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Sans faute acoustique

Baden-Baden
Festspielhaus
06/10/2011 -  
Richard Strauss : Salome Op. 54
Angela Denoke (Salomé), Kim Begley (Hérode), Doris Soffel (Hérodias), Alan Held (Jokanaan), Marcel Reijans (Narraboth), Jurgita Adamonyte (Le Page), Jeffrey Francis, Benjamin Hulett, Timothy Robinson, Pascal Pittie, Reinhard Dorn (Cinq juifs), Steven Humes (1er Nazaréen), Roman Grübner (2e Nazaréen, Un Cappadocien), David Jerusalem (1er Soldat), Artur Grywatzik (2e Soldat), Patrick Büttner (Naaman)
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Stefan Soltesz (direction)
Nikolaus Lehnhoff (mise en scène), Hans-Martin Scholder (décor), Bettina Walter (c), Duane Schuler (lumières)
les 10*, 13 et 16 juin


Richard Wagner : Eine Faust-Ouvertüre WWV 59 – Siegfried-Idyll WWV 103
Franz Liszt : Concertos pour piano n° 1 et n° 2

Daniel Barenboim (piano)
Staatskapelle Berlin, Pierre Boulez (direction)
11 juin


Gustav Mahler : Rückert-Lieder
Richard Wagner : Tristan und Isolde: Prélude et Mort d’Isolde
Richard Strauss : Eine Alpensinfonie Op. 64

Waltraud Meier (mezzo-soprano)
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Stefan Soltesz (direction)
12 juin


Gustav Mahler : Symphonie N° 8
Manuela Uhl (soprano, Magna Peccatrix), Michaela Kaune (soprano, Una Poenitentium), Marisol Montalvo (soprano, Mater Gloriosa), Lioba Braun (alto, Mulier Samaritana), Birgit Remmert (alto, Maria Aegyptiaca), Michael König (ténor, Dokor Marianus), Detlef Roth (baryton, Pater Ecstaticus), Albert Dohmen (basse, Pater Profundus)
Chor der Bamberger Symphoniker, Ceský filharmonický sbor Brno, Aurelius Sängerknaben Calw, Bamberger Symphoniker, Jonathan Nott (direction)
18 juin


A. Denoke & A. Held (© Andrea Kremper)


Les récentes années de crise financière ont quelque peu resserré la programmation du Festspielhaus de Baden-Baden, de façon avouée ou non. Cela dit la succession des manifestations annoncées, regroupées à chaque fois en petites périodes festivalières d’une semaine (hiver, Pentecôte, été, automne…) se maintient à un très haut niveau, comme en témoigne cette édition de Pentecôte 2011 où grands noms et phalanges de luxe se bousculent. Programmation pour l’essentiel allemande – et probablement projet d’affirmation à plus long terme comme centre de gravité d’une culture musicale allemande de prestige (la prochaine migration du Festival de Pâques des Berliner Philharmoniker de Salzbourg vers Baden-Baden s’inscrivant par ailleurs très bien dans cette tendance) – mais où brillent des talents extraordinairement multiples, et en particulier des orchestres d’une discipline et d’un rayonnement sonores vraiment peu ordinaires.


La palme en la matière revient au Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, qui s’épanouit dans un luxe de sonorités et une palette de couleurs époustouflants. Sous la baguette de Stefan Soltesz, chef mésestimé qui s’est forgé une personnalité "à l’ancienne" dans les fosses des théâtres de répertoire et recueille aujourd’hui les fruits de ce travail de fond, on assiste à un véritable déferlement d’informations auditives dont le dénominateur commun est une musicalité constamment maximale. Aucun phrasé n’est laissé dans l’ombre et tout respire avec une remarquable absence de crispation, que l’orchestre prenne place en fosse pour Salomé ou sur le podium pour une Alpensinfonie de Richard Strauss détaillée comme un paysage sur écran panoramique en haute définition. Dans les deux cas l’avancée et la tension ne sont pas les vertus prédominantes mais on gagne énormément en qualité du message sonore instantané. De quoi analyser d’une oreille différente le travail thématique très particulier d’une Alpensinfonie qui sonne étonnamment moderne, la récurrence du thème escarpé des cuivres ne servant plus que de charpente et laissant le champ libre à une passionnante mélodie de timbres continue (dont la difficulté d’intégration, lors d’une première écoute, reste par ailleurs indéniable). Dans Salomé, le même hédonisme du temps qui passe donne du reste de curieux résultats, cette partition orgiaque et méchante n’ayant jamais paru aussi prémonitoire du relâchement voluptueux du Rosenkavalier. Mais là encore la séduction est impérieuse, l’acoustique idéale du lieu accentuant encore une extraordinaire impression de confort.


Présente pour une seule soirée de halte au cours d’une tournée, la Staatskapelle de Berlin brille en revanche moins qu’à l’accoutumée. Comme si le passage de son chef Daniel Barenboim au statut plus exceptionnel de soliste la laissait un peu courte de souffle et de moyens. Non que Pierre Boulez paraisse moins efficace que d’habitude, mais les timbres paraissent plus grêles et les accidents de parcours, même minimes, surprennent parce que peu habituels. Il est vrai que suivre Daniel Barenboim dans les Concertos pour piano de Liszt n’est pas de tout repos, le soliste ne parvenant à domestiquer ces deux chevaux de bataille qu’en les bridant. Somme toute les difficultés du texte sont maîtrisées et les fausses notes sont rares (ou du moins habilement camouflées) mais au prix de compromis lourds, le tempo devant fréquemment fléchir quand l’athlétisme des déplacements des mains devient trop astreignant. On passe de l’héroïsme pianistique lisztien ordinaire (quand de vrais monstres sacrés du piano se défoulent sur la question) à un discours rhapsodique un rien précautionneux qui ne manque d’ailleurs pas de charme, l’interprète restant toujours fascinant à regarder voire amusant dans ses façons de se rattraper avec la souplesse d’un chat aux branches passant à sa portée. Boulez cale ses battues verticales à l’arrière-plan et on peut compter sur son énorme sang froid pour que tout le monde termine à peu près ensemble. Succès public énorme dans un auditorium plein à craquer et qui gonfle encore après le bis, 8e Nocturne de Chopin dévoyé dans une facilité racoleuse que l’on peut déplorer. En complément de programme, deux pièces wagnériennes qui sont effectivement tout ce que l’on peut trouver d’une véritable envergure symphonique chez Wagner et qui sont toutes deux à leur manière révélatrices de l’incompatibilité du talent de ce compositeur particulier avec le discours thématique traditionnel. L’Ouverture de Faust intéresse par ses nombreux embryons en pleine gestation (on y entend constamment, immédiatement tronqués par un souffle trop court, des départs de thème que l’on retrouvera ensuite dans des opéras fort connus). En revanche l’exécution de Siegfried Idyll n’échappe à l’ennui que sur la fin, quand Boulez parvient à y susciter une souplesse plus grande et aussi quand les cordes réussissent à retrouver leur niveau d’homogénéité habituel.


Le plus discret des trois orchestres présents, l’Orchestre Symphonique de Bamberg, n’est de loin pas le moins attractif. En très grande formation, sous la baguette souple et efficace de Jonathan Nott (un véritable modèle de lisibilité, au service de compétences mahlériennes dont on entendra certainement reparler), cette phalange s’affirme avec une précision et une lisibilité totale par rapport à une masse chorale d’un volume exceptionnel. Là encore on notera le sans-faute acoustique, les quatre cents exécutants rassemblés sur le plateau pour cette Huitième Symphonie de Mahler n’occasionnant aucune saturation même dans les moments de surcharge les plus délirants. Répartition frontale classique pour l’orchestre, avec à l’arrière un profond praticable en gradins qui permet d’accueillir presque deux cent choristes et les solistes vocaux. Reste à placer le chœur d’enfants dans la salle sur l’aile droite du balcon et à poster un peu de cuivraille surnuméraire tout en haut… et le tour est joué. Les architectes et acousticiens qui ont conçu cette salle de grand format totalement fonctionnelle ont décidément rendu un bien fier service au Festival de Baden-Baden ! Ambiance de surcroît bon enfant et campagnarde, en cette tranquille fin de samedi après-midi en Forêt-Noire où l’on voit converger de toutes parts à travers une vallée étroite non seulement un public venu de plus ou moins loin mais aussi de longues colonnes de choristes vêtus de noir qui s’échappent de chaque hôtel, leur grande partition sous le bras. Quelques changements de dernière minute ne nuisent pas, bien au contraire, à l’homogénéité d’un bel aréopage de solistes, Falck Struckmann cédant notamment la place au magnifique baryton Detlef Roth, Amfortas habituel du Festival de Bayreuth, dont le timbre paraît avoir encore gagné en rondeur. Du côté des voix féminines on notera l’extrême solidité des mezzos et, comme souvent dans cette oeuvre, la plus grande précarité des lignes de soprano, difficiles à bien stabiliser mais globalement bien assumées. Exemplaire tenue des chœurs, ce qui compte tenu de la réputation flatteuse des deux formations en présence n’a vraiment rien d’étonnant.


Du côté des autres voix invitées on notera la toujours passionnante Waltraud Meier, dont les moyens paraissent intacts dans des Rückert-Lieder très détaillés, parfaitement clairs dans leurs textes et dans leurs intentions, idéalement soutenus par un orchestre modèle, mais parfois plus instables dans un Liebestod de Tristan et Isolde cependant envoûtant de bout en bout, ne serait-ce que par la science vocale et l’expérience du rôle proprement incroyables que l’on y perçoit à chaque instant. Et puis bien sûr la seconde grande star de la semaine demeure la Salomé d’Angela Denoke, ce rôle aussi éprouvant musicalement que scéniquement restant vraiment le monopole actuel de la cantatrice allemande (on ne voit pas qui actuellement pourrait lui arriver à la cheville dans cet emploi-là). Même dans cette production festivalière richement distribuée les autres protagonistes n’atteignent que rarement le même niveau, à l’exception d’une Doris Soffel au soir de sa carrière mais encore dotée de moyens exceptionnellement percutants, Hérodias urticante et délicieusement insupportable qui constitue l’autre point fort de la soirée. Kim Begley campe un Hérode très correct, en définitive plus franc que décadent, et Alan Held retrouve le rôle de Jokanaan qu’il possède jusqu’au moindre détail. Sur un plateau transformé en une sorte de grand parking de béton à étages construit de travers, la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff paraît un peu contrainte par la répartition des espaces de jeu effectivement disponibles, qui ne sont pas légion. Les moments intenses distillés par cet homme de grande expérience scénique sont multiples : la fin du duo Salomé-Jokanaan où le prophète manque de justesse de succomber aux avances de sa tentatrice et plus généralement toute la gestion très affûtée des interludes musicaux, une Danse des sept voiles intense et peu dénudante comprise. Mais persistent aussi quelques scènes béantes où les acteurs paraissent livrés à eux-mêmes, peut-être par manque de temps disponible pour les répétitions. Les éclairages, plutôt quelconques hormis quelques angoissantes lueurs de souffre jaunâtre pendant la scène finale, portent aussi leur part de responsabilité dans ces passages à vide. Quant à Bettina Walter, costumière à laquelle unité et harmonie restent décidément des vertus étrangères, ses créations paraissent aussi disparates que d’habitude mais déploient toutefois une réelle inventivité, multiplication de détails insolites dans un esprit haute couture trash qui malheureusement souligne surtout la maigreur de l’effectif des figurants qu’elle habille. On notera la présence fréquente à l’arrière-plan d’un bourreau musculeux et très peu vêtu, inquiétante silhouette statique nettement démarquée de la production de David McVicar à Londres, encore que la même idée de départ paraisse ici complètement dérailler sur la fin. La dernière apparition de l’exécuteur, tout en haut du décor, s’effectue tellement tard que l’on redoute immédiatement qu’à cette vitesse de marche il ne parvienne à éliminer Salomé qu’avec beaucoup de retard. Et c’est ce qui se produit effectivement, encore que ce hiatus soit sans conséquence puisqu’ici l’identité de la « femme à tuer » désignée par Hérode reste ambiguë : il ne semble pas s’agir du rôle-titre mais plutôt de l’agaçante épouse du Tétrarque, Hérodias prestement allongée par terre d’un coup de poignet expéditif pendant qu’un rideau noir tombe sur Salomé, dont le sort final reste inconnu. Une bien curieuse affaire de famille, décidément !



Laurent Barthel

 

 

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