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Un Figaro inattendu

Madrid
Teatro Real
03/25/2012 -  & 28*, 27, 30 mars, 1er avril 2012
Saverio Mercadante: I due Figaro

Mario Cassi (Figaro), Eleonora Buratto (Susanna), Annalisa Stroppa (Cherubino), Antonio Poli (Le Comte Almaviva), Asude Karayavuz (La Comtesse), Rosa Feola (Inez)

Speranza Scappucci (fortepiano/continuo), Philharmonia Chor Wien, Walter Zeh (chef du chœur), Orchestra Giovanile Luigi Cherubini, Riccardo Muti (direction musicale)
Emilio Sagi (mise en scène), Daniel Bianco (décors), Jesús Ruiz (costumes), Eduardo Bravo (lumières)


E. Buratto (© Javier del Real)



Une surprise. Très agréable, d’ailleurs. La résurrection de I due Figaro, de Saverio Mercadante, nous permet de récupérer un bijou caché depuis presque 180 ans. On attendait avec impatience ce titre inconnu, mais on ne s’attendait pas une musique aussi belle. C’est une coproduction du Teatro Real de Madrid et des Festivals de la Pentecôte de Salzbourg et Ravenne.



On croirait entendre du Rossini, du pur Rossini. Certes, mais on peut rajouter: de la même façon que Rossini s’inspire de temps en temps, souvent même de sa propre musique. Cet opéra n’est pas un pastiche; il s’agit d’une œuvre de qualité, gaie, espiègle, vive, dans la tradition rossinienne en vigueur cette époque-là, avec une économie de moyens propre à Mercadante. Il y a les crescendos, certainement, il y a les tempi, les ensembles, les lignes vocales, les conventions de l’époque, et qui pour nous sont essentiellement celles de Rossini, mais il n’était pas le seul. De toute façon, dans cet opéra on peut également percevoir en filigrane Donizetti et Bellini, deux compositeurs un peu plus jeunes que Mercadante ; voire même de Mozart, celui-ci un peu oublié (dans son purgatoire, peut-être) au moment de la composition de I due Figaro. Cette œuvre est composée pour Madrid, vers la deuxième moitié des années 1820, pendant l’absolutisme tardif et brutal de Ferdinand VII, récupérant sa position de monarque absolu grâce à l’intervention des Dix mille fils de Saint Louis (l’un des cadeaux français et européens à la réaction espagnole, et ce ne sera pas le dernier). Mais l’opéra n’aura sa première qu’en 1835, déjà pendant les premières années du libéralisme espagnol, après la mort du « roi félon », et pendant la première guerre civile « carliste ».



Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais, raconte une péripétie de la fin de l’Ancien Régime. Davantage que Le Barbier de Séville. La pièce de Martelly, composée pendant les moments de reflux de la Révolution, vers 1795, attaque Beaumarchais à travers son personnage, Figaro. « Il birbo Figaro, vinto sarà », pourrait être la devise de Martelly. Il favorise les personnages féminins, surtout Susanna, et aussi Cherubino. Les exploits de ces personnages sympathiques et pleins d’esprit contrastent avec la ruse et la fourberie de Figaro, ici un personnage peu sympathique. On peut se souvenir du traitement d’Ulysse dans le théâtre grecque conservé : héros intelligent, astucieux et sage en même temps, qui mérite la protection de la déesse; ou l’opportuniste immoral sans scrupules. Ulysse pourrait être le symbole, ou le symptôme, d’une classe ascendante vers la fin de l’élaboration de l’épopée homérique et pendant la crise du Ve siècle (avant J.-C.) athénien, de la même façon que Figaro est un homme nouveau (un simple valet, pour l’instant) « prodigue en ressources ». Martelly, en attaquant Figaro, attaque la lutte des classes dessinée dans Le Mariage de Figaro et conservée en partie, malgré l’édulcoration obligée de la Vienne des années 1780, dans l’opéra de Da Ponte et Mozart.



Mercadante compose son opéra espagnol à partir d’un livret de Felice Romani, le dramaturge de Bellini, pendant son séjour dans la capitale de l’Espagne. Son opéra rossinien est riche en rythme, modes, et mélodies tout à fait espagnoles : boléro, fandango, polo, cachucha, seguidillas. Le fandango est presque identique à celui de Mozart dans son Figaro. L’ouverture est une très belle et très vive parade de thèmes espagnols, et cela nous prépare déjà à l’action de la très « folle journée » avec ses crescendos et ses danses inquiètes.



Ce « sauvetage » est l’œuvre de Riccardo Muti et de Gérard Mortier. Quel flair, vraiment ! C’est une véritable découverte. Les seuls opéras du napolitain Saverio Mercadante encore considérés pendant le XXe siècle était Il giuramento et Il bravo, c'est-à-dire tout le contraire de cet exemple d’opera buffa vu au Teatro Real de Madrid. La récupération est un des phénomènes du monde de la musique et du théâtre d’opéra de ces dernières décades. En entendant ce Mercadante et les autres plus ou moins « en vigueur », qui nous rappellent des compositions plus tardives, par exemple Verdi, on peut dire qu’il serait juste de récupérer d’autres opéras du napolitain. Mais on ne sait jamais si cela sera le maillon d’une chaîne ou une aventure isolée. Pour l’instant on a savouré à Madrid ces Due Figaro inconnus (l’autre Figaro est Cherubino doublement travesti).



On est vingt ans après la « folle journée » et Cherubino, déguisé, est le fiancé secret d’Inez, la fille des Comtes ! Cherubino est toujours un rôle travesti, il n’est plus tout jeune, mais après tout on n’est pas dans le monde un peu pessimiste et larmoyant de La Mère coupable, le troisième volet de la trilogie de Figaro et Almaviva, moins fortunée que les deux premiers; encore moins dans le pessimisme total d’Ödön von Horváth dans Figaro lässt sich scheiden (Figaro divorce, 1937), la pièce qui inspira un opéra malheureusement méconnu et dont il n’existe pas d’enregistrement de Giselher Klebe (1963).



Pour l’aventure, Muti, à l’aise dans les répertoires napolitain, mozartien, rossinien, verdien, etc., mais moins dans ceux d’Europe Centrale, est face à son ensemble de jeunes musiciens Orchestra Giovanile Luigi Cherubini, le petit chœur Philharmonia de Vienne et un groupe de jeunes chanteurs (parfois trop jeunes pour leur rôle) de très bon niveau. Les voix protagonistes masculines sont adéquates, sans toutefois rien d’extraordinaire. Le ténor Antonio Poli est vraiment trop jeune pour incarner le Comte, aussi jeune que « sa fille ». Mario Cassi est un Figaro moyen pour ce rôle peu sympathique, on l’a vu. Susanna a moins de vingt-ans; Eleonora Buratto est belle, ravissante, malicieuse, avec un sens de la comédie parfait et équilibré, plein de grâce, de distinction populaire : adorable, elle est celle-là même qui prépare ses noces avec Figaro. Elle est protagoniste de fait avec Cherubino, où Annalisa Stroppa se situe aussi à un très bon niveau déployant une verve contagieuse. La mère et la fille (on dirait deux copines qui vont prendre un café « chez Rosina ») sont très bien chantées par Asude Karayavuz et Rosa Feola. La distribution est presque entièrement italienne. C’est un opéra italien d’un bout à l’autre, mais avec des couleurs, des détails et des rythmes espagnols.



Muti excelle, inutile de s’appesantir sur ce qui est clair pour tout le monde. Ce n’est pas un opéra trop compliqué, au moins comparé aux les exploits du formidable directeur napolitain ovationné à Madrid comme un divo d’opéra. Mortier et Muti on eu la chance d’avoir un metteur en scène sensible, avec un sens de l’humour certain et le sens de ce qui est populaire. Emilio Sagi est un homme de théâtre élégant qui sait rire quand il le faut et qui ne se met jamais en contradiction avec l’esprit de l’opéra qu’on lui propose de monter. Il a d’ailleurs signé quelques notoires mises en scènes du Barbier de Séville et des Noces de Figaro. Sagi cherche le sens qui reste à une œuvre après l’usure du temps. Il est considérablement aidé ici par la beauté des costumes de José Ruiz et des décors de Daniel Bianco.



Cinq soirées seulement. D’accord, ce n’est pas Mozart, mais cette exhumation valait vraiment la peine. Et le pari n’était pas gagné d’avance, ni par Mercadante ni par le Teatro Real: faire de Figaro un petit vilain est risqué. On ne badine avec Figaro, c’est lui d’habitude qui se moque de tout le monde. Et puis, il y a Susanna-Eleonora, qui danse, qui rit, qui triche, et qui est, en plus, une virtuose de l’éventail !



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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