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Magistralement abouti

Paris
Palais Garnier
01/27/2012 -  et 30* janvier, 2, 5, 7, 10, 13 février 2012
Philippe Fénelon : La Cerisaie, opus 104

Elena Kelessidi (Liouba), Marat Gali (Lionia), Alexandra Kadurina (Gricha), Ulyana Aleksyuk (Ania), Anna Krainikova (Varia), Igor Golovatenko (Lopakhine), Mischa Schelomianski (Charlotta), Svetlana Lifar (Douniacha), Alexey Tatarintsev (Iacha), Ksenia Vyaznikova (Firs), Thomas Bettinger (Un invité), Julie Mathevet, Andreea Sorae, Andrea Hill, Anna Pennisi (Quatre jeunes filles)
Chœur de l’Opéra national de Paris, Patrick Marie Aubert (chef du chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Inaki Enciya Oyon (direction de la musique de scène), Tito Ceccherini (direction musicale)
Georges Lavaudant (mise en scène et lumières), Jean-Pierre Vergier (décors et costumes), Thomas Stache (chorégraphie)


(© Opéra national de Paris/Andrea Messana)


Philippe Fénelon (né en 1952) met ses pas dans ceux de Philippe Boesmans: au fil des années, il s’affirme comme l’un de ceux qui contribuent à la réhabilitation de l’opéra, un genre qui, il n’y a pas si longtemps encore, était jugé avec un certaine suspicion. Après Le Chevalier imaginaire au Châtelet et Les Rois à Bordeaux sont venues deux commandes de l’Opéra national de Paris: Salammbô, monté à Bastille en mai 1998 et repris en mai 2000, puis Judith. Garnier a ensuite présenté son Faust (originellement destiné au Capitole de Toulouse) en mars 2010 et accueille maintenant, pour sept représentations, la création scénique d’une autre commande, dont la première a été donnée au Bolchoï en version de concert en décembre 2010.


Comme bon nombre de ses confrères, Fénelon jette son dévolu sur des auteurs capitaux de la littérature mondiale: après Cervantès (et Kafka), Cortázar, Flaubert, Lenau et Hebbel, voici maintenant, au travers d’une adaptation de La Cerisaie (1903), Tchekhov, qui a également inspiré le récent succès des Trois Sœurs de Peter Eötvös. Quant à la création offerte la saison passée par l’Opéra de Paris, Akhmatova de Bruno Mantovani, elle se situait elle aussi en Russie. Le librettiste, Alexeï Parine (né en 1944), a d’ailleurs conservé la langue originale, mais il a en revanche resserré les quatre actes de la «comédie» en un prologue, douze scènes, chacune centrée sur un personnage, et un épilogue: le spectacle dure ainsi un peu plus d’une heure trois quarts, répartie à peu près équitablement autour de l’entracte.


Pour cette adaptation lyrique, Georges Lavaudant a conçu des tableaux non seulement évocateurs mais toujours porteurs d’un sens profond. C’est qu’il fait partie de ces hommes de théâtre qui s’intéressent à l’opéra, y compris contemporain: si l’on peut oublier une Clémence de Titus un peu malheureuse à Lyon, il a ainsi mis en scène Cassandre de Michael Jarrell. Dans les décors «Nouveau Bayreuth» de Jean-Pierre Vergier (une dense forêt de troncs surmontés d’une épaisse frondaison, dont le fond s’ouvre en seconde partie sur un ciel neigeux), c’est un ballet – y compris au sens propre, tant la danse est présente, par exemple au travers d’une ballerine qui se joint à plusieurs reprise à l’action – de convenances et conventions sociales, auxquelles personne ne croit plus vraiment – tout cela vire donc parfois au grotesque, se grise dans un tournis ou se réfugie dans le jeu (billard, cache-cache). Il ne reste plus que le rêve et le passé idéalisé, tels ces fantômes d’uniformes militaires à longs manteaux et aux couvre-chef disproportionnés – sans doute les prestigieux invités de la maisonnée au temps de son âge d’or – et, bien sûr, dans la même teinte marron glacé, le jeune Gricha, dont la mort accidentelle a enclenché le processus de déclin de la propriété arrivé à son terme au lever de rideau. Pour le reste, les costumes, eux aussi signés de Jean-Pierre Vergier, davantage qu’une scénographie économe (fauteuils, chaises, banc), s’attachent à situer avec précision l’époque et lieu: pas une natte ni une tiare ne manque à la tenue traditionnelle des seize choristes cueilleuses de cerises.


La partition ne permet pas non plus de douter qu’on se situe en Russie: chants populaires mais aussi citations et allusions plus ou moins explicites abondent, confiées en particulier au chœur de femmes, pour des intermèdes sur scène ou dans la fosse. Au-delà de cet aspect presque littéral, Fénelon parvient avant tout à capter l’esprit d’une Russie qui «tout entière est une cerisaie», comme l’affirme Ania à la scène 5; il établit ainsi tout au long de son œuvre un climat, celui d’une sorte d’Eugène Onéguine de notre temps, sans évidemment songer à l’imiter, mais trouvant le plus difficile: une émouvante simplicité de ton et la juxtaposition, comme dans un kaléidoscope, sans solution de continuité, d’influences stylistiques pourtant nombreuses et diverses – seconde Ecole de Vienne, Messiaen, cloches de Noces stravinskiennes, ...


La réussite tient aussi à ce que le compositeur aime la voix et la sert avec un respect qui renvoie ici aussi à la grande tradition lyrique: colorature (Ania), rôle travestis (outre Gricha, le vieux domestique Firs et la gouvernante allemande Charlotta), mais surtout une écriture qui ne se réfugie pas exclusivement dans la déclamation, offrant aux chanteurs sinon des airs, du moins des scènes, monologues ou récits, les plus frappants revenant peut-être à Liouba et à Gricha, respectivement Elena Kelessidi et Alexandra Kadurina. De ce point de vue aussi, l’orchestre, de dimension assez restreinte, ne couvre jamais le plateau: quelques musiques préenregistrées s’y superposent ponctuellement, mais l’idée la plus originale provient, quasiment durant toute la première partie, de l’articulation entre la fosse, d’une part, et un ensemble de douze musiciens installé sur scène avec son propre chef, en costumes pour accompagner le bal qui se donne à la cerisaie. Cependant, le résultat ne paraît pas à la hauteur des ambitions – à moins que l’objectif n’ait été de rendre indistincte la contribution des uns et des autres à l’impression sonore globalement ressentie. Cela étant, Tito Ceccherini dirige avec précision et enthousiasme les forces en présence, qui s’impliquent pleinement autour d’une distribution très majoritairement russe, où les dix rôles principaux ne présentent aucune faiblesse.


Qu’est-ce qu’un spectacle abouti? Celui où livret, musique, mise en scène et décors forment un tout cohérent et harmonieux, servi par d’excellents interprètes: à cette aune, ce que réalisent Fénelon et Lavaudant est magistral.


Le «journal de la création» de l’opéra
Le site de Philippe Fénelon



Simon Corley

 

 

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