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La longue marche de Teuzzone

Versailles
Château (Opéra royal)
06/24/2011 -  et 26* juin 2011
Antonio Vivaldi : Il Teuzzone, RV 736

Paolo Lopez (Teuzzone), Raffaella Milanesi (Zidiana), Delphine Galou (Zelinda), Furio Zanasi (Sivenio), Roberta Mameli (Cino), Antonio Giovannini (Egaro), Makoto Sakurada (Troncone, Argonte)
Le Concert des Nations, Jordi Savall (direction)




Le fait que l’atmosphère de l’Opéra royal soit extrêmement agréable, voire un peu fraîche, alors que le Château de Versailles est plombé par un soleil éclatant et des températures étouffantes, ne suffit naturellement pas à expliquer la venue du public pour écouter, un dimanche après-midi, un opéra d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Donnée dans le cadre d’une série de concerts (où Vivaldi occupe évidemment la place centrale) et de festivités célébrant jusqu’à la mi-juillet «Venise Vivaldi Versailles» (culminant avec un «Carnaval de Venise à l’Orangerie» où chaque participant est invité à venir masqué et costumé), cette deuxième représentation d’Il Teuzzone faisait figure d’événement tant l’œuvre avait été complètement oubliée, hormis peut-être par quelque spécialiste.


Et pourtant, elle ne peut que séduire en raison des richesses de la partition mais également de l’action proprement dite qui, c’est assez rare pour le souligner, se déroule en Chine. Certes, on conviendra que le nom des protagonistes s’accorde mal avec l’Empire du Milieu, mais c’est pourtant là que le célèbre librettiste Apostolo Zeno (1668-1750) a choisi de camper l’histoire qui va servir de trame à la musique du Prêtre roux. Force est de constater que la Chine a rarement été une source d’inspiration pour l’opéra baroque même si l’on peut relever le très méconnu opéra intitulé Il Cinese rimpatriato (Le Chinois de retour), composé en 1753 par Giuseppe Sellitto (1700-1777). De même, on remarquera que, dans son opéra Almira, Georg Friedrich Händel (1685-1759) a inséré une «Danse des Asiatiques», mais le fait est que la référence à l’Asie renvoie au mieux aux rives de l’Indus (pensons à l’opéra du même Händel Tamerlano, qui a été également le sujet choisi pour une de ses œuvres par Francesco Gasparini en 1711, ou aux célébrissimes Indes galantes de Jean-Philippe Rameau), mais plus généralement à l’Empire ottoman qui, là en revanche, a été une source inépuisable (citons par exemple Semiramis de Cesti ou Tancrède d’André Campra). Pourtant, la Chine avait tout pour séduire Venise, ne serait-ce que parce que cette dernière, carrefour entre l’Orient et l’Occident, fut tout de même la ville où vécut Marco Polo (1254-1324)! Aussi, compte tenu de ces divers éléments, c’est sans grande surprise que l’on constatera que Vivaldi n’a jamais été un adepte de l’influence asiatique, même s’il a composé des opéras comme Sémiramis RV 733 (1731) ou Bajazet RV 703 (1735), et si on lui attribue parfois l’opéra Alexandre aux Indes (1737) qui, en vérité, serait l’arrangement d’un opéra préexistant de Hasse.


Composé et créé en 1718 alors que Vivaldi était en poste à Mantoue, Il Teuzzone débute par la mort de l’Empereur de Chine, Troncone. Alors que celui-ci vient de remporter une victoire décisive, il confie, agonisant, à son fidèle Cino un parchemin scellé dans lequel il a écrit le nom de celui ou celle qu’il souhaite voir lui succéder et, avant de rendre son dernier soupir, donne au chef de ses armées, le général Sivenio, le sceau impérial que devra porter le futur Empereur. Sa jeune veuve, Zidiana, souhaite profiter de ce décès pour accéder aux fonctions suprêmes et se marier avec Teuzzone, qui est vraisemblablement le fils d’un premier mariage de Troncone. Pour parvenir à son but, elle entreprend donc de séduire Cino et Sivenio qui, de leur côté, projettent également de prendre le pouvoir et, à cette fin, vont jusqu’à falsifier le testament de l’ancien souverain. Etranger à toutes ces préoccupations, Teuzzone préfère pour sa part passer son temps à déclarer sa flamme à Zelinda, jeune princesse tartare, dont il est éperdument amoureux. Alors que, avec la complicité tout autant que la duplicité de Zidiana, les usurpateurs lisent le faux testament qui permet à cette dernière d’accéder au trône de Chine, Teuzzone dénonce la supercherie et promet de combattre les traîtres. Paradoxe des situations, dans le même temps, Zidiana demande à Zelinda, dont elle ignore les sentiments, de convaincre Teuzzone de l’épouser pour régner à ses côtés. Après avoir vu son armée vaincue, le loyal Teuzzone se voit néanmoins jugé et condamné à mort mais son exécution est retardée par Zidiana qui espère toujours le séduire et l’épouser. Après maintes péripéties, alors que Teuzzone et Zelinda s’apprêtent finalement à être exécutés, Cino, qui a retourné sa veste après avoir compris qu’il était un objet entre les mains de Zidiana, révèle à l’armée et au peuple rassemblés la teneur véritable du testament de Troncone qui, bien évidemment, lègue le trône à Teuzzone, son fils. Comme souvent dans les opéras de cette époque, la fin est heureuse puisque Teuzzone pardonne à tous (à la notable exception de Sivenio, condamné à la prison à vie) et se marie à Zelinda.


Mêlant de façon assez classique réflexion sur le pouvoir et aventures amoureuses, l’intrigue est une nouvelle fois extrêmement complexe. Mais cette complexité est le propre de l’opéra baroque, de telle sorte qu’elle ne suffit pas expliquer pourquoi Il Teuzzone est quasiment inconnu des mélomanes. Certes, un enregistrement existe sous la direction de Sandro Volta (le coffret ayant été édité en 2006 chez Brilliant Classics) mais, aux dires de ceux qui le connaissent, il ne présenterait aucun intérêt. Signe néanmoins de la richesse de la partition, Cecilia Bartoli en a enregistré un extrait dans son désormais célèbre «Album Vivaldi» (il s’agit de la cavatine du héros «Di trombe guerriere» à la scène 1 de l’acte II) et, tout récemment, Nathalie Stutzmann a également enregistré un extrait orchestral des plus brefs de l’opéra, chantant par ailleurs un extrait de Tieteberga RV 737 qui n’est qu’une reprise de l’air d’Egaro à la scène 8 de l’acte II de Teuzzone! Oublié presque aussitôt après avoir été composé, Il Teuzzone bénéficie donc là d’une véritable résurrection, les deux représentations en concert données à Versailles ayant été enregistrées avec soin par les micros de Naïve afin de constituer un nouveau volume de l’inestimable «Edition Vivaldi», qui nous a notamment révélé Tito Manlio, opéra composé de manière concomitante à Il Teuzzone, l’équipe de chanteurs ayant créé les deux opéras ayant d’ailleurs quasiment été la même.


Une fois encore, comment ne pas être subjugué par cette musique? Comment ne pas admirer la diversité des timbres? Comment ne pas admirer le véritable génie de Vivaldi? Le Concert des Nations ne comporte qu’une vingtaine de musiciens (quatre premiers et seconds violons, deux altos, trois violoncelles, un violone, deux hautbois et deux trompettes, un basson, des timbales et une basse continue) mais brille de mille feux. On a déjà eu l’occasion de le signaler mais, ce qui est admirable chez Vivaldi, c’est notamment l’effet maximal obtenu par le jeu minimaliste de tel ou tel instrument: qu’il s’agisse de l’excellent violon solo de Riccardo Minasi dans l’air de Zidiana «Tu mio vezzoso» (acte I, scène 3) qui répond magnifiquement à la chaleur, à la moindre appogiature ou trille de la voix de Raffaella Milanesi, de l’air d’Egaro «La gloria del tuo sangue» (acte II, scène 8) accompagné par des hautbois qui chantent, une guitare qui gratte et des violoncelles qui râpent, ou du caractère glorieux de l’air de Zelinda «Con palme ed allori» (acte III, scène 1) où brillent trompettes et timbales, l’adéquation entre instrumentistes et chanteurs relève de l’exceptionnel. Peu sujet aux effusions et à la gestique grandiloquente, Jordi Savall dirige avec un soin millimétré son Concert des Nations qui, après Farnace, prouve qu’il est un instrument idéal pour servir la musique de Vivaldi.


Quant à l’équipe de chanteurs ici réunie, oserons-nous dire qu’elle nous paraît quasiment idéale? Commençons par les protagonistes chantés par des voix féminines, puisque les trois cantatrices ont véritablement été exceptionnelles. On avait déjà pu saluer Delphine Galou à juste titre lorsque, Marie-Nicole Lemieux ayant fait défaut, elle avait remplacé cette dernière au pied levé pour une représentation d’Orlando furioso au Théâtre des Champs-Elysées. Dans le rôle de Zelinda, cintrée dans une robe propre à éveiller tous les fantasmes de l’Orient, elle fait montre de toutes ses capacités, que ce soit dans l’air «Che amaro tormento» (acte I, scène 6) où sa voix se maria idéalement aux timbres des instruments sur un agréable rythme de sicilienne ou dans l’air, à la scène 9, «La timida cervetta», là encore accompagné par des cordes endiablées mais tout en finesse. On en redemande! Cela dit, elle n’éclipse en rien les mérites de Raffaella Milanesi. Incarnant avec beaucoup de réussite le personnage de Zidiana, elle témoigne non seulement d’une voix chaleureuse mais également d’une théâtralité dans le chant qui nous fait regretter de n’avoir pas eu de mise en scène pour ce Teuzzone: ceci fut particulièrement vrai dans le très bel air «Sarò tua regina e sposa» (acte I, scène 8) où la voix joue avec les silences impromptus, les ruptures rythmiques et la comédie. Ce fut également le cas dans l’air «Ritorna a lusingarmi» (scène 17 de l’acte II) où Raffaella Milanesi usa de sa voix avec un naturel confondant, sans artifice, charmant par sa seule présence et illustrant merveilleusement le caractère «Volando e vezzeggiando » («Et voltige, folâtre») de ce passage. Dans le rôle de Cino, Roberta Mameli est également sous son meilleur jour, au point que l’on déplore la brièveté de certains airs, notamment «Quanto costi, al mio riposo» (acte III, scène 1) où la voix resta suspendue en l’air, de manière presque irréelle. Si Roberta Mameli lâche parfois un peu trop ses aigus (notamment dans «Son fra scogli e fra procelle» à la scène 4 de l’acte III), on reste hypnotisé par sa présence et sa prestance dans un air qui n’est pas sans rappeler «Qual guerriero in campo armato» dans Bajazet.


Compte tenu de la brièveté de ses interventions, on passera rapidement sur la performance de Mako Sakurada pour s’attacher aux trois autres personnages. Dans le rôle de Sivenio, Furio Zanasi (qui chante le rôle-titre de Farnace dans l’enregistrement dirigé par Jordi Savall chez Alia Vox, d’ailleurs préférable par sa spontanéité à celui réalisé ensuite chez Naïve) déçoit non pas en raison de sa technique, sûre et sans anicroche, mais du fait d’un certain manque de puissance et d’un caractère trop peu engagé; les airs «Non temer: sei giunto in porto» (acte II, scène 12) ou «Base al regno e guida al trono» (acte III, scène 5), épaulé par des cordes superlatives, furent d’assez bonnes illustrations de ce travers. Antonio Giovannini fut un très bon Egaro (l’air «La gloria del tuo sangue», acte II, scène 8) même si son intervention était plus fréquente lors des longs récitatifs de l’opéra que dans les passages chantés. Enfin, dans le rôle de Teuzzone, Paolo Lopez fut excellent et, même si sa voix de sopraniste manquait parfois légèrement d’ampleur et d’assise, nous livra quelques moments fabuleux, à commencer par l’air «Come fra turbini» à la scène 10 de l’acte I, mais on ne peut non plus passer sous silence l’air «Si, rebelle anderò, morirò» (acte II, scène 11) qui illustre à la fois le génie de l’œuvre et la philosophie de l’histoire qui nous est ainsi racontée.


Compte tenu du résultat obtenu (regrettons également que, comme cela avait été par exemple le cas pour la version de concert de Bellérophon de Lully, les prestations n’aient pas été filmées par les caméras de Mezzo), c’est avec impatience que l’on attend la sortie du disque chez Naïve, programmée pour la fin de l’année 2011. Plus que jamais, Viva Vivaldi!


Le site de Jordi Savall
Le site de Raffaella Milanesi
Le site de Roberta Mameli
Le site du festival «Venise Vivaldi Versailles»



Sébastien Gauthier

 

 

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