, dont aussi sans doute des facteurs alimentaires, son militantisme atonal et dodécaphonique. Ces Variations sont d’un très audible consentement tonal mais n’ont pas renoncé pour autant à un grand raffinement d’orchestration. On retrouve là toutes les recherches de Schoenberg sur un son disséminé en une grande variété de combinaisons de pupitres, et l’œuvre se révèle très attractive, surtout défendue comme ici par un ensemble rompu aux subtilités d’une écriture d’orchestre où les réflexes de chacun deviennent un facteur décisif dans l’intelligibilité du discours. Interprétation de référence d’ailleurs, largement supérieure aux rares versions enregistrées disponibles, dont on espère qu’elle fera un jour l’objet d’une publication discographique. Accueil poli de la part d’un public forcément réservé dès que le nom de Schoenberg apparaît sur un programme de concert. Citons quand même quelques réflexions succulentes entendues à l’entracte : «Vous savez, moi, je trouve que tout ce que Schoenberg a écrit après La Nuit transfigurée devient trop embrouillé!» ou encore «Je déteste cette musique dodécaphonique ! » alors que l’on vient d’entendre une partition d’un sol mineur particulièrement insistant, nantie de surcroît d’une majestueuse péroraison en sol majeur. Passons…


La mezzo-soprano autrichienne Elisabeth Kulman, davantage connue Outre-Rhin qu’en France, fait ensuite une apparition remarquée dans les Rückert-Lieder de Mahler dont elle détaille les textes avec musicalité mais aussi un certain défaut de présence dramatique. Le timbre reste un peu ténu, parfois couvert par un orchestre qui semble cependant aussi transparent et léger que possible sous une baguette toujours très analytique. Um Mitternacht et Ich bin der Welt abhanden gekommen restant cependant de grands passages d’introspection, Michael Gielen se chargeant par ailleurs d’éviter tout débordement post-romantique excessif (la résonance des derniers accords, coupée net, reste emblématique de cette approche dégraissée mais jamais froide ni cérébrale).


Après l’entracte la Troisième Symphonie de Brahms fait passer l’un de ces moments de rêve dont tout amateur de concerts ne peut que se souvenir des années durant et qui ne sont aujourd’hui l’apanage que de bien peu de chefs en activité (Abbado, Boulez, Gielen, Vänskä, Zender... qui d’autre ?). Tout ici s’impose clairement sans que jamais les options du chef paraissent déplacées ou gratuites même si elles restent originales (le dernier mouvement, avec ses appuis parfois très marqués, peut déconcerter). Les phrasés découlent directement de l’écriture musicale et ne semblent jamais issus d’une quelconque spéculation interprétative, le chef semblant se contentant de laisser chacun buriner sa partie et concerter avec les autres. Car il y a décidément dans cet Orchestre symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg une faculté d’écoute mutuelle entre les différents pupitres qui fonctionne à merveille, avec toujours l’impression d’une matière symphonique souple, aérée, ductile, ce qui n’empêche pas par ailleurs Brahms de sonner ici avec beaucoup d’ampleur, la musique revenant progressivement au silence à la fin, conclusion atypique où le compositeur semble explorer des voies sonores nouvelles, étranges et confidentielles.


Que dire de plus ? Que ceux qui ont trouvé le chemin de ce concert en dépit d’une publicité nullissime ont eu amplement raison de se déplacer. Et que certains politiques allemands qui évoquent très sérieusement la possibilité de réaliser des économies budgétaires en faisant fusionner demain l’Orchestre Symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg avec son homologue de Stuttgart, sont de nuisibles ignares.



Laurent Barthel

 

 

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