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Deux siècles et demi en arrière...

Paris
Palais Garnier
06/14/2012 -  et 17, 20, 24, 27, 30, 4, 7, 10* juillet 2012
Jean-Philippe Rameau : Hippolyte et Aricie
Sarah Connolly (Phèdre), Anne-Catherine Gillet (Aricie), Andrea Hill (Diane), Jaël Azzaretti (L’Amour), Salomé Haller (Œnone), Marc Mauillon (Tisiphone), Aurélia Legay (la Grande Prêtresse de Diane, une chasseresse), Topi Lehtipuu (Hippolyte), Stéphane Degout (Thésée), François Lis (Pluton, Jupiter), Nicholas Mulroy (Première Parque), Aimery Lefèvre (Arcas, Deuxième Parque), Manuel Nuñez Camelino (Un suivant de l’Amour, Mercure), Jérôme Varnier (Neptune, Troisième Parque), Sydney Fierro (Un chasseur), Marc Barret, Emilie Bregougnon, Anna Chirescu, Angèle Fontaine, Sébastien Montagne, Anne-Sophie Ott, Léa Perat, Gilles Poirier, Raphaël Rodriguez, Arthur Zakirov (danseurs)
Chœur du Concert d’Astrée, Xavier Ribes (chef de chœur), Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)
Ivan Alexandre (mise en scène), Antoine Fontaine (décors), Jean-Daniel Vuillermoz (costumes), Hervé Gary (lumières), Natalie van Parys (chorégraphie)


(© Opéra national de Paris/Agathe Poupeney)


Même si Hippolyte et Aricie, représenté pour la première fois le jeudi 1er octobre 1733, fait aujourd’hui figure de chef-d’œuvre incontesté, il n’en fut pas de même à l’époque où chacun prenait fait et cause pour l’opéra ou contre celui-ci. Bataille entre partisans de Lully et de Rameau, querelle des Anciens et des Modernes, lutte entre styles français et italien: les clivages ne manquaient pas. «Au moment de la plus grande effervescence, le prince de Conti, qui vivait encore, demanda à Campra ce qu’il pensait de cet opéra: "Monseigneur, répondit-il, il y a assez d’étoffe pour en faire dix... Cet homme nous éclipsera tous"» rapportera un historien. Exemple typique de tragédie lyrique telle que l’avait magnifiée Lully quelques décennies auparavant, Hippolyte et Aricie est le premier essai du genre de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), qui entrecoupe les grandes scènes de tragédie par des pauses, prétextes à des ballets et des chœurs de grande ampleur qui fluidifient d’autant la trame générale de l’opéra. Fondée sur un livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin (1663-1745), qui s’est lui-même inspiré de Phèdre de Racine, l’histoire est assez complexe.


Après un Prologue dominé par la figure de Jupiter (hommage classique à la figure royale), l’intrigue peut véritablement commencer. La jeune Aricie est amoureuse d’Hippolyte, qui l’aime également – ce n’est pas toujours le cas dans ces tragédies souvent plus touffues les unes que les autres. Menacés dans leur union par la rageuse Phèdre, ils voient heureusement leur amour protégé par la déesse Diane, mandatée à cette fin par Jupiter. Or, à force de manigances, Phèdre parvient à s’attirer les bonnes grâces d’Hippolyte à tel point que son époux, Thésée, qui n’est autre que le père du jeune héros, soupçonne un sérieux attentat à la morale, réclamant de ce fait à Neptune, qui lui avait préalablement promis d’exaucer trois de ses vœux, le sang d’Hippolyte. Quelques péripéties plus tard, Hippolyte et Aricie se retrouvent et pressent la déesse Diane de bénir leur union; or, elle n’en a pas le temps puisqu’Hippolyte est englouti par un monstre marin, drame dont Phèdre se sent responsable. Thésée, dans le même temps, apprend la vérité sur les fausses relations entre son fils et Phèdre, qui a fini par se suicider; fou de désespoir, il veut également mettre fin à ses jours mais son geste est stoppé par Neptune qui lui apprend que Hippolyte a été sauvé par Diane et n’est donc pas mort. Même si Thésée est condamné à ne jamais revoir son fils, la fin s’avère relativement heureuse puisque Hippolyte et Aricie se retrouvent pour, enfin, filer le parfait amour.


Dès le début du Prologue, Le Concert d’Astrée se montre sous son meilleur jour. Les sonorités des quatre flûtes emplissent la salle pourtant fort grande du Palais Garnier qui, tout au long de la représentation, parviendra à ne pas nuire au caractère souvent intimiste de cette musique. Plusieurs instrumentistes (Jocelyn Daubigney à la flûte, magnifique dans son duo avec David Plantier au violon lorsqu’ils échangent avec l’Amour dans l’air «Rossignols amoureux, répondez à nos voix» à la dernière scène de l’acte V, les hautboïstes et bassonistes, les deux cornistes Jeroen Billiet et Yannick Maillet) intervinrent fréquemment en qualité de solistes: ils furent tous irréprochables. Irréprochables d’ailleurs à l’image des tutti, Emmanuelle Haïm dirigeant l’ensemble avec une conviction et une implication toujours aussi visuelles. La conjonction entre voix et instruments fut ainsi particulièrement remarquable dans certains solos (celui de Thésée à la scène 4 de l’acte II, «Puisque Pluton est inflexible»), duos (le duo entre Hippolyte et Aricie qui concluait la scène 2 de l’acte I) et chœurs (à la scène 7 de l’acte III, «Que ce rivage retentisse»). Instrumentalement, ce fut une donc très belle réussite, à n’en pas douter.


Côté chant, on eut droit à une belle équipe, cohérente et convaincante, qui fut dominée non par les héros mais par deux rôles secondaires, en tout cas sur le papier. Comment ne pas commencer par l’exceptionnelle prestation de Stéphane Degout, Thésée parfait, balloté entre ses désirs de vengeance et ses vagues à l’âme bien compréhensibles face aux divers malheurs et déconvenues qui le frappèrent? D’une voix chaude et puissante, mais parfois teintée (volontairement) d’une certaine fragilité, Degout s’impose immédiatement (ses airs «Le péril d’un ami si tendre» à la deuxième scène de l’acte II, épaulé par une très belle intervention des bassons, «Puisque Pluton est inflexible» et surtout «Puissant maître des flots, favorable Neptune» à la scène 9 de l’acte III). Sa présence (renforcée, nous y reviendrons, par ses magnifiques costume et maquillage) est indéniable et l’on comprend facilement qu’il ait été le grand vainqueur à l’applaudimètre du public. Egalement ovationnée à juste titre, Jaël Azzaretti, qui incarnait L’Amour. Fil conducteur de l’histoire, du Prologue à la fin de l’acte V, la jeune cantatrice allie une voix superbe, d’une finesse et d’une pureté incroyables (notamment dans des aigus souvent périlleux), et un vrai sens du théâtre. Dans le rôle de Phèdre, Sarah Connolly est également excellente: on retiendra tout particulièrement son duo avec Hippolyte à l’acte III («Vous, l’objet de ma haine?», scène 3) et son air concluant la scène 4 de l’acte IV, où elle mêle là aussi très adroitement des sentiments divers, colère et désespoir, rébellion et abattement.


Plusieurs chanteurs offrent également une belle prestation: Andrea Hill, juste et touchante dans le rôle de Diane, Salomé Haller et François Lis (quel Jupiter!) notamment. Si Anne-Catherine Gillet incarne une belle Aricie, on est en revanche franchement déçu par Topi Lehtipuu qui n’est qu’un bien pâle Hippolyte, peu convaincant, lui-même semble-t-il peu convaincu, et dont la diction demande en plus d’une occasion à être perfectionnée. Le Chœur du Concert d’Astrée (les nymphes de Diane dans le Prologue, les chasseurs à l’acte IV) répond, pour sa part, toujours présent et participe pleinement au succès.


Si Emmanuelle Haïm était très attendue dans cet opéra qu’elle a déjà dirigée à Toulouse en mars 2009, Ivan Alexandre, directeur de la rédaction d’un mensuel bien connu consacré à la musique classique, était également sous les feux des projecteurs. On ne s’improvise pas metteur en scène: pour autant, le succès de ce spectacle est indéniable, là encore. La grande qualité d’Ivan Alexandre a été de créer une mise en scène qui serve la musique et non qui se fasse plaisir comme c’est malheureusement trop souvent le cas, y compris dans les maisons d’opéra les plus traditionnelles. Ainsi, on retrouve la gestique du XVIIIe siècle, qui frappe par sa grâce en dépit d’un inévitable statisme que l’on peut parfois regretter. On peut déplorer certains dialogues où, comme dans l’acte I, les deux protagonistes se trouvent à près de dix mètres l’un de l’autre et ne croisent jamais leurs regards, préférant chanter l’un comme l’autre en direction du public. On peut également regretter certaines poses trop statiques et le fait que les déplacements sur la vaste scène du Palais Garnier soient trop souvent empreints d’un mimétisme artificiel (les figurants sur la partie gauche de la scène adoptant exactement les mêmes poses que ceux de la partie droite).


Pour autant, le spectacle est généralement convaincant, servi par des ballets dignes du Grand Siècle qui venait de s’achever et de décors de toute beauté. Et c’est là un autre aspect de cette belle mise en scène: les décors (un jardin, des ruines...) sont changés de façon ostensible, les cordages apparaissent, les plateaux se succèdent sans volonté de cacher quoi que ce soit. On y verra un bel hommage à toutes ces machineries qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, contribuaient à faire de l’opéra un spectacle total. Enfin, on y a fait allusion: la réussite fut magnifiée par le soin extrême apporté au maquillage (encore une fois, on soulignera notamment celui de Thésée, aux traits volontairement émaciés), aux lumières (la manière dont Diane était éclairée alors qu’elle descendait d’une nacelle ensoleillée) et par des costumes (le rouge de la tunique de Phèdre, le noir de la robe d’Œnone) imaginés par le talentueux Jean-Daniel Vuillermoz.


Dans son Eloge de Rameau, Michel Paul Guy de Chabanon écrivait en 1764: «L’Opéra d’Hippolyte est décrié, ses représentations sont abandonnées (...); M. Rameau soutient ce revers sans être abattu. "Je me suis trompé, dit-il; j’ai cru que mon goût réussirait; je n’en ai point d’autre... Je n’en ferai plus"». On ne peut que se féliciter de voir que Rameau a heureusement tourné le dos à ses idées noires initiales: la représentation de cet Hippolyte et Aricie aura ainsi parfaitement démontré que le goût de Rameau a encore de beaux jours devant lui.


Le site du Concert d’Astrée
Le site de Sarah Connolly
Le site d’Andrea Hill
Le site de Salomé Haller
Le site de Marc Mauillon
Le site de Topi Lehtipuu
Le site de Nicholas Mulroy
Le site d’Aimery Lefèvre
Le site de Jérôme Varnier



Sébastien Gauthier

 

 

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