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Démocratie musicale

Paris
Cité de la musique
02/24/2012 -  et 10 (Dijon), 12 (Sénart), 23 (Le Havre) février 2012
Ludwig van Beethoven : Coriolan (Ouverture), opus 62 – Symphonie n° 6 «Pastorale», opus 68
Brice Pauset : Maus Frosch
Joseph Haydn : Quatuor n° 78 «Sonnenaufgang», opus 76 n° 4

Quatuor Raphaël: Pierre Fouchenneret, Pablo Schatzman (violon), Arnaud Thorette (alto), Maja Bogdanovic (violoncelle), Les Dissonances, David Grimal (direction)


(© Gilles Abegg)


Constitué il y a un peu plus de huit ans, l’ensemble Les Dissonances a tout de l’orchestre de rêve, tant il rassemble de talents. Qu’on en juge plutôt: les chefs de pupitre ont pour nom Lise Berthaud à l’alto, Xavier Phillips au violoncelle, Maria Chirokoliyska à la contrebasse (qui exerce les mêmes fonctions au National), Alexandre Gattet au hautbois (Orchestre de Paris) et Julien Hardy au basson (Philharmonique de Radio France), et parmi les violonistes tuttistes on remarque Amanda Favier, Guillaume Chilemme, troisième grand prix au concours Long-Thibaud en 2010, ou Sullimann Altmayer, cofondateur du Trio Con fuoco. Mais le tout n’étant pas égal à la somme des parties, cette réunion de brillantes individualités ne réussit que parce qu’elle est animée par le plaisir de jouer et par un idéal démocratique se traduisant par l’absence de chef, même si David Grimal assume pleinement son rôle de konzertmeister.


Cette phalange hors norme se produit à deux reprises cette saison Cité de la musique: le 18 mars prochain, un étonnant programme associant Webern, Vasks, Ligeti et R. Strauss s’inscrira dans le cycle «Métamorphoses», mais pour l’heure, c’est encore le cycle «L’animal» (voir par ailleurs ici). Peu importe que la première pièce n’entretienne aucun lien avec cette thématique, car l’Ouverture Coriolan (1807) de Beethoven permet de confirmer d’emblée les qualités des Dissonances: cohésion, belle sonorité des cordes (réduite à trente) et bon équilibre entre les pupitres – le choix de faire souvent ressortir les cors est certainement délibéré, avec un effet dramatique assuré.


Brice Pauset (né en 1965) a conçu Maus Frosch (2011), commande de la Cité de la musique et de l’Opéra de Dijon (où elle a été créée deux semaines plus tôt), pour ce programme: en témoignent non seulement son titre ainsi que le fait qu’elle soit destinée à un «orchestre sans chef» et à un effectif beethovénien (celui de la Pastorale) mais aussi sa note d’intention. «Ce qui m’intéresse, c’est d’imaginer les stratégies que Beethoven (en tant que figure tutélaire de ce programme, et ombre portée de mon nouveau morceau) aurait pu concevoir dans notre temps, confronté aux problématiques qui sont les nôtres, et non pas, comme d’habitude, de considérer Beethoven à l’aune de nos déformations post-industrielles». Nantie d’une dédicace au philosophe et psychanalyste slovène Slavoj Zizek, peut-être à rapprocher du souci du compositeur de questionner «les grandes hystéries de l’histoire, y compris dans leurs dimensions violentes», la pièce s’inspire d’un texte de Mao contant «l’image d’une grenouille qui, dans un puits, disait que "le ciel n’est pas plus grand que la bouche du puits"».


Voilà pour la grenouille (Frosch), quant à la souris (Maus), on ne dira pas que c’est celle dont a accouché la montagne, car en moins de 10 minutes – qui connaîtront un prolongement, si l’on en croit Pauset, parlant des «deux premiers mouvements de cette suite qui en comportera dans l’avenir cinq au total» – il se produit bien des choses intéressantes: bruits minimalistes et ludiques, fantomatiques, allusifs et grinçants, à la manière d’un Lachenmann, d’un Pesson ou d’un Sciarrino, figures répétitives et écriture plus dense et plus traditionnelle, exprimant «les motifs de la marche, de la scansion, et celui du pouvoir de la multitude qui sont convoqués», ce dernier étant caractérisé par l’emprunt d’un célèbre hymne maoïste (L’orient est rouge)». C’est néanmoins l’alto solo qui a les derniers mots, énigmatiques et suspendus.


L’ensemble Les Dissonances s’efforce de renouveler un tant soit peu le rituel du concert symphonique, en y associant des pages chambristes: il peut d’autant plus se le permettre qu’il compte dans ses rangs les membres du Quatuor Raphaël (qui reçoivent le bruyant soutien de ses camarades ayant rejoint les rangs du public). Deuxième prix au concours de Bordeaux en mai 2010, quelques mois seulement après sa fondation, la formation a cependant déjà évolué, Maja Bogdanovic ayant succédé à Kenji Nagaki au violoncelle. Il faut aller chercher dans le programme de salle le rapport entre le Soixante-dix-huitième Quatuor «Lever de soleil» (1797) de Haydn – celui-là même que les Talich avaient choisi huit jours plus tôt au Théâtre des Champs-Elysées – et les animaux: la première audition en fut donnée «lors de la venue à Eisenstadt de l’archiduc Joseph, palatin de Hongrie, pour la chasse annuelle». Toutefois, moins que le plein air, c’est celui des salons qu’on respire: autant leurs aînés tchèques pariaient sur la vivacité et le naturel, autant le phrasé est ici recherché, volontiers aimable et charmeur, parfois presque trop joli et démonstratif.


Après l’entracte, dans la Sixième Symphonie «Pastorale» (1808) de Beethoven, les musiciens n’atteignent pas tout à fait le niveau de la formidable Cinquième captée fin 2010 et récemment parue en disque et en DVD chez Aparté, qui semblait portée par un irrésistible sentiment d’urgence. Mais le collectif fonctionne parfaitement, l’impression d’évidence et de spontanéité reste forte, loin de toute surenchère ou démagogie, comme si chacun découvrait avec émerveillement et fraîcheur cette musique pour la première fois, et il ne fait pas de doute que bon nombre d’interprétations bénéficiant de la présence d’un chef n’offrent ni une mise en place plus satisfaisante ni des saveurs plus prononcées. En tout cas, c’est une salle comble et comblée qui obtient en bis la reprise du dernier mouvement.


Le site de l’ensemble Les Dissonances
Le site du Quatuor Raphaël
Le site de David Grimal



Simon Corley

 

 

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