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Biopera

Paris
Opéra Bastille
03/28/2011 -  et 31* mars, 2, 6, 10, 13 avril 2011
Bruno Mantovani : Akhmatova (création)

Janina Baechle (Anna Akhmatova), Atilla Kiss B (Lev Goumilev), Lionel Peintre (Nikolaï Pounine), Varduhi Abrahamyan (Lydia Tchoukovskaïa), Valérie Condoluci (Faina Ranevskaïa), Christophe Dumaux (Le représentant de l’Union des écrivains), Marie-Adeline Henry (Olga), Fabrice Dalis (Un sculpteur, Un universitaire anglais), Paul Crémazy (Un étudiant, Deuxième universitaire), Vladimir Kapshuk (Un étudiant, Troisième universitaire), Ugo Rabec (Un agent), Sophie Claisse (Une femme du peuple), Laura Agnoloni (Une vieille femme du peuple), Emanuel Mendes (Ténor solo), Slawomir Szychowiak (Baryton solo)
Chœur de l’Opéra national de Paris, Patrick Marie Aubert (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Pascal Rophé (direction musicale)
Nicolas Joel (mise en scène), Wolfgang Gussmann (décors et costumes), Susana Mendoza (costumes), Hans Toelstede (lumières), Marguerite Borie (collaboration à la mise en scène)


J. Baechle (© Elisa Haberer/Opéra national de Paris)


Bruno Mantovani (né en 1974) va vite: bien avant d’avoir atteint la quarantaine, il est non seulement déjà directeur du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (depuis septembre dernier), mais un an seulement après avoir conçu avec Angelin Preljocaj un «ballet rock’n’roll» pour l’Opéra national de Paris, Siddharta, il répond à une nouvelle commande de cette même institution. Alors que sa première contribution au genre lyrique, L’Autre côté (2006) d’après Alfred Kubin, se fondait sur un conte fantastique dont le personnage principal était l’écrivain lui-même, la deuxième, Akhmatova (2010), se présente comme le récit d’un destin réel, celui de la poétesse russe, promue héroïne d’un opéra. Mais comme la mode est au biopic, pourquoi pas un biopera?


Il est vrai qu’Anna Akhmatova (1889-1966), par son parcours personnel, à la fois riche et tragique, et par son œuvre, très tôt célébrée et admirée, mais mise au ban du nouveau régime dès 1925, offre amplement matière à une narration aussi poignante que captivante. Se fondant notamment sur les témoignages de ses proches, en particulier de l’écrivain Lydia Tchoukovskaïa, Christophe Ghristi, directeur de la dramaturgie auprès de Nicolas Joel à l’Opéra, a choisi de concentrer son livret – dédié à la pianiste Elisabeth Leonskaïa – sur une vingtaine d’années, à partir de 1937: les drames se succèdent – maladie, siège de Leningrad et évacuation vers Tachkent, arrestations et internements répétés de son fils Lev Goumilev et de son ancien compagnon Nikolaï Pounine, mort au goulag – tandis qu’alternent retours en grâce et compromis avec une dictature qui la traite tour à tour par la violence, la brutalité, le cynisme, le mépris ou l’indifférence. L’exercice n’était pas aisé, mais, procédant opportunément de façon allusive plutôt que de souligner la dimension pathétique, il arrive même à ménager une place à l’humour, certes grinçant, comme dans la rencontre avec les «universitaires anglais», et, surtout, il évite le piège de l’hagiographie: pas de piédestal ni d’auréole, mais les moments de la vie quotidienne, jusque dans une trivialité un peu maladroite, les interrogations, les hésitations et les zones d’ombre d’une personnalité complexe. Et ce n’est pas le seul opéra auquel on pourra reprocher de tendre vers l’oratorio en privilégiant la psychologie – les relations avec Lev et Lydia – sur l’action.


Voilà qui laisse peu de champ à la mise en scène de Nicolas Joel et confère davantage d’importance aux décors de Wolfgang Gussmann ainsi qu’aux lumières de Hans Toelstede. Le fil conducteur, dès la couverture d’un programme de salle en tout point exemplaire, en est l’un des portraits que Modigliani dessina d’Akhmatova au printemps 1911 à Paris et qu’elle parvint ensuite à conserver et à préserver envers et contre tout en Union soviétique: multipliée – au sol, en fond de scène, en panneaux de différentes tailles déplacés par des machinistes – et déclinée jusque dans le blanc et noir des meubles et accessoires, cette silhouette saisie sur le vif en quelques traits devient également icône, mise à bas par son propre fils, en écho à son terrible ressentiment lorsqu’il revient des camps. La scénographie s’en tient à un registre dépouillé, plus abstrait que les indications suggérées par le livret, simplement éclairé de quelques taches de rouge pour la «colonie d’artistes» de Tachkent. Cette sobriété reste de mise aussi bien lorsque la projection d’images géantes contredit le panégyrique du défunt Staline au deuxième acte que pour évoquer, au troisième, les ruines de Leningrad puis les bouleaux du golfe de Finlande. De même, les costumes de Wolfgang Gussmann et Susana Mendoza cultivent toutes les nuances du gris.


Quand Ghristi a proposé à Mantovani de s’intéresser à Akhmatova, il a ainsi répondu à son envie de traiter le thème du «créateur face au chaos de l’Histoire». Même s’il ne se sent esthétiquement pas proche de son aîné soviétique, il est difficile de ne pas penser ici à la personnalité de Chostakovitch, dont les conditions d’existence furent évidemment tout à fait comparables. Akhmatova, impressionnée par sa Onzième Symphonie «L’Année 1905» comme l’indique la chronologie très complète reproduite dans le programme, lui dédia peu de temps après un poème (La Musique), mais lui-même, pour reprendre la formule de Victor Hugo, n’osa jamais «déposer de musique sur ses vers». Alors que Prokofiev l’avait fait dès 1916 (Cinq Poèmes qui seront donnés le 4 avril à l’Amphithéâtre Bastille), avant, entre autres, Arthur Lourié (dont Akhmatova fut proche dans les années 1920) et Boris Tichtchenko, Chostakovitch lui rendit toutefois un sublime hommage dans l’une de ses ultimes compositions, au travers du dernier de ses Six Poèmes de Marina Tsvetaeva, intitulé «A Anna Akhmatova».


Sans surprise, la partition de Mantovani ne se complaît pas en références à ce contexte musical et historique. Mais on y retrouve la «muse de larmes dont «le nom est un soupir géant», le «fruit téméraire d'une nuit blanche, les «noires tempêtes de neige» et les «hurlements [qui] nous percent comme des flèches» qu’exalte Tsvetaeva. Cela ne va pas sans difficultés: entre récitatif et grands intervalles, ne cédant pas aux sirènes de la poésie d’Akhmatova, ne s’autorisant que de très rares échappées lyriques et associant les rôles par le biais de dialogues davantage que d’ensembles proprement dits, l’écriture vocale, si elle diffère assez nettement de celle de L’Autre côté, peine à faire décoller le premier acte, manquant de naturel, s’écoulant comme un continuum assez terne et statique où la fosse donne l’impression de vivre sa vie indépendamment de la scène. Force est de reconnaître que si le compositeur a, bien entendu, travaillé en étroite coopération avec son librettiste, il n’en a pas moins de mérite à se colleter avec des phrases telles «Le beurre est pour Macha» ou bien «Je comprends, ce n’est pas facile». Le sujet et l’atmosphère l’expliquent sans doute en grande partie, mais la musique ne paraît jamais quitter la grisaille ni réserver le moindre moment de détente. Heureusement, les deux autres actes – les cinq scènes du troisième, après un entracte, étant presque aussi longues que les six scènes de deux premiers – offrent davantage de contrastes et de diversité vocale: brèves interventions chorales de facture assez traditionnelle, emplois typés de colorature pour l’actrice Faina Ranevskaïa et de contre-ténor pour le représentant de l’Union des écrivains (dont Akhmatova accéda à la présidence à la toute fin de sa vie).


Cela étant – et pourquoi Mantovani s’en serait-il privé alors qu’il dispose des merveilleux musiciens de l’Opéra? – c’est l’omniprésence d’une partie instrumentale virtuose qui frappe avant tout, au point de sembler parfois envahissante, dans des teintes sombres, rehaussées de volutes des bois, comme dans Siddharta, d’éclats des cuivres et d’une couleur plus inhabituelle, celle de l’accordéon. Même si le solo d’alto initial s’efface presque immédiatement pour laisser débuter la première scène, l’orchestre non seulement demeure sans cesse au premier plan mais se voit confier un intermède entre les deux premiers actes – scène muette qui se joue devant le rideau fermé – et, surtout, une page très développée concluant l’avant-dernière scène et s’étendant jusqu’à la dernière, où Akhmatova, ne chante que quelques mots, seule face à la mer: un Postludium révélé par Peter Eötvös en novembre dernier salle Pleyel, même si Mantovani estime désormais qu’il «ne s’agit pas d’un postlude» mais bien d’une «ouverture orchestrale qui n’existe pas au début de l’ouvrage comme à l’accoutumée mais qui est placée à l’extrême fin du spectacle».


Dans ces conditions, l’ovation des rangs bien clairsemés de l’Opéra Bastille salue légitimement Pascal Rophé, qui avait assuré voici trois ans la reprise en version de concert de L’Autre côté, et ses troupes. Deux protagonistes de la création du premier opéra de Mantovani, Lionel Peintre en Pounine et Fabrice Dalis dans deux rôles secondaires, sont également à l’affiche, mais alors que le Lev du ténor hongrois Atilla Kiss B prend du temps pour trouver ses marques, c’est finalement Christophe Dumaux, excellent en sinistre et sinueux bureaucrate de la culture, qui s’impose de la façon la plus éclatante chez les hommes. Ecrasant, le rôle-titre, sur scène tout au long du spectacle (un peu plus de deux heures), a apparemment écrasé la mezzo allemande Janina Baechle, dont la voix se projette bien mal, condamnant le spectateur à jeter sans cesse un œil aux surtitres, et qui le cède aussi bien à la Lydia de Varduhi Abrahamyan qu’à la Faina de Valérie Condoluci et à l’Olga de Marie-Adeline Henry.


Le site du spectacle
Le site de Bruno Mantovani
Le site de Janina Baechle



Simon Corley

 

 

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