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Incertitude des sens et du sens

Paris
Opéra Comique
01/20/2011 -  et 15 (Compiègne), 21 (Paris) janvier 2011
Reynaldo Hahn : O mon bel inconnu
Arnaud Guillou (Prosper Aubertin), Cécile Achille (Antoinette), Estelle Lefort (Marie-Anne), Blandine Folio Peres (Félicie), Safir Behloul (Jean-Paul, Lallumette), Florent Baffi (Claude Aviland), Nicolas Certenais (Xavier, Victor)
Orchestres des lauréats du Conservatoire, Emmanuel Olivier (direction musicale)
Emmanuelle Cordoliani (mise en scène), Emilie Roy (décors), Julie Scobeltzine (costumes), Sébastien Böhm (lumières)


S. Behloul, C. Achille (© Pierre Grosbois)


La salle Favart affiche pour deux représentations O mon bel inconnu (1933) de Reynaldo Hahn, coproduit avec le Conservatoire national supérieur de musique de Paris et le Théâtre impérial de Compiègne, en association avec le déjà incontournable Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française). Ce spectacle s’inscrit parmi les manifestations proposées par l’Opéra Comique autour de l’opéra-bouffe Les Mamelles de Tirésias de Poulenc (d’après le «drame sur-réaliste» d’Apollinaire), qui vient d’y être donné (voir ici).


Le rapprochement intrigue dans un premier temps, car si l’on peut malgré tout sans trop de peine trouver des liens entre les compositeurs de Ciboulette et de Dialogues des carmélites, à commencer par une éminente contribution au genre de la mélodie française, les auteurs respectifs des livrets paraissent bien éloignés. Huit ans après Mozart, Hahn retrouve en effet ici Sacha Guitry, dont la rosserie teintée de mélancolie voire d’amertume n’a a priori guère à voir avec l’univers à la fois poétique et délirant d’Apollinaire.


Mais il ne faut pas se fier aux apparences. D’abord parce que Guitry a monté l’une de ces mécaniques infernales qui, comme chez Feydeau, prend progressivement au piège les personnages tout en faisant craquer le vernis social. L’absurde guette quand le chapelier Prosper Aubertin découvre que parmi les 131 (!) femmes ayant répondu à sa petite annonce de cœur parue dans un illustré figurent son épouse, sa fille et sa bonne, ou quand le confident est un ami muet – en l’occurrence fort astucieusement remplacé par un mannequin. Et puis le texte, quand il ne s’attarde pas en profondes considérations sur la consistance du pain grillé ou la technique du pince-fesse (au sens propre), est truffé de coq-à-l’âne et tête-à-queue loufoques, faisant rimer «admirions» avec «Riom» ou «coq» avec «Bangkok», et lançant une folle farandole à base d’homonymies avec les départements français («Au crépuscule, pars pour l’Aube!»).


Face à cette incertitude des sens et du sens, le jeu sur les mots et les lettres fonde les décors d’Emilie Roy: de grandes capitales composant le mot «chapellerie», où se situe l’action des deux premiers actes, tiennent lieu de tables, comptoirs ou chaises, mais, au gré de leur déplacement, permettent également de former d’autres mots («elle», «chérie» ou... «céleri»). Guitry, comme toujours, sent bien l’air du temps: trois ans plus tard, les quiproquos résultant des correspondances anonymes par petites annonces entre deux employés d’un magasin de Budapest inspirent à Miklós Laszló sa pièce Parfumerie, adaptée en 1940 par Lubitsch sous le titre The Shop around the Corner (Rendez-vous). Sa fertile imagination traverse même les époques: si la poste restante a été remplacée depuis lors par les sites de rencontres, le langage du duo entre Claude et Marie-Anne au deuxième acte n’a rien à envier à l’orthographe synthétique des messages SMS – encore une histoire de lettres, décidément. Et la villa du dernier acte s’appelle «Mon rêve»: éclairé en néon rose au-dessus de la scène, son nom, placé de façon presque trop limpide sous le double patronage de la psychanalyse et du surréalisme, en fait le lieu idéal destiné à abriter les espoirs des protagonistes de cette «tragédie bourgeoise», tentant d’échapper aux frustrations du quotidien sous l’œil d’un Guitry peut-être un peu moins vachard qu’à l’accoutumée, malgré un happy end auquel personne ne fait vraiment semblant de croire, mais toujours aussi cruel et misogyne.


Outre le recours aux lettres mobiles, la scénographie, sous les lumières de Sébastien Böhm suggérant l’enfermement de l’appartement et de la boutique puis l’échappée maritime du dernier acte, cultive joyeusement cette veine surréaliste, notamment dans sa prolifération magrittienne de chapeaux melon, mais aussi de pommes bien vertes et de parapluies, sans compter aux têtes entièrement voilées du tableau Les Amants. Dans la boutique du chapelier, les couvre-chefs prennent les aspects les plus inattendus – abat-jour, passoire, escarpin, téléphone à cadran, pot de fleurs, débouchoir à ventouse – mais l’essentiel n’est-il pas qu’on puisse en dire «Ceci est un chapeau»? Et un boa reste un animal, bien sûr, même lorsqu’on le porte autour du cou. Les costumes de Julie Scobeltzine sont à l’avenant, alternant évocation sobre des années 1930 et extravagances désopilantes: cravate écossaise, coiffure à la M(atthieu Chédid) et pantalon rouge pour Jean-Paul, assemblage mi-complet veston, mi toge impériale, lauriers et caligae pour Claude au dernier acte.


Sur les deux heures quarante que dure la représentation, on passe sans doute davantage de temps à parler qu’à chanter, et c’est peut-être pour cette raison que certains spectateurs ont profité de l’entracte pour s’éclipser. La «comédie musicale» en trois actes relève donc davantage de la «comédie en musique»: prima le parole, ce qui rend dès lors primordial le travail sur le jeu d’acteur. Après avoir mis en scène L’Amour masqué de Messager, déjà avec des étudiants du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSMDP) et déjà sur un livret de Guitry (voir ici), Emmanuelle Cordoliani relève le défi, ayant visiblement réussi à communiquer le virus théâtral à l’ensemble de la troupe.


Cela tombe bien, car le charme de cette soirée n’est pas à rechercher du côté de la musique, même si la faute n’en revient évidemment pas à Reynaldo Hahn, qui offre même des moments d’une rare sensibilité, comme dans le trio féminin «O mon bel inconnu». Dans la fosse, Emmanuel Olivier s’efforce de servir cette partition digne du meilleur Messager, vive et légère, spirituelle et raffinée, à la tête d’un Orchestre des lauréats du Conservatoire en effectif réduit (dix-neuf cordes, bois avec saxophone mais sans hautbois, piano et percussion), qu’on a connu plus affûté, en particulier dans les pupitres de cordes. Mais la déception vient surtout des voix, pour la plupart issues du département des disciplines vocales du CNSMDP: même leurs deux aînés, Arnaud Guillou dans le rôle de Prosper et Blandine Folio Peres dans celui de la bonne, créé en son temps par Arletty, ne semblent pas toujours à leur avantage. Mais tous, heureusement, soignent la diction – le surtitrage (des seuls numéros chantés) en devient superflu – et certains déploient une irrésistible vis comica, en tout premier lieu Safir Behloul, impayable amoureux transi puis muet (presque) guéri.



Simon Corley

 

 

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