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Le bonheur de chanter

Strasbourg
Opéra national du Rhin
09/28/2011 -  
Jacques Ibert : Chansons de Don Quichotte
Hector Berlioz : Les Nuits d’été, opus 7
Gustav Mahler : Kindertotenlieder

Ludovic Tézier (baryton), Thuy Anh Vuong (piano)


L. Tézier (© Cassandre Berthon))


L’une des règles non écrites couramment en vigueur pour un récital de chant est de commencer par les pièces les moins familières au chanteur, ou en tout cas les plus étrangères à son univers esthétique habituel. Après l’entracte seront abordées en revanche des zones de plus grand confort voire d’inspiration plus légère, qui permettent de cultiver avec le public une forme de proximité plus détendue...


On peut ne pas se conformer à cette tradition banale. Mais en l’occurrence, pour Ludovic Tézier, oser occuper toute la seconde partie d’un récital avec les Kindertotenlieder de Mahler paraît hasardeux. Non que la familiarité de Tézier avec la langue de Goethe pose problème (au contraire : son élocution allemande est remarquablement idiomatique et claire), mais ce sont la couleur de la voix et son émission trop naturelle qui gênent. La tension des lignes du chant mahlérien nécessite un soutien de la colonne d’air voire une couverture de l’aigu et un sombrage certes artificiels mais garants d’une endurance suffisante. Or malheureusement peu de précautions paraissent prises et au milieu du cycle l’aigu perd en stabilité, le timbre blanchit et l’accident vocal n’est pas loin (cela dit l’air ambiant est sec et le recours à un quelconque verre d’eau caché quelque part aurait peut-être été utile...). Ensuite le chanteur récupère mieux ses réflexes de baryton d’opéra mais l’ambiance mélancolique de ces Kindertotenlieder n’y est plus, ce d’autant plus que l’accompagnatrice n’arrive pas à faire oublier la richesse de la partition d’orchestre qui les accompagne de façon plus habituelle (le dernier Lied sonne tristement indifférent et tombe à plat).


La première partie est autrement passionnante et on en sort heureux, ravi de tant d’adéquation stylistique et de bonheur de chanter, prodigués par un interprète aussi spontané que raffiné. Il faut un petit temps de latence, au cours des Chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert, pour s’habituer au timbre clair de Ludovic Tézier dont les graves, aussi présents soient-ils, n’ont pas de véritable épaisseur de pâte. Rappelons que ces Mélodies ont été destinées à Feodor Chaliapine, qui n’était certainement pas une basse profonde mais dont l’organe de baryton-basse avait sans doute une toute autre projection. La voix de Ludovic Tézier encore en train de s’échauffer ne parvient pas toujours à donner suffisamment de couleurs à ces mélodies dont l’inspiration espagnole, avec ses subtils rappels d’un cante jondo sublimé, paraît davantage effleurée que présente avec tous ses reliefs. En revanche les Nuits d’été qui suivent sont une succession de purs moments de magie, où chaque mot paraît restitué avec le poids exact souhaitable et où la caractérisation poétique de chaque pièce semble à chaque fois si évidente qu’on en redécouvrirait presque le texte de Théophile Gautier, certaines fraîches naïvetés incluses. Si le piano pouvait se hisser au même niveau d’évidence le bonheur serait encore plus total, mais évoquer les couleurs de l’instrumentation berliozienne au seul clavier n’est pas de tout repos. Cela dit, notamment dans «Le Spectre de la rose», Thuy Anh Vuong n’en est pas toujours si loin.


Deux bis. Le second, parfait, n’appelle aucun commentaire, si ce n’est que l’on aimerait pouvoir entendre la mélodie fauréenne plus souvent abordée à ce degré de maîtrise et de simplicité. Ces émouvants Berceaux ne peuvent que rester gravés en mémoire. Quant au premier bis, il est encore plus exceptionnel, mais humainement cette fois. Ludovic Tézier profite de cet instant de liberté pour changer d’accompagnatrice et appeler sur scène Yolande Uytter, ancienne chef de chant de l’Opéra du Rhin, véritable pilier de la maison depuis sa fondation. A la fois on ne présente plus localement une telle personnalité, à laquelle tant de chanteurs, de tous les choristes aux solistes de premier plan, doivent tant, et il fallait absolument rendre hommage à cette artiste si discrète et tellement indispensable, remarquable pianiste de surcroît, malheureusement mise à la retraite d’office depuis peu du fait d’une limite d’âge dépassée depuis longtemps qu’elle s’ingéniait à faire oublier par toutes les ruses possibles. Remercions donc chaleureusement Ludovic Tézier pour ces quelques minutes trop courtes mais d’une rare intensité : une Invitation au Voyage de Duparc, soutenue pianistiquement avec une vigueur et une précision qui ne se sont en rien émoussées avec les années. Accueil chaleureux du public pour Yolande Uytter, frêle silhouette invariablement souriante, encore que la standing ovation qui pourtant s’imposait ne se soit pas produite.



Laurent Barthel

 

 

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