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De Charybde en Scylla ?

Paris
Opéra Bastille
01/10/2012 -  et 14, 18, 22, 25, 28 janvier, 2, 5, 10, 13 février 2012
Jules Massenet : Manon
Natalie Dessay*/Marianne Fiset (Manon), Giuseppe Filianoti*/Jean-François Borras (Des Grieux), Franck Ferrari (Lescaut), Paul Gay (Le comte Des Grieux), Luca Lombardo (Guillot de Morfontaine), André Heyboer (De Brétigny), Olivia Doray (Poussette), Carol García (Javotte), Alisa Kolosova (Rosette), Christian Tréguier (L’Hôtelier), Alexandre Duhamel, Ugo Rabec (Deux gardes)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Evelino Pidò (direction)
Coline Serreau (mise en scène)


G. Filianoti, N. Dessay (© Opéra national de Paris/Charles Duprat)


Coline Serreau nous avait conçu un bien joli Barbier de Séville. Elle vient de massacrer Manon. Croit-elle nous décoiffer avec un Lescaut punk, des livreurs de pizzas à l’auberge, une moto pour partir à Paris et à Saint-Sulpice, une Rosalinde travesti musculeux, des dévotes sur patins à roulettes ? Croit-elle que nous n’avions pas compris l’éternité de Manon, pour mélanger les époques, faire arrêter la pauvre fille par le GIGN et escorter les déportées par des légionnaires romains ? N’oublions pas une pincée de sado-maso afin d’épicer le Cours-la-Reine – un défilé de mannequins chorégraphié aussi ridicule que piteux nous rend même heureux de la suppression du ballet. La cinéaste, dont certains films sont devenus des classiques, nous sert seulement ici, dans un décor bien laid, un brouet d’idées reçues et éculées depuis longtemps. Ce fatras sans pensée, qui flirte tristement avec la comédie musicale de série B, est d’un ennui sans fin, confondant l’ironie et la vulgarité, jamais sauvé par une direction d’acteurs digne de ce nom – elle rase plutôt scolairement le texte. La production de Gilbert Deflo, si elle ne présentait guère d’intérêt, avait au moins le mérite de la modestie et d’une certaine pertinence. Disons le tout net : cette Manon, la pire production qu’on ait vue depuis longtemps, déshonore l’Opéra de Paris. De Madrid, Gérard Mortier tiendrait-il sa revanche ? Ceux qui n’avaient pas pour lui de mots assez durs commencent à lui reconnaître quelques mérites...


On aurait pu penser que la musique rachèterait le reste. C’était compter sans le délabrement vocal de Natalie Dessay. Que s’est-il donc passé ? Les registres ne se soudent plus, le timbre s’est décoloré, le médium et le grave se cherchent, l’aigu a perdu sa gloire. Est-ce la mise en scène ? La composition même semble banale, on ne reconnaît plus l’anthologique Manon de Barcelone, dirigée par le talentueux David McVicar. La comédienne n’arrive plus à secourir la chanteuse. Et quand elle salue tristement, on éprouve un malaise que rien ne peut dissiper : le chef et les chanteurs, l’équipe de la production, copieusement huée, s’inclinent chacun de côté, comme s’ils s’ignoraient. Certes on ne pouvait prévoir qu’une telle artiste traverserait une si mauvaise passe. Rien n’empêchait pour autant de trouver meilleur Des Grieux et meilleur Lescaut. Voix monochrome, aux aigus poussés, Giuseppe Filianoti, très empoté scéniquement et peu porté sur la nuance, n’a en rien l’élégance souple d’un Chevalier, qu’il chante vaillamment, mais désespérément de la même façon du début à la fin. Une fin plus convaincante grâce à l’engagement des deux protagonistes, moins éprouvés alors par leur partie. Que Franck Ferrari campe un Lescaut voyou grotesque vient sans doute de la mise en scène, mais pas ce chant parfois bien fruste, à la ligne inégale, cet engorgement progressif de l’émission, alors que le cousin appelle un baryton d’opéra-comique au timbre clair, incarnant tout ce que la musique de Massenet peut receler d’humour au second degré. Si bien qu’il faut attendre le Comte honorable de Paul Gay, qui pourtant devra mûrir s’il veut s’identifier au rôle comme son prédécesseur Alain Vernhes, pour retrouver Manon. Soyons juste malgré tout : les seconds rôles sont bien distribués – après tout, c’était bien le moins. A défaut de nous déranger par les mises en scène, Nicolas Joel devait, paraît-il, nous combler par les voix… La direction d’orchestre, de surcroît, n’arrange rien : Evelino Pidò a beau relever quelques détails d’instrumentation, il reste raide et brutal, sèchement analytique, totalement insensible à la sensualité de la musique, à ses parfums de parodie. On n’entend pas Manon. Mort il y a cent ans, le compositeur doit se retourner dans sa tombe. Heureusement, on peut voir, à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, l’exposition « La Belle Epoque de Masssenet ».


Après Faust et La Force du destin, Manon : trois nouvelles productions, trois ratages. Va-t-on de Charybde en Scylla ? Ca va mal, en tout cas, dans la Grande Boutique.



Didier van Moere

 

 

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