About us / Contact

The Classical Music Network

Venezia

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Hommage à Sinopoli : une Lou Salomé fascinante

Venezia
La Fenice
01/21/2012 -  et 24, 26, 28* janvier 2012
Giuseppe Sinopoli : Lou Salomé

Angeles Blancas Guliìn (Lou Salomé), Georgia Stahl (Lou Salomé II), Claudio Puglisi (Friedrich Nietzsche/Un homme-oiseau (Zarathoustra)), Gian Luca Pasolini (Paul Rée/Un serviteur), Matthias Schulz (Rainer Maria Rilke), Roberto Abbondanza (Friedrich Carl Andreas), Julie Mellor (Malwida von Meysenbug/Frau von Salomé), Marcello Nardis (Hendrik Gillot/Le professeur Kinkel), Alessandro Bressanello (Un serviteur/Un contemporain qui a beaucoup voyagé)
Alvise Vidolin (régie acoustique), Coro del Teatro La Fenice, Claudio Marino Moretti (chef du chœur), Orchestra e Coro del Teatro La Fenice, Lothar Zagrosek (direction musicale)
Facoltà di design e arti IUAV di Venezia, Performing Arts – Corso di Laurea magistrale in Scienze e tecniche del Teatro (mise en scène, scénographie, costumes et lumières), Walter Le Moli, Laboratorio di Teatro musicale Teatro La Fenice/Iuav (coordination), Luca Ronconi, Franco Ripa di Maena, Margherita Palli, Gabriele Mayer, Claudio Coloretti, Alberto Nonnato, Luca Stoppini, Camillo Trevisan, Massimiliano Ciammaichella, Stefano Collini, Alice Biondelli (tutorat)


(© Michele Crosera)



Le répertoire «contemporain» semble décidément très à l’honneur en cette fin janvier. Pas moins de trois grandes maisons européennes le mettent en avant – Genève avec le Richard III de Battistelli, Garnier avec La Cerisaie de Fénelon, et Venise avec Lou Salomé de Sinopoli. Le calendrier n’est cependant nullement un hasard à La Fenice. Comme l’année passée, l’institution lagunaire ouvre sa saison par un hommage à une figure native. Après Nono et Intolleranza inaugurant l’exercice passé, c’est au tour de l’unique opus lyrique de Giuseppe Sinopoli, Lou Salomé, créé le 10 mai 1981 – amusant clin d’œil de l’Histoire –, célébrant au passage le dixième anniversaire de la brutale disparition du chef d’orchestre, terrassé par une attaque au milieu du troisième acte d’Aïda, à Berlin.


Pour qui connaît un peu le parcours du musicien italien, également psychiatre, le choix d’un tel personnage ne surprend guère. Celle qui fut l’égérie de Nietzsche, puis de Rilke, avant de se consacrer à la psychanalyse après sa rencontre avec Freud. Le livret de Karl Dietrich Gräwe, qui a subi des remaniements entre 1977 et 1981, retrace les principales étapes de la vie de la célèbre femme de lettres allemande, dans une sorte de récapitulation mémorielle au soir de son existence. On y croise ainsi sa stricte éducation pétersbourgeoise – elle a des origines russes –, sa santé fragile, ses séjours en Italie pour la rétablir, ses rencontres avec Nietzsche, Rée, Andreas. Tout un pan de la vie intellectuelle germanique et européenne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe se déroule dans ce kaléidoscope. Les dialogues résonnent même des débats et des interrogations de l’époque, au prix d’une langue parfois ampoulée. Mais le côté intellectuel, voire abscons du texte, à la narrativité peu théâtrale, n’entrave nullement le lyrisme extraordinaire de la partition – au contraire oserait-on. L’écriture de Sinopoli sait ce qu’elle doit au métier du chef d’orchestre – qui allait, par la suite, supplanter la composition – à la manière de celle de Mahler, qu’elle évoque plus d’une fois, dans la transparence de sa polyphonie et des textures. L’héritage de Berg est quant à lui audible dès les premières mesures, et parcourt tout l’ouvrage. La succession de parties chantées et de parties déclamées, allant jusqu’à dédoubler l’héroïne éponyme, entre la jeune Lou, soprano, et la Lou de la vieillesse, actrice, entretient une parenté évidente avec Lulu, plus encore que l’explosion des cadres lyriques dont Intolleranza de Nono offre un avatar. Sans renier les découvertes de la Seconde Ecole de Vienne et les explorations de l’après-guerre, Lou Salomé s’inscrit dans une sensibilité postromantique crépusculaire consonante avec l’argument, évitant cependant toute épigonalité stylistique anachronique.


La finesse du travail orchestral, mis en valeur avec conviction par Lothar Zagrosek, ne le cède en rien à la virtuosité de l’écriture vocale, à commencer par celle de l’écrasant rôle-titre. Les mélismes confiées à Lou, implorants et amples, trouvent en Angeles Blancas Guliìn un engagement et une beauté vocale presqu’inouïs. Avec Giorgia Stahl, elle fédère le reste du plateau – comme la subjectivité de la mémoire collationne les souvenirs. On retiendra le Nietzsche de Claudio Puglisi, également homme-oiseau, envol de la folie du philosophe par-delà les fixités du réel. Gian Luca Pasolini fait un Paul Rée intéressant, tandis que Matthias Schulz façonne un Rilke sensible. Quoique plus en retrait, les tourments d’Andreas s’expriment avec efficacité grâce à Roberto Abbondanza.


Mais l’originalité de l’œuvre est décuplée par la radicalité de la mise en scène réalisée par les élèves de la faculté des arts du théâtre de Venise, sous le bienveillant tutorat de professionnels reconnus, à l’instar de Luca Ronconi. Le bouleversement de la répartition traditionnelle de l’espace scénique, expérimenté déjà l’an passé par le même collectif dans Intolleranza, avec un succès discutable dont la partition de Nono n’est peut-être pas innocente, parvient ici à un aboutissement incroyable. Les platea – le parterre – font place à la scène, au centre de laquelle s’élève un arbre, tutoyant le lustre de la salle de la Fenice. Les spectateurs – ceux du parterre du moins – sont répartis autour, jusque sur le plateau où se tient l’orchestre, procédant ainsi à une abolition de la césure entre le sacré de l’espace de la représentation et le profane, celui du public, lequel foule d’ailleurs le sol scénique pour rejoindre son siège. Il en résulte un accroissement inédit de la proximité avec les interprètes. La régie sonore complète le dispositif en amplifiant sans excès les passages déclamés, plus par souci d’homogénéité et de spatialisation acoustique que de macrophonie grandiloquente. C’est à une expérience d’art total que cette Lou Salomé nous convie, et l’on se prend à regretter l’iniquité de son absence au répertoire, quand on subit des Richard III monochromatiques à l’excès ou des Cerisaie à l’expressivité homéopathique...



Gilles Charlassier

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com