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« Epiphanie », pas « Apocalypse »

Madrid
Teatro Real
04/25/2011 -  & 25, 27, 29* avril, 2, 5, 7, 10, 12, 14 mai 2011
Karol Szymanowski: Król Roger, Op. 46
Mariusz Kwiecien (Le roi Roger), Olga Pasichnyk (Roxana), Will Hartmann (Le berger), Stefan Margita (Edrisi), Wojtek Smilek (L’archevêque), Jadwiga Rappé (La diaconesse)
Pequenos cantores, Orchestre et Chœur du Teatro Real de Madrid, Andrés Máspero (chef du chœur), Paul Daniel (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Saar Magal (chorégraphie)


(© Javier del Real)


Enfin ! Le Roi Roger, arrive chez nous, à Madrid, un an après le Liceu de Barcelone. A Madrid, c’est la production donnée à l’Opéra Bastille en juin-juillet 2009, avec presque la même distribution. On peut affirmer que cet opéra mal connu a conquis le public, malgré une proposition théâtrale que beaucoup considéraient pour le moins « gênante ».


Le Roi Roger est le point culminant de ce qu’on considère comme la deuxième époque de Szymanowski, la plus sensuelle, comme on peut le voir et l’entendre par la quantité et qualité de la musique qui surgit de la fosse. C’est, peut-être, une « marque d’époque » non datée qui a supporté le poids du temps: les tempêtes sonores des opéras de Strauss, Schreker, Zemlinsky, Korngold… On dirait que dans cet opéra il y a une « horreur du vide », avec, en plus, des lignes vocales séduisantes, pleines de mélismes orientalisants. Mais il faut remarquer que Szymanowski adopte un langage tout à fait différent de celui des musiciens évoqués. Peut-être son temps est-il venu, après des années d’oubli, si on compare son parcours historique avec celui de ses collègues strictement contemporains, comme Bartók, Stravinski, Webern, ou Berg… L’entrée du Roi Roger au répertoire en est un signal. Cet opéra est l’histoire d’une épiphanie, et le triangle érotique n’est qu’un prétexte. Tout est dans Roger lui-même: la péripétie de sa femme la Reine Roxane, la cour des intolérants, le berger-Dyonisos, le Soleil levant-Apollon, la sagesse d’Edrisi, un personnage qui existait, tout comme Roger, dans un moment et un lieu de convivialité des trois religions.


Paul Daniel dirige d’une façon exemplaire. Il compte déjà deux succès incontestables au Teatro Real: L’Upupa de Henze et L’Affaire Makropoulos de Janácek. Cette fois, il a su concentrer et unifier les nombreux instruments de la partition et de la fosse avec les voix, plus particulièrement le quatuor du protagoniste (Roger), l’antagoniste (le berger) et le deux deutéragonistes (Roxane et Edrisi), mais également un chœur qui a beaucoup d’importance au premier acte, avec une présence notable de voix d’enfants. Kwiecien réussit, avec une voix de baryton puissante et claire, un Roger insurpassable dans la couleur, le souffle, et la complexité intérieure du rôle. Olga Pasichnyk, est, elle aussi, inégalable, proposant une Roxane dont la très belle émission est mise au service d’une double séduction: elle-même, séduite par la doctrine et la figure du berger, et le public, séduit par la sensualité et le charme de la personne et du personnage, dont les beautés ne se limitent pas au chant bien connu du deuxième acte. Le ténor allemand Will Hartmann n’était pas dans la distribution parisienne. Le rôle du berger est redoutable: il exige une voix lyrique, voire légère, faisant parfois penser à un altino, mais réclamant une envergure considérable pour franchir un orchestre étoffé. Hartmann y parvient. Margita, Smilek et Rappé faisaient quant à eux partie de la distribution de l’Opéra Bastille. Si les rôles de l’archevêque et la diaconesse se mêlent, et parfois se confondent avec celui du chœur, Margita a l’opportunité de donner du volume, avec une ligne de chant superbe, et de conférer une évidente humanité au rôle d’Edrisi. Le chœur, y compris le chœur d’enfants, est d’un niveau semblable à celui de l’orchestre. Dans le domaine musical, donc, rien à rapprocher, bien au contraire : la réussite est totale.


Krzysztof Warlikowski est un metteur en scène exceptionnel, c’est incontestable, avec un succès très mérité au Teatro Real avec Makropoulos, en 2008. Mais sa proposition théâtrale pour Le Roi Roger a été quasi unanimement (et à juste raison) considérée comme un obstacle à la compréhension, et même pour comprendre le texte dans les moments importants. On dirait que Warkilowski n’aime pas trop le pathos polonais, et, en même temps, il est fidèle à son credo: l’auteur, c’est moi et non Szymanowski et Iwaszkiewicz. Une conversation avec le metteur en scène quelques jours avant la première permet de déceler chez lui une « mentalité théâtrale » qui vient de loin. C’est plutôt dommage, parce que le public n’a pas trop réagi contre la mise en scène. Ce qui semble l’avoir contrarié, en revanche, pour une première confrontation avec l’œuvre, c’est la surabondance d’images déroutantes, si lointaines d’un livret qui propose une épiphanie, un voyage intérieur, la rencontre de l’aimé-ami et l’équilibre entre Apollon et Dionysos. Apollon, finalement, est une espèce de casino, et Dionysos finit en flûtiste d’Hamelin peu méchant qui mène les enfants à Disneyland après la disparition de toutes les personnes âgées de l’hôpital. On nous suggère (peut-être nous montre-t-on) que le savant Edrisi est un dealer de haute volée… Ajoutons à cela un petit film de Warhol qui nous conduit ailleurs, loin de l’action dramatique.


Une des grandes difficultés de cet opéra est le portrait du berger, entre saint Jean du désert et Conan le Barbare. Ici, Warlikowski et Malgorzata Szczesniak proposent une vision nouvelle du personnage: gitan, hippy, marginal, poète, rock-star… Ce n’est pas vraiment décalé, surtout si on compare cela avec les solutions « cabaret gay » qui ont déjà été utilisées.


Pour conclure, des images belles et réussies mais qui conviendraient mieux à un autre opéra, de John Adams, peut-être. Le public a toutefois dominé une légitime perplexité face à la mise en scène et applaudi la prestation musicale.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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