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Debussy fantastique

Paris
Amphithéâtre Bastille
02/29/2012 -  et 1er*, 3, 5 mars 2012
Claude Debussy : Children’s Corner: «The snow is dancing» – Le Diable dans le beffroi (esquisses) – La Chute de la maison Usher – Beau soir (*) – Trois Mélodies: «Le son du cor s’afflige» (#) – Chanson de Bilitis: «La Chevelure» (+) – Préludes (Premier Livre): «Des pas sur la neige» – Fêtes galantes II: «Colloque sentimental» (&)

Philip Addis (&) (Roderick Usher), Valérie Condoluci (+) (Madeline Usher), Alexandre Duhamel (#) (Le médecin), Damien Pass (*) (L’ami), Alexandre Pavloff (Narrateur, L’ami)
Jeff Cohen (piano, direction musicale)
Jean-Philippe Clarac, Olivier Deloeuil (conception et mise en scène), Rick Martin (scénographie et lumières), Katherine McDowell (costumes)


V. Condoluci, A. Duhamel, P. Addis
(© Opéra national de Paris/Elisa Haberer)



Si les «anniversaires» que le monde musical a pour habitude de célébrer peuvent agacer, notamment parce qu’ils s’intéressent le plus souvent à des compositeurs dont la notoriété est solidement établie, c’est néanmoins l’occasion de découvrir les recoins les moins fréquentés de leur catalogue. L’«année Debussy» ne fait pas exception: Natalie Dessay explore ses mélodies de jeunesse et l’Opéra national de Paris, parallèlement à la reprise de la production de Pelléas et Mélisande dans la célèbre mise en scène de Bob Wilson, associe en une seule soirée à l’Amphithéâtre Bastille deux de ses opéras inachevés.


Tous deux inspirés par des nouvelles de Poe et inscrits au programme de la saison 1911-1912 de l’Opéra-Comique, ils devaient en même temps répondre à une commande du Met: quelques années avant que Puccini ne conçoive son Triptyque pour la maison new-yorkaise, Debussy envisageait en effet un diptyque, mais ne mena à bien aucune des deux partitions. De moindre ampleur que Rodrigue et Chimène (1893), dont Edison Denisov établit une édition tout juste un siècle plus tard, elles restent en outre dans un état moins avancé. Entamé dès 1902, avec à la clef un contrat chez Durand, Le Diable dans le beffroi, «conte musical» en deux actes et trois tableaux, fut abandonné en 1911 et ne consiste qu’en quelques esquisses squelettiques: difficile d’imaginer cette «pièce chorale, où l’unique soliste, qui incarne le Diable, devait non pas chanter mais siffler son rôle» qu’évoque le programme de salle, d’autant que le pianiste et directeur musical de cette entreprise, Jeff Cohen, ne dissimule pas les nombreuses difficultés de restitution auxquelles les interprètes sont confrontés («Debussy avait la réputation de ne pas noter sur ses partitions manuscrites les altérations accidentelles, les dièses et les bémols»...). Quant à l’acte unique et aux deux tableaux de La Chute de la maison Usher, le travail accompli entre 1908 et 1917, date de remise à l’éditeur du livret (d’après la traduction de Baudelaire), paraît plus substantiel et a même fait l’objet à la fin des années 1970 d’une réalisation orchestrale par le Chilien Juan Allende-Blin (né en 1928), enregistrée sous la direction de Georges Prêtre (EMI). Cela étant, une partie significative de la scène finale consiste en des dialogues parlés, non sans susciter des regrets quant à la forme définitive qu’aurait pu prendre cette musique à l’impact dramatique déjà impressionnant, entre l’une de ces tempêtes où Debussy excelle décidément (La Mer, «Ce qu’a vu le vent d’ouest») et un poignant monologue de Roderick Usher.


Voilà qui serait cependant fort court si le spectacle ne durait finalement 80 minutes (sans entracte): c’est qu’il s’ouvre sur «The snow is dancing», extrait de Children’s Corner (1908) et intègre quatre mélodies – Beau soir (1891), «Le son du cor s’afflige», deuxième des Trois Mélodies de 1891, «La Chevelure», deuxième des trois Chanson de Bilitis (1898) et «Colloque sentimental», deuxième des trois pièces du cycle Fêtes galantes II (1904), qui donnent l’occasion à chacun des rôles de mieux se mettre en valeur – ainsi que l’un des Préludes du Premier Livre (1910), «Des pas sur la neige», qui, dans ce nouveau contexte, prend une étrange apparence de lancinante marche funèbre. L’insertion de ces pièces rapportées ne contribue pas vraiment à accélérer le rythme d’une action déjà passablement statique et présente un double inconvénient: introduire des ruptures stylistiques en faisant alterner des périodes de création assez différentes et, surtout, desservir des pages nécessairement insatisfaisantes en les confrontant à des œuvres non seulement achevées mais plus abouties.


Cela étant, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, concepteurs et metteurs en scène, ont imaginé un dispositif tout à fait cohérent. Dès les images projetées sur un grand drap blanc, celles d’une enfance idéalisée, sans doute du frère et de la sœur dans leur jeune âge, le livre – en l’occurrence un recueil à l’effigie de Poe – est au centre de la scénographie de Rick Martin, qui en assure également la mise en lumières. Une fois tombé, le drap révèle près de cinq cents volumes disséminés dans une bibliothèque sans fond formée de cinq panneaux juxtaposés, dont les deux latéraux peuvent pivoter à 45 degrés vers le public. Certains ouvrages sont déjà par terre, formant des pas japonais, d’autres seront ensuite empilés en sièges de fortune ou, joints à des étagères, en forme de cercueil pour Madeline. Le large espace entre les livres sur les rayonnages laisse le champ libre aux éclairages venus de l’arrière, d’abord presque aveuglants puis de plus en plus sépulcraux.


Le Diable, récit à la fois fantastique et grotesque, est lu, dit, mimé, murmuré, vociféré tour à tour par un sociétaire du Français fascinant d’excentricité imprévisible, Alexandre Pavloff, dont la voix est parfois sonorisée et qui se déplace jusque dans les rangs du public pour le prendre à parti. Il fait ainsi office de prologue à La Chute: le narrateur devient le double de l’ami qui vient rendre visite aux Usher, mimant ses mouvements et se partageant les parties parlées avec le chanteur titulaire du rôle, l’excellent Damien Pass, pensionnaire de l’Atelier lyrique. Bénéficiaire lui aussi du programme de perfectionnement de l’Opéra de Paris, Alexandre Duhamel confère au médecin une pleine autorité musicale et dramatique. Yeux dessinés d’un pourtour rouge, en costumes de voiles noirs créés par Katherine McDowell, Roderick et Madeline offrent l’image de la douleur et de la folie: Valérie Condoluci, à défaut d’un timbre séduisant, adopte le ton juste et Philip Addis, qui fut déjà un Pelléas juvénile et crédible à Favart voici deux ans, réussit de nouveau ici une incarnation vocalement et scéniquement saisissante.



Simon Corley

 

 

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