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Zygel Follies

Paris
Théâtre du Châtelet
11/09/2011 -  
Les concerts de l’improbable: «Mozart est là»

Judith Gauthier (soprano), Nicolas Courjal (basse), Philippe Bernold (flûte), Nora Cismondi (hautbois), Florent Pujuila (clarinette), Batiste Arcaix (basson), Ensemble Initium, Antoine Hervé (piano), Aline Zylberach (pianoforte), Pierre Charial (orgue de barbarie), Thomas Bloch (armonica de verre), Komalé Akakpo (tympanon), Louis Moutin (batterie), Pierre Fouchenneret, Ayako Tanaka (violon), Lise Berthaud (alto), Victor Julien-Laferrière (violoncelle), François Moutin (contrebasse)
Jean-François Zygel (piano, direction artistique), Marcel Philippot (comédien), Romain Gilbert (assistant), Olivier Podestà (collaborateur artistique), Jean-Christophe Mast (mise en espace, lumières)


J.-F. Zygel (© Denis Rouvre/Naïve)


Jean-François Zygel, en ce Châtelet où il a donné ses «Leçons de musique» et ses «Leçons d’opéra» et où il conserve sa «Nuit de l’improvisation» (la cinquième se tiendra le 8 mai prochain) et ses «Clefs de l’orchestre», propose à six reprises cette saison une nouvelle formule, «Les concerts de l’improbable». Alors que quelques artistes et institutions s’efforcent depuis plusieurs années de remettre en cause le rituel du concert et du récital, afin notamment d’y attirer un public plus jeune, il aurait été étonnant que l’omniprésent trublion de la vulgarisation de la musique dite «classique» s’attaque à son tour au problème. Pas de programme annoncé (mais une playlist mise en ligne le lendemain sur le site du théâtre), pas de bis ni d’entracte, pas d’habit ni de robe longue, il affiche la volonté d’offrir «un concert sans début et sans fin», ambition qui se traduit concrètement par un «before» et un «after».


Dès 19 heures 30, les spectateurs sont accueillis dans le hall par les orgues de Barbarie de Pierre Charial et par l’Ensemble Initium, jeune octuor d’instruments à vent, et, s’ils rejoignent le foyer, au niveau de la corbeille, ils peuvent écouter, debout devant ceux qui avaient cru bon de s’asseoir sur les quelques banquettes disposées tout autour, diverses formations de chambre: trio avec piano, quatuor à cordes, quatuors avec flûte ou avec hautbois, quintette avec clarinette. Puisque Zygel parle de repas, on peut parler de bouchées apéritives, dégustées dans le brouhaha et les déambulations incessantes d’un cocktail. Et à 22 heures 30, la sortie de la grande salle s’effectue également en musique dans le hall, pour ceux qui ne se seraient pas dirigés soit vers le foyer principal pour «Jazz à Vienne» avec un trio constitué par Antoine Hervé et les frères Moutin, soit vers le foyer Nijinski pour un «salon Così» où s’illustre le tympanon de Komalé Akakpo.


Le titre de la première soirée, comme celui de la plupart des cinq suivantes («Beethov’ on the rocks», «Pour en finir avec Schubert», «Tais-toi et Brahms», «Le Cas Ravel» et «Bach to the future»), cultive le calembour: «Mozart est là». Il le décline même, aux couleurs et aux saveurs de l’Italie, tant au grand foyer (néons au ras du sol, petits spots lumineux rouges et verts projetés sur les murs) que pour une restauration légère à l’avenant: ainsi que le recommandent les effigies cartonnées de Zygel vêtu d’un tablier bordeaux, «Demandez le sandwich Mozart est là», auquel on peut goûter sur des nappes à carreaux rouges et blancs, avec gressins et petits drapeaux italiens. Ceux qui espèrent que le badge évoquant phonétiquement le fromage à base de lait de bufflonne deviendra un jour collector n’auront pas omis de l’acquérir en même temps pour 1 euro supplémentaire.


A 25 euros (avec demi-tarif pour les moins de vingt-huit ans), le nombreux public attiré sans doute pour partie par l’aura cathodique de l’organisateur de ces festivités a semble-t-il considéré en avoir eu pour son argent. Pourtant, indépendamment de la succession agaçante, façon Radio Classique, de morceaux ne dépassant jamais cinq minutes, le concert proprement dit, à 20 heures 30 (sans entracte), tient plutôt d’un succédané de son émission télévisée «La Boîte à musique» – on y retrouve d’ailleurs certains de ses invités attitrés – mais avec un rythme moins dynamique que celui que permettent l’enregistrement et le montage: les changements de plateau et enchaînements ralentissent le propos, malgré les efforts de Jean-Christophe Mast, réglant la mise en espace ainsi que la variation de couleur et d’intensité des lumières. Le comble est atteint lorsque confronté à l’absence d’un groupe de musiciens qui tarde à revenir des coulisses, Zygel, pourtant maître ès-improvisation, peine à meubler l’attente.


Mais le déroulement du show n’en réserve pas moins quelques bons moments d’humour, comme lorsque le comédien Marcel Philippot, l’éternel client râleur de Palace, après s’être levé avec véhémence de son fauteuil d’orchestre, demande comme de coutume à voir le directeur. Car c’est le patron du Châtelet, Jean-Luc Choplin lui-même, qui entre alors en scène, non pas pour chanter un air du Directeur de théâtre mais pour s’engager avec lui dans un sketch complètement surréaliste sur les homophones – «je n’ai rien contre eux, ils ont le droit de vivre» s’empresse de préciser le «spectateur», qui avait auparavant confondu Zygel et Giselle.


Musicalement, pour poursuivre la métaphore culinaire suggérée par le maître de céans, c’est donc une succession de tapas: des portions minuscules, assez diversifiées, tantôt médiocres, tantôt bonnes, tantôt excellentes. Pour ce faire, Zygel sait, comme toujours, s’entourer des meilleurs cuisiniers, pardon, musiciens, parmi lesquels le flûtiste Philippe Bernold, Nora Cismondi, premier hautbois solo de l’Orchestre national, Florent Pujuila, seconde clarinette à l’Ensemble orchestral de Paris, Pierre Fouchenneret, premier violon du Quatuor Raphaël, la violoniste Ayako Tanaka, ancien premier violon du Quatuor Psophos, Lise Berthaud, l’altiste du Quatuor Orfeo, le pianiste Antoine Hervé, le soprano Judith Gauthier et la basse Nicolas Courjal – tous s’amusent visiblement à sortir ainsi un peu des sentiers battus.


L’affiche a beau être de qualité, il faut quand même aborder différents aspects du catalogue mozartien avec un effectif fort limité. Mais dès qu’il s’agit d’astuces et de ficelles, notre Tintin de la clef de sol ne manque pas de ressources: détournements (Ave verum corpus réharmonisé au piano, variations finales du Quintette avec clarinette à la Hoffnung, augmentées d’un piano, dérapant vers le jazz ou le tango et intégrant des citations inattendues); airs d’opéra avec accompagnements arrangés (La Clémence de Titus pour clarinette et piano, L’Enlèvement au sérail pour piano, La Flûte enchantée avec quatuor à cordes et quatuor de vents, trio de bois et piano ou bien encore violoncelle et piano); instrumentations diverses (Alla turca de la Onzième Sonate pour piano pour quatuor avec flûte, sur fond de drapeau turc); improvisations à deux pianos avec Antoine Hervé (sur les premières notes des premier thèmes de l’Ouverture de La Flûte enchantée puis de la Quarantième Symphonie, pour un résultat évoquant étrangement Stravinski et Bartók).


Quelques œuvres sont quand même données dans leur version originale: Adagio du Quatuor avec hautbois mais aussi Adagio en ut majeur pour armonica de verre (sic, le mot revendique ici son origine italienne), avec l’incontournable Thomas Bloch, associé ensuite à la flûte, au hautbois, à l’alto et au violoncelle pour le Rondo en ut majeur. Et Zygel ne serait pas Zygel sans ses idées plaisamment loufoques – Antoine Hervé relève le défi d’achever le «Lacrymosa» du Requiem «mieux que Süssmayer», en tout cas de façon indéniablement plus jazzy – et raretés dégotées avec un malin plaisir – un duo (des chats, avant celui de Rossini) destiné à un singspiel de Schack, le montage aux coutures un peu trop visibles de fragments et esquisses pour quatuor à cordes, autant de «chutes» de l’établi mozartien, et l’étrange entreprise de Grieg consistant à «moderniser» certaines sonates pour piano en ajoutant un second piano (ici dans l’Andante de la Sonate «facile»).


Mais ce qui fait sans doute le plus chaud au cœur, c’est la participation de la salle, que Zygel motive au travers d’une sorte de «primaire» non pas citoyenne, mais mozartienne, lui demandant de départager six des plus célèbres thèmes écrits par le compositeur. Non sans contestation, c’est l’air de Papageno au premier acte de La Flûte enchantée qui l’emporte, mais il fait ensuite l’unanimité quand le public le reprend en chœur, avant que tous les musiciens ne se joignent à la fête.



Simon Corley

 

 

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