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Toutes les beautés d’Iphigénie

Madrid
Teatro Real
01/17/2011 -  & 13, 14,16, 19, 20, 23*, 24, 25, 27 janvier 2011
Christoph Willibald Gluck: Iphigénie en Tauride
Susan Graham/Maria Riccarda Wesseling (Iphigénie), Plácido Domingo/Lucas Meachem (Oreste), Paul Groves/Yann Beuron (Pylade), Franck Ferrari (Thoas), Susana Cordón (Une prêtresse, Une femme grecque), Anna Alàs i Jové (Deuxième prêtresse), Maite Alberola (Diane), César San Martín (Un Scythe), Tomeu Bibiloni (Le Ministre du sanctuaire)
Orchestre et Chœur du Teatro Real, Andrés Maspero (chef du chœur), Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène), Tobias Hoheisel (décors et costumes), Robert Carsen et Peter van Praet (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)


P. Groves, P. Domingo (© Javier del Real/Teatro Real)


Pendant les jours du « sacre » de Plácido Domingo, son soixante-dixième anniversaire, les aficionados de Madrid ont eu l’opportunité de voir et entendre, avec lui, un des meilleurs spectacles d’opéra de la saison, Iphigénie en Tauride, de Gluck… Encore une fois, parce que ce n’était pas le premier, ni le dernier, vue la programmation. Beauté de la musique, beauté de la scène, beauté des voix… Et la beauté, on l’a eue dans les deux distributions. Cette Iphigénie en Tauride est à Madrid un de ces moments de hauteur artistique d’un grand théâtre. La mise en scène de Robert Carsen – qui commence à être le bien aimé des publics d’opéra chez nous après ses succès avec Dialogues des Carmélites, Katia Kabanová et Salomé – est déjà connue, il s’agit d’une coproduction de Chicago, San Francisco et Covent Garden. On avait vu cet opéra en 1995 au Teatro de La Zarzuela (Antoni Ros Marbá comme chef, Diana Montagu comme Iphigénie) et aussi la version dansée de Pina Bausch en 1998 au Teatro Real, et en 2010 au Gran Teatre del Liceu de Barcelone.



On a pu lire que cet opéra n’a pas d’action et n’est pas tout à fait du théâtre. Voyons. Il y a une situation dramatique héritée de la tradition grecque, athénienne, une des quatre pièces d’Euripide (parmi celles conservées par la postérité) sur les malheurs de la famille des Atrides : Oreste et Pylade vont être sacrifiés loin de chez eux, dans la Tauride, où ils sont arrivés après la fuite d’Oreste, tueur de sa mère, etc. Une tromperie très grecque : les personnages en savent moins que le public qui voit la pièce. Le public sait que la prêtresse qui doit les tuer est Iphigénie, la sœur d’Oreste, que tout le monde croit morte depuis longtemps, là-bas, en Aulide, comme sacrifice aux dieux avant la guerre contre Troie. Et ce sacrifice-là était le début de tout. Bon, pas tout à fait, mais on ne peut pas aller trop loin dans ce passé infini. Et les quatre actes de cet opéra de moins de deux heures sont la préparation de la reconnaissance du frère y de la sœur : l’anagnorisis. Dans l’opéra, comme dans la pièce d’Euripide et ses innombrables suites, le suspense sera de savoir comment le librettiste et le musicien font pour nous préparer à l’anagnorisis. Avec, surtout, le dessein de l’âme illustrée de la protagoniste. Parce dans cet opéra c’est le rôle titre qui est sans conteste le protagoniste, avec ses convictions bouleversées. Mais cette Iphigénie a aussi le dessein de montrer l’amitié d’Oreste et de Pylade, deuxième élément important de l’action. En plus, la suggestion d’une société non illustrée, fermée, celle du tyran Thoas (et ici l’imagination théâtrale de Carsen excelle, on va le voir). Euripide, après son Oreste (les grands tourments du protagoniste), Iphigénie en Tauride, semble proclamer la paix finale de cette famille malheureuse. Bon, il parait que l’Oreste a été écrit après Iphigénie en Tauride, mais aujourd’hui on pourrait faire un spectacle avec les quatre drames, dans la chronologie intérieure des pièces : Iphigénie en Aulide, Electre, Oreste, Iphigénie en Tauride. De toute façon, cela serait impensable chez Sophocle (comparez les deux Electres!). Et la solution d’Eschyle dans ses Euménides était plus « citoyenne », plus politique.



Iphigénie en Tauride est un opéra pour quatre voix, et quatre autres voix épisodiques. Susan Graham a construit une Iphigénie où le chant, le récitatif, les nuances, voire les filati et les pianissimi servent à la vision d’un personnage non tragique, mais dramatique dans sa complexité, dans ses peurs et, au dessus de tout, sa compassion pour ces inconnus qui doivent être sacrifiés. Le belcantisme est là, entre autres éléments, une très belle ligne de chant. À côté d’elle, Plácido Domingo nous étonne encore une fois, maintenant comme baryton à voix claire, avec sa couleur toujours reconnaissable, dans le rôle d’un jeune homme tourmenté par les forces de sa propre Némésis, ou la Némésis de sa famille. Enflammé, son Oreste est le fruit non seulement de l’expérience, mais de l’étude qui fournit à Domingo l'éternel moteur ses « nouvelles aventures ». Enfin, ce grand succès est aussi celui de Paul Groves, une voix céleste, un ténor d’un lyrisme extraordinaire. Il est inutile d'insister : ici, le triangle soprano (Iphigénie), ténor (Groves), baryton (Oreste) n’a rien à voir avec Le Trouvère.



La deuxième distribution (le 17 janvier), comme très souvent dans ce théâtre, fut d’un niveau tout aussi remarquable, et le succès a accompagné la très riche Iphigénie de Maria Riccarda Wesseling, une jeune soprano dont l’avenir sera certainement éclatant ; tout comme les très belles lignes de Lucas Meachem et Yann Beuron. Frank Ferrari, Thoas dans les deux distributions, a lui aussi été salué par la bravoure déployée dans son personnage « barbare ».



Le public s'est montré ravi, dans les deux cas, par le chef, Thomas Hengelbrock. In faut savoir qu’il s’agit ici d’un orchestre "moderne", sans instruments d’époque, mais avec des critères qui, certainement, profitent des expériences historiques sur les musiques du XVIIIe siècle. On attend avec grande impatience le retour de Hengelbrock avec La clemenza di Tito et Parsifal.



Un confrère disait que la scène de Hoheisel dans la mise en scène de Carsen est définie par une espèce de « seau de la mémoire ». Un seau, certainement, un seau au fond noir, qui cache le sang et proclame l’obscurité. A la fin, après l’anagnorisis et la fin du tyran, le seau se lève et le jour se lève aussi. Mais c’est la mémoire, justement, parce que les figurants, les danseurs, écrivent les noms du passé : Agamemnon, Clytemnestre, et aussi un nom du passé qui va se montrer vivant : Iphigénie. L’action bannira les noms inscrits sur les murs. La soprano efface son nombre, Iphigénie, dans un épisode d’orchestre au lieu du chant prévu (une décision de Carsen, ou de la version viennoise ?) Le chœur est dans la fosse, avec l’orchestre, et une partie importante de cet opéra est dansée. Dansée, ou mimée, et Carsen sait très bien faire bouger, progresser ses acteurs et danseurs. Son dessin est une stylisation de la cruauté : des cadavres, des morts sans sépulture, des sacrifiés, des abattus. Une société xénophobe et superstitieuse où le noir est la couleur unique (mais Carsen supprime aussi une danse barbare au début de l'opéra). Il n’y a pas des costumes d'époque… comment étaient ceux des Grecs du XIIe siècle Avant J.C., et des Scythes. La beauté lyrique et dramatique de la mise de Carsen ne nécessitait pas de costumes spéciaux, pas plus qu’une scénographie chargée. L’autel des sacrifices et le seau se suffisaient à eux-mêmes. Hoheisel a su y répondre. Mais il fallait une chorégraphie au sens dramatique, intégrée à l’action, et pas seulement comme un ornement. Philippe Giraudeau a réussi à souligner le drame au travers de la danse.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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