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Illusions perdues

Paris
Opéra Bastille
12/11/2010 -  et 14, 17, 20, 22, 25, 28, 30 décembre
Richard Strauss : Ariadne auf Naxos, opus 60
Franz Mazura (Der Haushofmeister), Martin Gantner (Ein Musiklehrer), Sophie Koch (Der Komponist), Stefan Vinke (Der Tenor, Bacchus), Xavier Mas (Ein Tanzmeister), Vladimir Kapshuk (Ein Perückenmacher), Vincent Delhoume (Ein Offizier), Yuri Kissin (Ein Lakai), Jane Archibald (Zerbinetta), Ricarda Merbeth (Primadonna, Ariadne), Elena Tsallagova (Najade), Diana Axentii (Dryade), Yun Jung Choi (Echo), Edwin Crossley-Mercer (Harlekin), François Piolino (Scaramuccio), François Lis (Truffaldino), Michael Laurenz (Brighella)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Michel Jankeliowitch (réalisation de la mise en scène)


(© Julien Benhamou/Opéra national de Paris)


De Garnier en 2003, elle était passée à Bastille en 2004. Avouons que si, pour des raisons esthétiques, nous préférons voir Ariane à Garnier, la production de Laurent Pelly trouve sa place à Bastille. Une de ses réussites, à vrai dire : tout ici pétille, alors que ses derniers Offenbach pèsent parfois trop lourd. On s’affaire beaucoup dans le Prologue, on court même dans tous les sens, mais le metteur en scène règle les mouvements comme un ballet. La villa dans la neige de « l’homme le plus riche de Vienne » a un côté Bauhaus : celle de Strauss – un rien parvenu lui aussi, après tout – à Garmisch ? Oui et non : on prendrait presque les comédiens pour des rockers déjantés, effrayant une valetaille en costume tyrolien. L’acte ouvre également des perspectives : sur une île de Naxos sinistre, voilà Ariane abandonnée dans une maison inachevée, comme souvent dans les pays du sud, réduite à des piliers de vilain béton – clochardisée, peut-être une touriste cultivée séduite par un Grec qui, le temps d’une étreinte, a donné un visage et un corps à ses lectures ? Les vacanciers en bermuda et en goguette, délurés et coquins, ne la sortiront pas de sa torpeur, malgré leur numéro de musical – une des cartes de visite de Laurent Pelly. Bacchus ? Le dieu enduit d’or, comme une statue antique, s’avère un fantasme : quand la nuit tombera, que le ciel scintillera d’étoiles, il disparaîtra, la laissant plus seule que jamais. Illusions perdues. Plus de baldaquin, plus d’union dans l’ivresse de la volupté, plus de métamorphose : chacun reste désespérément ce qu’il est, n’en déplaise à Zerbinette.


Contresens ? Disons que nous voyons une Ariane revisitée, renouvelée, moins décapée et décapante que la production de Jossi Wieler et Sergio Morabito, dont une partie du public salzbourgeois eut du mal à se remettre en 2001 – le dernier spectacle de l’insolent Gérard Mortier. Malgré cette fin, Pelly reste au fond assez classique et respecte bien, dans la scénographie, les effets de miroir entre le Prologue et l’acte : l’île apparaît quand le Compositeur rêve et vit son opéra, la villa grecque demeurée en chantier, refuge d’Ariane délaissée, constitue le pendant dégradé de la villa flambant neuf du mécène, lieu du triomphe de la primadonna. Le spectacle, pourtant, paraît moins impeccablement millimétré, moins bien rythmé qu’il y a quelques années… éternel problème des reprises que le metteur en scène n’assume pas lui-même…


On retrouve un Philippe Jordan tel qu’en lui-même : souple, précis, fluide – ce que Strauss était et ce qu’il voulait que soient les autres, jusque dans Elektra – donnant vraiment l’impression de diriger un ensemble de solistes. Mais son orchestre a des rondeurs discrètement sensuelles qu’on ne lui connaît pas toujours : pas de trace de cette distance un peu sèche qu’il met trop souvent dans sa direction. La lenteur des tempos, souvent pourfendue par la critique, pas forcément à l’unisson du plateau ? Elle ne plombe pas le Prologue, dont elle souligne certes moins le comique que la gravité – il y est question de choses sérieuses, non ? Elle le laisse surtout respirer comme de la vraie conversation en musique, dosant bien le passage à l’esprit de l’opéra à partir de la scène entre le Compositeur et Zerbinette. Du coup, l’acte d’Ariane évite le hiatus entre le seria et le buffa, d’autant plus que la scène de Bacchus n’est jamais « wagnerisée ». Sept ans après la première, Sophie Koch domine la distribution, aussi lumineuse et juvénile vocalement en Compositeur coincé puis extasié, nullement gênée par les aigus alors qu’elle aborde des emplois de plus en plus dramatiques, avec une articulation moins instable que lorsqu’elle chante français – c’est décidément dans le travesti straussien que nous la préférons. Ricarda Merbeth, une des sopranos favorites de Nicolas Joel, libère progressivement une voix qui peine un peu, au début, à se projeter, mais dont on goûte ensuite le soleil et le miel, très à l’aise dans la tenue des longues phrases chères à Strauss, même si elle semble toujours répugner à prendre feu – comme sa Sieglinde.


Genève avait révélé en 2007 la Zerbinette de Jane Archibald – craquante ici dans son maillot de bain deux pièces. Elle y remplaçait Marlis Petersen et elle remplace maintenant Diana Damrau… décidément… Moins charnue et plus liquide de timbre que Natalie Dessay, moins extravertie, brûlant moins les planches, plus intériorisée, plus rêveuse, plus nostalgique peut-être, avec de belles vocalises et un aigu à toute épreuve. Un peu chahuté, Stefan Vinke, en revanche, cherche le sien, dépourvu du bronze et de l’éclat qu’il faut pour le dieu, sans noblesse dans le phrasé – comme on regrette Jon Villars ! Le reste tient la route, par l’homogénéité de l’ensemble : nymphes impeccables, à défaut d’être charmeuses – la mise en scène, après tout, en fait des villageoises, comiques parfaitement stylés, bien qu’Edwin Crossley-Mercer n’égale pas Stéphane Degout en Arlequin. Dans le Prologue, on préfère le Laquais de Yuri Kissin, qui a pourtant si peu à chanter, au Maître à danser de Xavier Mas, blanc de timbre et court de voix. Mais ce Prologue doit surtout au Majordome de Franz Mazura, cynique et hautain, odieux et glacial, moins naturel cependant que Waldemar Kmentt, et au Maître de musique de Martin Gantner, pour une fois une voix jeune, chantant le rôle, plutôt grand frère que grand-père.



Didier van Moere

 

 

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