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Un événement : un vitrail et Saint François

Madrid
Madrid Arena
07/06/2011 -  & 8*, 10, 11, 13 juillet 2011
Olivier Messiaen : Saint François d’Assise
Camilla Tilling (L’Ange), Alejandro Marco-Buhrmester (Saint François), Michael König (Le Lépreux), Wiard Witholt (Frère Léon), Tom Randle (Frère Massée), Gerhard Siegel (Frère Élie), Victor von Halem (Frère Bernard), Vladimir Kapshuk (Frère Sylvestre), David Rubiera (Frère Rufin), Jesús Caramés (L’Ombre du Lépreux)
Intermezzo (Chœur titulaire du Teatro Real), Andrés Máspero (chef de chœur), Cor de la Generalitat Valenciana, Francesc Perales (chef de chœur), Valérie Hartmann-Claverie, Nathalie Forget, Bruno Perrault (ondes Martenot), SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Sylvain Cambreling (direction musicale)
Emilia et Ilya Kabakov (installation), Giuseppe Frigeni (disposition scénique), Roby Duiveman (costumes), Jean Kalman (lumières)


(© Javier del Real/Teatro Real)


Un événement différent des autres. En 1986 le Teatro Real de Madrid (à l’époque, une salle de concerts uniquement) a donné une version de concert de Saint François d’Assise en présence d’Olivier Messiaen lui-même et dirigée par Kent Nagano. Aujourd’hui, le Teatro Real a choisi de présenter l’œuvre ailleurs. Prévue originellement dans un lieu où la grande coupole des Kabakov n’entrait pas, on a dû se déplacer vers la Madrid Arena, loin du centre-ville, mais qui fait salle comble à chaque représentation (2400 spectateurs).


Les huit « scènes franciscaines » de Messiaen comportent en apparence quelques contradictions. L’action (le mot convient-il vraiment?) se déroule dans une intimité permanente. Saint François est un opéra intime où il n’y a que sept personnages et seuls deux, trois, voire quatre, sont présents sur la scène en même temps. Le chant se déploie sur un orchestre formidable, pas opulent, mais nombreux (250 musiciens) où figurent tous les instruments d’un orchestre occidental, trois ondes Martenot, les gamelans javanais, et d’autres instruments exotiques. Et le chœur est au nombre de 150! Très souvent, c’est vrai, cet orchestre joue par petits groupes « de chambre ». Et le chœur ne chante que dans des moments très concrets. L’intimité des scènes conviendrait sans doute mieux à un petit théâtre. L’orchestre et le chœur demanderaient, en revanche, un grand théâtre. Mais les ensembles ne jouent jamais en tutti.


On a reproché à ce Saint François du Teatro Real un ton peu franciscain. Il est regrettable qu’on ait choisi un lieu dédié au basket-ball ou au tennis, avec une acoustique discutable, simplement pour une question de taille du décor. On aurait pu faire une autre mise en scène, aussi simple et belle, plus souple, sans cette immense coupole, très belle, certes, avec son jeu de lumières permanentes, véritable «vitrail » inspiré par ceux aimés de Messiaen, une grande cloche, un vaisseau spatial, peut-être un édifice lumineux prêt à protéger les amoureux du Christ de la froideur extérieure des mécréants. Cela dit, la beauté de la coupole est indiscutable, avec ses jeux de lumières qui changent, tout comme le chemin vers la perfection du protagoniste.


Autre reproche adressé au Teatro Real : l’arrogance de cette expérience peu franciscaine… Mais, après tout, l’opéra a besoin de la foire aux vanités pour subsister, on sait cela, avec ou sans Saint François. La coexistence entre le snobisme et l’amour de l’art lyrico-dramatique n’a jamais trouvé une troisième voie. L’un et l’autre sont interdépendants. Grâce à cela on peut appréhender cette beauté. Il est difficile de savoir si Messiaen était complètement conscient de la contradiction entre le monde de l’opéra et le monde spirituel, contraction insoluble, aussi grave aujourd’hui qu’en 1983. Voir son Saint François d’Assise dans un théâtre (le disque favorise une démarche différente, plus abstraite et plus spirituelle) signifie que l’on se faufile parmi les ennemis acharnés de saint François, qui ne sont pas toujours chrétiens.


Il faut donc s’«abstraire », du moins dans une certaine mesure et assister à cette espèce de cérémonie où on chante (comme chez Stravinski) une des salles (cellules plutôt) du Royaume de Dieu dans la musique ou, comme chez Mahler, la Résurrection après la Croix ou la Terreur ; et endurer toutes les horreurs sans se prendre pour un être moralement supérieur, ce qui est encore peu franciscain. La tâche du critique n’est pas insurmontable: il s’agit de souligner les beautés de ce Saint François, même s’il ne peut pas taire ce que l’événement a de non désirable. On est loin du prétendu prophète « à la Jokanaan ». On est ailleurs. Et c’est tout.


L’excellent Sinfonieorchester de Baden-Baden, renforcé pour l’occasion, est l’un des protagonistes essentiels de cet événement, sous la direction d’un interprète expert de Messiaen, le Français Sylvain Cambreling, auteur d’un cycle insurpassé en huit CD (Hänssler Classic) à la tête de ce même orchestre. Diriger Saint François est toujours une prouesse. Le deuxième des trois actes dure à lui seul deux heures sans interruption et les millions de détails, de nuances et de couleurs en font une partition riche jusqu’à la douleur. Chez Cambreling coïncident l’expert, l’artiste… et on peut dire, aussi, l’athlète. Les deux chœurs font de leur mieux, sans toutefois se hisser au niveau de l’orchestre. Un enregistrement de Saint François par Cambreling est prévu, et cela sera encore un événement.


Personne ne signe cette mise en scène en tant que tel, mais il y a quand même des choix scéniques : scène dépouillée, avec une passerelle pour les personnages, et aucun objet, sinon un petit banc et un établi. Sur la passerelle, vers l’arrière, on voit la grande coupole inclinée, et en dessous de celle-ci, l’orchestre et le chœur. La scène du baiser au Lépreux montre ce dernier collé à un personnage en noir, une araignée peut-être, une ombre, représentant sa maladie, sa croix, avec une solution finale très claire et très imaginative pour la séparation du personnage et de son ombre.


La distribution est parfois « de rêve ». La soprano suédoise Camilla Tilling, dans le rôle de l’Ange, est particulièrement applaudie, avec un chant très « spirituel » qui se traduit par une espèce de filato permanent, ou plutôt un piano-pianissimo très nuancé. La beauté de cette voix fait beaucoup pour la vraisemblance des apparitions de l’Ange. « Tilling est un vrai Ange », a-t-on entendu dire. Et pour cause. Le Suisse Alejandro Marco-Buhrmester bâtit un François convaincant à la voix de baryton claire, souvent lumineuse, toujours spirituelle. Marco-Buhrmester est tout le temps en scène, dans tous les tableaux, à l’exception du quatrième, celui de l’Ange voyageur (acte II). Son interprétation sera peut-être déclarée comme une des grandes réponses au défi de Messiaen et Il Poverello. Michael König (on l’a vu cette saison dans Mahagonny) incarne un Lépreux formidable, plein de vérité et de douleur, avec un aigu loin du lyrisme, prés de l’éclatement, une vrai réussite.
Le reste de la distribution est très adéquat. Les rôles non protagonistes des frères-disciples de saint François sont chantés par de vrais chanteurs-acteurs, comme Randle, Witholt, von Halem ou Siegel, sans oublier les prestations plus succinctes de Kapshuk et Rubiera.


L’ensemble offre des moments magiques. Après tout, Messiaen lui-même appelait à l’enchantement, dans le sens de magie, de prodige, comme ceux du Vendredi Saint de Parsifal : les apparitions de l’Ange, certainement, mais aussi le miracle du Lépreux, ou encore le moment précis du Prêche aux oiseaux. Emouvant, magique. Le Lépreux arrive avec un curieux personnage en noir, et quand il se détache de cette ombre, François devient l’intermédiaire qui prie dans l’espace, se séparant peu à peu du Lépreux et de sa malédiction. Il faut également faire l’éloge de Jesús Caramés, l’ombre du Lépreux, noire, avec ses contorsions prodigieuses qui mènent à la transformation en Croix.
D’autres moments sont également magiques : la violente scène des stigmates, ou le trépas du protagoniste. Et que dire du concert angélique (Acte II, tableaux V, L’Ange musicien), déjà magique dans la partition même?


« Il est parti », chante le Frère Léon. C’est une expression très française, il est vrai, pour dire « il est mort ». Mais, surtout, cela rappelle une interview d’Yvonne Loriod, veuve de Messiaen, réalisée par ce rédacteur en 1994. Elle parlait tendrement de Messiaen et disait : « Quand il est parti… »



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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