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Déluge visuel compulsif

Paris
Théâtre du Châtelet
03/17/2012 -  et 19*, 21, 23, 28 mars 2012
Joseph Haydn : Orlando paladino, Hob.XVIII.11

Kresimir Spicer (Orlando), Ekaterina Bakanova (Angelica), Pascal Charbonneau (Medoro), Anna Goryachova (Alcina), Joan Martiìn-Royo (Rodomonte), Raquel Camarinha (Eurilla), Bruno Taddia (Pasquale), Adam Palka (Caronte), David Curry (Licone)
Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction musicale)
Kamel Ouali (mise en scène et chorégraphie), Nicolas Buffe (décors, costumes et conception visuelle), Renaud Corler (lumières)


D. Curry (© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet)


Il est 20 heures quand un microphone s’avance sur la scène pour nous annoncer que la représentation de ce soir serait dédiée à la mémoire des enfants juifs assassinés dans la fusillade toulousaine. Nous ne nous attarderons pas sur la référence à ce drame, mais l’on admirera au moins son à-propos, avec un spectacle que l’on croirait conçu pour un jeune public.


De l’immense production de Haydn, la postérité a ostensiblement boudé ses opéras. Mais il semble que l’on se penche désormais sur les tiroirs négligés du génie du compositeur autrichien. Après Lo speziale et Il Mondo della Luna, avant La vera constanza à Rouen le mois prochain, voici un Orlando paladino (1782) haut en couleur au Théâtre du Châtelet. Si l’ouvrage n’est pas un chef-d’œuvre oublié, ce drame héroïco-comique, à la verve et à la parodie alertes, mérite cependant le détour. Le sujet, tiré de l’Arioste, narre, avec force rebondissements, les aventures du chevalier Orlando. On y retrouve la magicienne Alcina, familière aux haendéliens. La minceur psychologique des caractères l’apparente aux premiers Mozart: leur pusillanimité fait songer parfois à Bastien et Bastienne, preuve que la jeunesse n’a pas d’âge – Haydn avait cinquante ans quand il a écrit l’opéra. Les couleurs orchestrales, mêlant fraîcheur et franchise, relèvent de l’esthétique Sturm und Drang. On reconnaît plus d’un écho de Gluck – l’air de Caron semble revêtir les parures abandonnées par le «Ballet des ombres heureuses» d’Orphée et Eurydice.


Incitant à l’humour et à une vision décalée, les ressorts dramatiques s’accommodent plutôt bien de la scénographie très bigarrée de Nicolas Buffe, inspirée par l’univers du manga et des cartoons. Une fois franchi le choc du ridicule des déguisements – l’arrivée d’Eurilla en grenouillère de vinyle vert est un des sommets du genre – on se laisse aller au déluge visuel compulsif réglé par Kamel Ouali. Cela a le mérite d’exploiter sans retenue le filon du second degré, en symbiose avec l’absence de sérieux d’un livret passablement échevelé. On retiendra les apocopes Rodo et Orlo gravées sur les totems des personnages, ou encore la décapitation du dragon gonflé à l’hélium. Cependant, l’agitation chorégraphique qui tient lieu de direction d’acteurs aplanit quelque peu les ressources comiques de l’œuvre. La volonté d’en rendre les clins d’œil compréhensibles aux spectateurs d’aujourd’hui est certes louable, mais pourquoi limiter l’air parodique de Pasquale à un jeu avec la poursuite lumineuse – la cinétique théâtrale des dessins animés se limite-t-elle à cela? – alors que la partition s’amuse avec un vaste éventail de la grammaire musicale – et fait songer au Maestro di cappella de Cimarosa, donné en concert en janvier salle Favart. Une telle dynamique a au moins l’avantage de maintenir le public en éveil, à défaut de susciter une hilarité à laquelle la bouffonnerie de Haydn inviterait pourtant. On pourra toutefois rester pensif quant aux travestissements ambigus des héros de nos enfants, accoutrés pour des jeux de grandes personnes – et parfois passablement connotés à l’instar de l’Orlando en similicuir noir et chaînes à la taille...


Cette frénésie semble en tous cas électriser l’Ensemble Matheus, placé sous la baguette volatile de Jean-Christophe Spinosi: il ménage les contrastes plein d’effets qui sont un peu sa griffe sonore, au prix d’un appauvrissement relatif des textures orchestrales – en particulier le médium. Mais on ne boudera pas devant une aussi franche bonne humeur, communicative à un plateau sémillant et plutôt homogène. Kresimir Spicer compose un Orlando à la ligne longue et séduisante dans le mezza voce, mais à la virtuosité çà et là perfectible. Ekaterina Bakanova au contraire n’éprouve nulle difficulté devant les ornementations et les aigus triomphants que réclament la partie réservée à Angelica. Raquel Camarinha compense avec un cabotinage avenant les dimensions un peu étriquées de sa voix, aux accents idoines néanmoins pour cet emploi de soubrette. Anna Goryachova contraste avec son mezzo à la rondeur toute slave, même si l’on peut regretter quelques décrochages passagers au milieu de la soirée. Pascal Charbonneau rayonne de clarté et de nasalité en Medoro tandis Joan Martiìn-Royo n’économise pas la vindicte de Rodomonte. Plus théâtral que belcantiste, Bruno Taddia donne au personnage de Pasquale une incontournable présence. Licone revient avec pertinence à David Curry et Adam Palka s’acquitte honorablement des répliques confiées à Charon.


Par-delà les récupérations opportunistes, cet Orlando paladino réveille notre âme d’enfant, et l’on pardonnera à Kamel Ouali, chorégraphe évoluant plutôt dans la comédie musicale, de négliger parfois les codes du répertoire lyrique, n’étant pas du sérail. Il faut bien un peu de divertissement...



Gilles Charlassier

 

 

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