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Contrairement à Shakespeare

Versailles
Opéra royal
03/15/2012 -  
Georg Friedrich Händel : Ariodante, HWV 33

Sarah Connolly (Ariodante), Marie-Nicole Lemieux (Polinesso), Karina Gauvin (Ginevra), Sabina Puertolas (Dalinda), Nicholas Phan (Lurcanio), Matthew Brook (Re di Scozia)
Il complesso barocco, Alan Curtis (direction)


S. Connolly (© Peter Warren)


Encore un opéra tiré du vaste poème épique Orlando urioso (1516) de L’Arioste (1474-1533)! On ne compte plus en effet le nombre d’œuvres musicales ou picturales qui se sont inspirées de ces quarante-six chants, Georg Friedrich Händel (1685-1759) y ayant lui-même puisé l’intrigue de ses opéras Orlando et Alcina. Œuvres musicales et picturales mais œuvres théâtrales également, puisque William Shakespeare s’est notamment inspiré du chant V d’Orlando furioso (Ariodante e Genevra) pour écrire sa tragi-comédie Beaucoup de bruit pour rien (1599), l’intrigue puisant également quelques racines dans la vingt-deuxième des Nouvelles de Matteo Bandello (1480-1564). Le parallèle avec l’illustre dramaturge n’est pas innocent puisque c’est la même histoire qui sert de trame à l’action d’Ariodante, Händel s’étant fondé pour cet opéra en trois actes sur un livret d’Antonio Salvi, Ginevra, principessa di Scozia.


L’époque de la composition d’Ariodante est une période difficile pour Händel. Sa domination sur la scène londonienne est remise en cause au point qu’une cabale est montée contre lui à l’initiative semble-t-il du célèbre castrat Senesino, qui conduit à la création de ce que l’on appellera l’Opéra de la noblesse («Opéra à Lincoln’s Inn Fields»), qui investit d’ailleurs rapidement le King’s Theatre, lieu jusqu’alors privilégié des créations händeliennes. Privé de ses chanteurs (Bertolli, Gismondi...) et musiciens, concurrencé par Hasse et Porpora, Händel se retire dans un autre théâtre, celui de Covent Garden (alors géré par l’imprésario John Rich), avec le soutien essentiel non seulement du Roi et de la Reine mais aussi de la princesse Anne, son élève, alors que le frère de cette dernière, le prince de Galles, avait plutôt tendance à soutenir l’Opéra de la noblesse (tout en continuant d’ailleurs à verser régulièrement des subsides à Händel...). Ariodante est finalement créé à l’Opéra de Covent Garden en janvier 1735: le succès est modeste (neuf représentations seulement auxquelles s’ajoutent deux reprises l’année suivante) et sera rapidement éclipsé par celui, bien éclatant celui-là, d’Alcina, créé en avril de la même année.


Pourtant, quel chef-d’œuvre, à commencer par un livret qui, ce n’était pas toujours le cas à l’époque, s’avère parfaitement cohérent et crédible – on regrettera d’autant plus que quelques scènes aient été coupées pour la représentation de cette soirée versaillaise. Ginevra, fille du roi d’Ecosse (contrée où est censée se situer l’action), est amoureuse d’Ariodante, tout en étant aimée de Polinesso qu’elle a en horreur. Devant vaincre non seulement un amour intense mais, au surplus, béni par le Roi lui-même, Polinesso souhaite se venger et parvient à convaincre Dalinda, servante de Ginevra, de renoncer à ses attraits pour Lurcanio (frère d’Ariodante) pour jouer la comédie en se déguisant en Ginevra une fois le soir tombé. Il espère ainsi détacher Ariodante de Ginevra, estimant qu’il lui sera ensuite aisé de s’imposer auprès de la fille du Roi. Aussi, devant les yeux ébahis d’Ariodante, Polinesso et Dalinda jouent la comédie comme cela était prévu: fou de douleur, Ariodante sombre dans une profonde douleur et manque de se suicider, ne serait-ce la vigilance de Lurcanio qui l’empêche de commettre le geste fatal. Averti de ces divers faits (le suicide d’Ariodante, dont il ignore qu’il n’est finalement pas survenu, et la responsabilité de sa fille), le Roi ne peut que prononcer la condamnation à mort de Ginevra. Ariodante, qui a entre temps sauvé Dalinda (Polinesso souhaitant se débarrasser d’un témoin bien gênant pour lui), souhaite en finir avec Polinesso mais c’est finalement Lurcanio qui tue ce dernier lors d’un tournoi. La vérité éclate finalement et les deux couples (Ariodante et Ginevra, Lurcanio et Dalinda) se retrouvent au milieu de la liesse générale.


Alan Curtis connaît son Ariodante. Il l’a dirigé à maintes reprises, que ce soit en juillet 2007 au Festival de Spoleto (l’enregistrement a d’ailleurs fait l’objet d’un DVD assez décevant), au Barbican Centre et au Théâtre des Champs-Elysées en mai 2011, à Turin en septembre de la même année, l’ayant d’ailleurs enregistré avec cette même équipe de chanteurs dans un coffret paru chez Virgin Classics. On pouvait craindre, comme ce fut parfois le cas (voir ici), une direction trop lisse, voire ennuyeuse de la part du chef américain: rien de tel ce soir. Bénéficiant d’un Complesso barocco idéal, jouant d’une battue assez monotone mais indéniablement efficace, Alan Curtis donne toutes ses lettres de noblesse à la partition, permettant aux cors (dans l’introduction de l’air du Roi «Voli colla sua tromba», à la scène 7 de l’acte I) ou au basson (bien évidemment dans l’air célébrissime d’Ariodante «Scherza infida», acte II, scène 3) de donner la mesure de leurs talents. Que dire également des cordes, véloces, joyeuses ou emplies d’une incommensurable douceur ou douleur? A ce titre, impossible de passer sous silence le rôle fondamental joué par Dmitry Sinkovsky en sa qualité de violon solo. Posté sur une estrade, c’est fréquemment vers lui que les regards des musiciens de l’orchestre se tournent, qu’il s’agisse d’assurer la mise en place ou de donner la couleur idoine à tel ou tel passage: l’enthousiasme avec lequel il joue, le charisme qu’il dégage en font un des principaux artisans de la réussite de ce concert.


Que dire également de l’équipe des six chanteurs réunis ce soir pour cette version de concert d’Ariodante sinon qu’elle a été idéale? Matthew Brook campe un excellent Roi, partagé entre ses devoirs de souverain et ses sentiments paternels (qu’il s’agisse de l’air si plaintif «Invida sorte avara» à l’acte II, scène 6, ou de son duo avec sa fille Ginevra à la scène 5 de l’acte III), jouant ainsi sur l’ambiguïté et les fêlures du personnage. Le jeune Nicholas Phan est tout bonnement excellent dans le rôle de Lurcanio: là aussi, la vélocité de sa voix (l’air «Il tuo sangue, ed il tuo zelo» à l’acte II, scène 8) n’a d’égale que sa finesse, notamment dans un duo avec Dalinda (la scène 10 du dernier acte) à faire chavirer le cœur le plus sec qui soit. Restons-en d’ailleurs à nos jeunes amants puisque la prestation de Sabina Puertolas dans le rôle de Dalinda doit également être saluée: sa voix, juvénile mais point fragile pour autant, contribue à donner du caractère à une personnalité ballotée entre les désirs et stratagèmes des uns et des autres. Grande fidèle d’Alan Curtis, Karina Gauvin fut une magnifique Ginevra: on connaît la suavité de sa voix, son timbre ambré, la retenue avec laquelle elle est capable de faire sourdre le moindre sentiment... Elle fait de nouveau montre d’une voix exceptionnelle dans l’air «Volate, amori, di due bei cori» (air joyeux de la scène 6, acte I) ou dans les passages plus recueillis que sont «Il mio crudel martoro» (scène finale de l’acte II) et «Così mi lascia il padre?» (acte III, scène 6), accompagnée par le violoncelle solo idéal de Mauro Valli.


La prestation de Marie-Nicole Lemieux est, étrangement peut-être, celle qui déçoit le plus dans cette soirée, encore que tout soit bien évidemment relatif: la chanteuse québécoise possède le rôle de Polinesso comme personne mais, en raison peut-être de sa générosité naturelle, elle a tendance à en faire trop, parfois au détriment de la stabilité et de la justesse de son chant (cela fut aisément vérifiable dans la scène 5 de l’acte II). Pour autant, Marie-Nicole Lemieux incarne un Polinesso plus abject que jamais, jouant de sa voix avec une aisance tout à fait déconcertante (l’air «Tutto sarà per te poscia il mio core», acte I, scène 9). Initialement, c’est Joyce DiDonato qui devait incarner le rôle-titre d’Ariodante; celle-ci, souffrante, est remplacée par Sarah Connolly. Quelle réussite! Bénéficiant d’une voix d’une pureté et d’une précision remarquables (son entrée dans l’air «Qui d’amor nel suo» à la scène 5 de l’acte I), elle confère immédiatement au personnage d’Ariodante un charisme et une présence qui justifient les ovations qui ont conclu chacun de ses airs. Epaulée par Dmitry Sinkovsky au violon, Sarah Connolly déclame ainsi un «O felice mio core» (acte I, scène 8) tout en retenue, renforçant son chant par de légers soupirs qui lui donnent toute sa signification. Et que dire des airs «Scherza infida» (acte II, scène 3) et «Doppo notte atra e funesta» (acte III, scène 9), sinon que ce furent des sommets absolus?


Face à une telle réussite, on émettra donc un seul regret: qu’Ariodante n’ait été donné dans le somptueux cadre de l’Opéra royal qu’une seule fois. A n’en pas douter, s’il avait été programmé à plusieurs reprises, il y a fort à parier que le public de cette soirée mémorable se serait de nouveau croisé. Signalons néanmoins, en guise de lot de consolation que, le Château de Versailles programme un Festival Händel du 8 juin au 13 juillet prochain, mêlant opéras (Orlando, Giulio Cesare, Tamerlano, Serse...), musique religieuse (Le Messie, Israël en Égypte, Saül) et orchestrale, où l’on pourra croiser aussi bien Harry Christophers que Cecilia Bartoli, Ottavio Dantone que Robert King, Alan Curtis que Christophe Rousset... Qu’ajouter à un tel tableau si ce n’est qu’on attend l’été avec impatience?


Le site de Sarah Connolly
Le site de Marie-Nicole Lemieux
Le site de Karina Gauvin
Le site de Matthew Brook
Le site de Nicholas Phan
Le site d’Il complesso barocco



Sébastien Gauthier

 

 

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