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" In quali eccessi, o numi,(...) " " dans quels excès, ô Dieux,(...) " récitatif de Donna Elvira, scène Xb, Acte II

Milano
Teatro alla Scala
10/21/1999 -  et 23, 26, 28*, 30 octobre 1999 2, (4, 6, 7 novembre : direction Paul Connelly)
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni
Carloz Alvarez*/Michele Pertusi (Don Giovanni), Kurt Moll (Il Commendatore), Adina Nitescu*/Adrianne Pieczonka (Donna Anna), Giuseppe Sabbatini/Antonino Siragusa* (Don Ottavio), Anna Caterina Antonacci (Donna Elvira), Ildebrando d’Arcangelo (Leporello), Lorenzo Regazzo (Masetto), Anna Bonitatibus* /Angelica Kirchschlager (Zerlina)
Giorgio Strehler (mise en scène, reprise par Marina Bianchi), Ezio Frigerio (décors), Franca Squarciapino (costumes)
Orchestre et choeurs de la Scala, Riccardo Muti (direction)

Pour la quatrième fois à la Scala, Riccardo Muti dirige en ce mois d’octobre Don Giovanni dans le cadre d’un hommage à Giorgio Strehler qui conçut ce spectacle dramatiquement intense et esthétiquement séduisant, pour l’ouverture de la saison 1987.

De hautes colonnes de basalte noir aux reflets dorés encadrent avec austérité la scène tout en ouvrant sur des tableaux lointains et oniriques : escalier de palais, vu de côté dans la lumière de l’aube, campagne d’Italie dans la tiédeur dorée d’un soleil d’automne, fêtes galantes dans la lueur crépusculaire des chandeliers ; des éclairages qui magnifient les costumes élégamment brochés de Franca Squarciapino et rappellent irrésistiblement les compositions du Véronèse ou de Tiepolo. C’est dans cet écrin visuel purement italien, que se déroule, sous la baguette du directeur musical de la Scala, l’énigmatique dramma giocoso qu’est Don Giovanni : l’impression de découvrir une partition….

Le tempo rapide adopté par Riccardo Muti dès l’ouverture exacerbe l’implacable dénouement du drame et l’inscrit résolument dans son italianité. Loin de plonger l’opéra dans une précipitation effrénée, confuse, cette rapidité engendre un paroxysme d’intensité dramatique dont pas un instant il ne se départira. A la tête d’un orchestre de la Scala en état de grâce, Riccardo Muti déroule un tapis soyeux de bois et de cordes à ses interprètes -dont on parvient à oublier les limites ou problèmes techniques pour certains tant l’écrin sonore qu’il leur tisse les met à l’unisson des instruments. Attentif à la pertinence des récitatifs, il en cisèle l’accompagnement en les teintant de délicats affects, révèle des abîmes de raffinement –un " Dalla sua pace " d’une lenteur fascinante- ou ménage de subtils moments suspendus. Sa lecture alerte et précise souligne des aspects inhabituels de l’orchestration : les cors, narquois, qui secondent Leporello, les violoncelles de " Batti, batti, o bel Masetto ", l’aria " Ah fuggi il traditor " ironiquement baroque, ou encore ces violons presque romantiques du récitatif " In quali eccessi ". Aucun de ces choix ne se révèle gratuit, purement esthétique, et la cohérence de sa démarche s’impose de manière évidente : musique et mise en scène conduisent à rendre enfin tangible la dénomination de dramma giocoso ; la scena ultima mêle encore légèreté et sérieux et les protagonistes, acteurs d’une oeuvre héritière du monde-théâtre de Goldoni, saluent devant le rideau rouge et or factice, dont la chute a ponctué les différentes scènes.

Plusieurs combinaisons de distributions, comme à l’accoutumé à la Scala, se succèdent.

Carlos Alvarez est un Don Giovanni élégant, auquel on peut cependant reprocher un manque de caractérisation scénique et vocale. Un reproche que l’on ne peut en aucun cas adresser à Ildebrando d’Arcangelo, Leporello aux affiliations vocales et linguistiques imparables, qui place avec succès son personnage bien au-delà de la bouffonnerie. Antonino Siragusa a paru mal à l’aise avec la lenteur de " Dalla sua pace " et son interprétation mezza voce, mais " Il mio tesoro " a trouvé en lui un interprète plus convaincant. Le Masetto, solide et bien chantant, de Lorenzo Regazza et l’impressionnant Commandeur de Kurt Moll -dont la voix a de réels accents d’outre-tombe- complètent la distribution masculine. Plus problématique, la Donna Elvira de Anna Caterina Antonacci, privée d’aigus, au vibrato serré mais qui offre un beau " mi tradì " où voix et instruments, à l’unisson, convergent vers l’essence du sentiment ; de même Adina Nitescu, qui cède aux notes données en poitrine dans " Or sai chi l’onore ", mais interprète un " Non mi dir, bell’idol mio " plein de dignité, porté par Muti ; enfin la Zerline piquante mais au soprano insuffisamment ancré dans le bas médium de Anna Bonitatibus. En dépit de ces problèmes individuels, le résultat n’en était pas moins prodigieux d’expressivité, dans les arias comme les ensembles, superbes de retenue.


Le 30, à l’occasion de la soirée de célébration du Centenaire de San Pellegrino la distribution a été modifiée et c’est sous un signe " italianissime "-direction, mise en scène et interprètes- que s’est déroulée cette cinquième représentation.
Le Don Giovanni de Michele Pertusi est d’emblée un cavaliere plein d’ironie, un homme de plaisirs qui saisit, avec insolence, l’instant présent et se dirige vers l’abîme sans un regard en arrière. C’est avec une gourmandise indicible que, tous ses sens en éveil, il dit " sentir odor di femmina " et, dans sa cour à Zerline, son " vieni " est déjà une caresse. Plein de panache dans un brillant " Fin ch’han dal vino ", il focalise l’attention dans une " Sérénade " susurrée au public et la mort, qu’entraîne son refus de se repentir –des " No " fermes et non hurlés comme souvent-, ressemble davantage à un regret de quitter la vie et ses plaisirs que la peur d’un juste châtiment.
Giuseppe Sabbatini venge Don Ottavio de tous les interprètes qui l’ont affadi et inscrit son personnage dans l’action, comme un authentique rival de Don Giovanni. Le soin qu’il porte aux récitatifs montre en Don Ottavio un noble chevalier qui, en comprenant le crime de Don Giovanni, exprimera son courroux par des formes opératiques en adéquation avec son statut : ce sont les arias " Dalla sua pace " et " Il mio tesoro " qui, ainsi amenées, trouvent une certaine assise dramatique en général inexistante. La conduite de la ligne et son aisance dans les sons mezza voce permettent au ténor italien de respecter le tempo mozartien adopté par Muti (Andantino sostenuto à 2) dans un " Dalla sua pace " d’un raffinement sans faille, et placent insensiblement Don Giovanni sous le signe de Così. Le périlleux " il mio tesoro infanto ", composé pour celui qui sera le premier Tito de Mozart, Antonio Baglioni, et sa longue vocalise après les interminables Fa tenus et renforcés voit, quant à lui, la métamorphose du fervent chevalier en " annonciateur de massacres et de mort ".
Adrianne Piedconzka est une belle Donna Anna émouvante –bien qu’un peu placide- à la voix ronde et ample. Elle souscrit à la vision de Riccardo Muti en renonçant à des effets trop tragiques dans " or chi sai l’onore " ; sa Donna Anna s’abandonne petit-à-petit dans un magnifique "Non mi dir ", où l’on admire ses respirations, à sa propre plainte avant de se ressaisir et d’achever son air sur une victorieuse détermination.
La Zerline d’Angelica Kirchschlager est troublante dans sa demi-acceptation de " Là ci darem la mano", au cours duquel Don Giovanni et elle paraissent tous deux jouer à un jeu dont ils connaissent les ressorts, celui de la Séduction. Vocalement et scéniquement présente, elle trouve des accents d’une grande tendresse dans " Vedrai carino ", éclairé par Muti comme le dernier instant d’équilibre de l’opéra, avant que les modulations de l’orchestre n’annoncent l’approche inexorable de la mort et, par un jeu de rappels musicaux, n’entraînent Don Giovanni dans une évocation vertigineuse d’un passé dont il s’obstinera à nier l’existence jusqu’au bout.

Eccessi de tempo, de raffinement, subtil mariage du velours des sons et des lumières, une ovation pour le maestro chaque soir…Toutes les représentations affichent complet, nul doute que le passionné parviendra à pénétrer dans la Scala…mais au prix de bien d’autres eccessi !




Laurence Varga

 

 

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