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L’habit ne fait pas l’audace

Paris
Théâtre de la Ville
05/20/1998 -  
Alban Berg : Suite Lyrique
Anton Webern : Six Bagatelles op. 9
Béla Bartok : Quatuor à cordes n° 3
George Crumb : Black Angels

Quatuor Kronos

Le quatuor Kronos fête ici, à travers trois concerts au Théâtre de la Ville, ses vingt-cinq années d’existence. Les trois concerts reflètent le joyeux éclectisme de leur répertoire. Qu’en est-il du joyeux de leur jeu ?

La première partie du concert de ce soir, dédiée à la Seconde École de Vienne et à leur cousin hongrois, ne parvient pas à convaincre, malgré quelques beaux instants et une sonorité riche qui, malgré une légère amplification, ne porte pas jusqu’à la salle. La musique est surchargée de savant, elle n’est pas jouée, elle est parfaitement retranscrite. Tandis que l’écriture de la Suite Lyrique est éminemment ludique, mêlant citations musicales (la Symphonie Lyrique de Zemlinsky, à qui elle est dédiée, Tristan und Isolde), références ésotériques (les initiales du compositeur et de son aimée), écriture sérielle et libre atonalité, tandis que l’oeuvre inclut le double jeu comme l’une de ses composantes premières, l’interprétation du quatuor Kronos s’embourbe, elle est terne et sans vie. Le choix des tempos efface la structure en double mouvement (accélération des mouvements impairs et ralentissement des mouvements pairs), qui constitue la ligne divergente de l’oeuvre. La sécheresse tient lieu de nervosité, l’inexpressivité remplace l’intériorité. Les musiciens semblent avoir placé tous leurs désirs de jeu dans une tenue vestimentaire qui cherche l’originalité sans la trouver. Ils respirent l’ennui et n’engagent pas les auditeurs à leur prêter oreille.

Les Bagatelles de Webern s’accommoderont mieux de cette relative froideur. Jouées en un tempo lent, avec des sonorités très justes, soutenues par le pensant silence d’une salle pleine, elles trouvent leur aura de mystère, leurs gestes sibyllins. Le Quatuor de Bartok souffre des mêmes défauts que la Suite Lyrique : la vie, le jeu, la surprise lui font défaut. C’est la seconde partie du programme, Black Angels, de George Crumb, oeuvre totémique de la formation, qui donne toute sa mesure au quatuor. Le quatuor de Crumb, qui demande aux musiciens de quitter par instants leurs traditionnels instruments, amplifiés, pour caresser de leur archet gongs ou verres en cristal, jouer des maracas ou intervenir vocalement, se réfère à la guerre du Viêt-Nam. L’oeuvre nécessite une mise en scène : les musiciens, vêtus de noir, circulent au milieu d’un décor d’objets ; ils suspendent leurs instruments à des câbles lorsqu’ils se déplacent pour jouer d’autres sons. La musique de Crumb est presque picturale, elle joue sur les effets jusqu’à la tentation du mimétisme sonore, tout en demeurant création poétique. Elle invoque à deux reprises le passé musical, dans la distance : citation - un extrait du quatuor La Jeune Fille et la Mort, de Schubert - ou moments écrits par le compositeur dans un soucis de référence - une Sarabande, un passage très fortement marqué de tonalité - sont toujours détournés de leur sens premier par la confrontation à un élément appartenant en propre à l’oeuvre, au présent musical. Ces objets musicaux apparaissent comme l’aspect mortuaire de cette musique, confrontés à la vie d’une écriture très originale.

Si les interprètes paraissent ici à nouveau hors-jeu, le défaut devient qualité. Semblant exécuter studieusement des ordres qu’ils ne comprennent pas, ils deviennent automates, apparitions fantomatiques d’un décor abstrait. L’oeuvre paraît les dépasser, dans le sens positif du terme. Elle remporte ainsi l’adhésion, image de l’inhumain, de ce que l’homme ne peut habiter, maîtriser - idée du métaphysique dans la musique. La scène se fait lieu de démesure, transfiguration du programme de l’oeuvre, qui échappe à la séduction de la représentation.

Une belle ovation a salué cette passionnante seconde partie de concert. L’éclectisme même du quatuor est probablement voué à demeurer confiné dans une discographie impressionnante de diversité, au sein de laquelle peu d’oeuvres sauront passer au concert.



Gaëlle Plasseraud

 

 

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