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Opéra dansé

Paris
Palais Garnier
02/04/2012 -  et 6, 8, 9*, 11, 12, 14, 15, 16 février 2012
Christoph Willibald Gluck : Orphée et Eurydice

Stéphane Bullion/Nicolas Paul* (Orphée, danseur), Maria Riccarda Wesseling (Orphée, chanteuse), Marie-Agnès Gillot/Alice Renavand* (Eurydice, danseuse), Yun Jung Choi (Eurydice, chanteuse), Muriel Zusperreguy/Charlotte Ranson* (Amour, danseuse), Zoe Nicolaidou (Amour, chanteuse), Ballet de l’Opéra national de Paris
Balthasar-Neumann Ensemble & Chor, Manlio Benzi*/Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Pina Bausch (chorégraphie et mise en scène), Rolf Borzik (décors, costumes et lumières), Dominique Mercy, Malou Airaudo, Mariko Aoyama, Bénédicte Billiet, Joséphine-Ann Endicott (répétitions), Marion Cito (réalisation des costumes), Madjid Hakimi (réalisation des lumières)


N. Paul, A. Renavand (© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


«Opéra dansé de» plutôt que «ballet chorégraphié par», l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch renouvelle les questions génériques, en proposant un dialogue inédit entre le chant et la danse. Créée en 1975 par le Tanztheater Wuppertal, la relecture de l’opéra de Gluck fait suite à celle de l’Iphigénie en Tauride, l’année précédente, et témoigne des affinités particulières de l’esthétique de la chorégraphe allemande avec la réforme initiée à l’opéra par le compositeur du siècle des Lumières.


Divisant le deuxième acte en deux parties, Pina Bausch a remodelé le découpage de l’œuvre en quatre tableaux – «Deuil», «Violence», «Paix» et «Mort» – et supprimé la fin heureuse. En trahissant la lettre des intentions du compositeur, elle referme la boucle narrative sur la solitude et la souffrance inaugurales, et donne à sa vision une force poétique originale, qui amplifie la sémiologie du drame. La modernité supposée du travail revient en réalité aux fondamentaux – antiques – du théâtre, et la sobriété de la scénographie n’apparaît nullement comme un hasard. Le rideau, rouge, glisse latéralement sur la scène, à l’ancienne mode. Ce sens de l’épure se fait perceptible dès la première scène, où un tronc entièrement effeuillé est couché sur le plateau, tandis qu’à l’opposé, Eurydice, de blancheur nuptiale voilée, demeure figée comme une statue: la mort a surpris les amants après leurs noces, et le regard d’Orphée semble s’être arrêté sur cette sévère image presque d’Epinal. L’extrême nudité des décors fait ainsi converger l’attention vers la gestuelle tourmentée, implorante, commentaire comme naturel des paroles chantées, et culmine dans la remontée des Enfers, au quatrième tableau, où évoluent seuls les deux protagonistes dédoublés – Eurydice et Orphée. On notera également que les interprètes lyriques sont tous trois vêtus de noir, comme s’ils étaient le support sur lequel s’écrit la partition chorégraphique.


Une fois n’est pas coutume, l’interprétation musicale retient autant l’intérêt que la danse, entre autres grâce à la direction passionnée, âpre et vigoureuse de Manlio Benzi, succédant à Thomas Hengelbrock à la tête du Balthasar-Neumann Ensemble. Le refus de lisser la texture orchestrale fait émerger de véritables gifles sonores, sacrifiant la beauté matérielle à l’intention expressive, suivant en cela les préceptes de Gluck – le trémolo des altos, la sapidité des bois, et bien entendu la puissance presque sauvage des chœurs. Maria Riccarda Wesseling incarne un Orphée honnête, même si certains accents sonnent parfois sourds, et fait surtout un écrin remarquable à la sobre et émouvante expressivité de Nicolas Paul, ce qui préserve l’essentiel. Yun Jung Choi semble en bonne adéquation avec la partie confiée à Eurydice tandis qu’Alice Renavand touche sincèrement dans sa composition: innervée de tension, mais vierge de tout hiératisme, elle dégage un naturel qui rend son inquiétude face au silence contraint d’Orphée immédiatement perceptible. Charlotte Ranson, Amour tout en fluidité, s’appuie avec facilité sur la voix fraîche et légère de Zoe Nicolaidou. Moins prestigieuse que la première, cette seconde distribution touche peut-être avec plus de justesse l’essence de l’esthétique de Pina Bausch, sincère plus que virtuose, fervente plus que technique. On n’en admire pas moins l’extraordinaire vigueur des Furies, trio masculin – la violence est l’apanage traditionnel de l’homme – où brillent Vincent Chaillet, Audric Bezard et Alexis Renaud. Quant au corps du ballet, il semble également habité par la fascinante énergie de l’œuvre.


On s’autorisera pour finir une remarque sur la chronométrie du spectacle. Le positionnement de l’entracte avant le dernier tableau répartit la soirée entre deux parties très inégales – la seconde étant trois fois plus brève que la première, d’une heure vingt – et ce contraste se trouve accentué par l’ablation des dernières scènes du troisième acte. Si la coupure obéit à une logique dramatique évidente, cette dernière correspond davantage aux exigences du genre lyrique qu’à celles du chorégraphique. La reprise du spectacle sur le duo entre Orphée et Eurydice est peut-être trop abrupte à l’égard des conventions établies, où le corps de ballet «plante» le décor. La tension se relâche un peu, particulièrement à l’orchestre, manquant de «préparation». Peut-être gagnerait-on à présenter l’ouvrage sans entracte, la durée n’excédant pas celle d’un opéra de Janácek par exemple.



Gilles Charlassier

 

 

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