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D’est en ouest en passant par le sud, le théâtre, la musique et la danse…

Normandie
Théâtre des Arts de Rouen
11/09/2010 -  et les 14, 16 et 23 novembre 2010
Sergeï Rachmaninov: Vocalise, opus 34 n° 14
Giya Kancheli: Symphonie n° 6
Piotr Illitch Tchaïkovski: Symphonie n° 6 "Pathétique", opus 74

Pour l’œuvre de Kancheli, solo de Saburo Teshigawara (danseur et chorégraphie), Saburo Teshigawara (scénographie, lumières, costumes), Sergio Pessanha (coordination technique et lumières), Rihoko Sato (assistante du chorégraphe)
Orchestre symphonique d’Etat de Russie, Mark Gorenstein (direction)
Pour BABEL (Words), les danseurs sont Navala Chaudhari, Francis Ducharme, Jon Filip Fahlstrøm, Damien Fournier, Ben Fury, Kazutomi Kozuki, Paea Leach, Christine Leboutte, Moya Michael, James O'Hara, Helder Seabra, Ulrika Kinn Svensson, Darryl E.Wood, les
musiciens sont Patrizia Bovi, Mahabub Khan, Sattar Khan, Gabriele Miracle, Shogo Yoshii, Nienke Reehorst
 (assistante à la chorégraphie), Lou Cope (dramaturgie), Alexandra Gilbert
 (costumes), Adam Carrée (consultant lumières), Fahrettin Yarkin (consultant en musique traditionnelle turque), Antony Gormley
(concept visuel et design), Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet (chorégraphie)

Pour les Sonnets de Shakespeare, les comédiens du Berliner Ensemble sont Dejan Bucin, Georgette Dee, Christina Drechsler, Anke Engelsmann, Ruth Glöss, Winfried Goos, Anna Graenzer, Traute Hoess, Jürgen Holtz, Ursula Höpfner-Tabori, Inge Keller, Christopher Nell, Sylvie Rohrer, Sabin Tambrea, Georgios Tsivanoglou, Hans-Jörn Brandenburg (piano), Dominic Bouffard (guitare), Andreas Henze (contrebasse), Isang Quartett: Yun Ui Lee (premier violon), Sangha Hwang (second violon,) Sara Kim (alto), Yeo Hun Yun (violoncelle), Stefan Rager (direction et percussions), Jutta Ferbers (compilation des textes), Jacques Reynaud (costumes), Ann-Christin Rommen (collaboration artistique à la mise en scène), Serge von Arx (collaboration artistique à la scénographie), Yashi Tabassomi, (collaboration artistique aux costumes), Jutta Ferbers (dramaturgie), Andreas Fuch (lumières), Robert Wilson (mise en scène, scénographie, lumières)




L’édition 2010 du festival Automne en Normandie tournait ses regards vers l’est, l’europe de l’est et l’orient en gardant sa marque de fabrique : celle de mêler ou faire correspondre les arts vivants, de la danse au théâtre, du spectacle de rue ou équestre au concert symphonique en passant par le chant choral et la déambulation artistique. Allons-y pour quelques lignes entre théâtre, musique, danse et théâtre.


Les cerisiers de Tchekhov à Lillebonne


La Cerisaie mise en scène par Paul Desveaux donnée à Lillebonne dans le cadre du cycle Tchekhov ancre le spectateur dans une Russie belle et bien émotive, en proie aux divergences d’esprit et de corps (à prendre au sens corporatif) entre l’héritage oisif d’une aristocratie tsariste et l’essor des laborieux moujiks. Cette Russie familiale à la Tchekhov, éminemment tendre, pathétique, exaltée, joyeuse, accablée : en un mot fascinante, était portée par des comédiens tous valeureux mais pas hautement bouleversants dans cette interprétation : c’est dommage. Chez Tchekhov, il est toujours des personnages visionnaires, qui ont l’intuition de ce qu’il faut faire avant tout le monde, qui essayent de sortir d’une langueur passéiste un à un les membres de familles autrefois aisées, qui périclitent, qui vont s’éteindre s’ils persistent à être dispendieux, sans vision d’un lendemain. Ces membres familiaux usés par les fêtes, leur inconséquence, leur trop grande bonté, leur vie fastueuse et mille autres raisons, de cœur. Chez Tchekhov, on rit, on pleure, on voit les catastrophes arriver de loin, on prévoit des amours, on fredonne sur son siège, on veut aller danser sur scène, on s’émeut et, curieusement, il n’est jamais aisé, pour nous, spectateur, de prendre partie pour les visionnaires soit un peu trop rustres, soit trop idéalistes ou bien pour ces familles se disant établies et surtout immuables de non-prévoyance : L’auteur est sublime, il ne laisse personne en mesure de rendre un verdict, de trouver tel ou tel camp fat, déplaisant, peu crédible, pas assez dense. Voilà pour l’auteur qu’on affectionne.
En ce qui concerne, non pas la mise en scène mais surtout l’interprétation, nous n’avons été émue qu’un nombre trop rapidement calculable de fois, parce que les comédiens ont juste démontré le texte, presque à la manière d’orateurs scientifiques, sans venir vivre intensément (parce qu’à notre avis, on est ou on n’est pas un personnage de Tchekhov) le rôle à jouer dans la Grande Famille des figures tutélaires de ce théâtre. Après, pour cette pièce, on préfère, et ça vous situera qui on est, la traduction d’Elsa Triolet à celle d’André Markowicz et Françoise Morvan, qui sont pourtant des traducteurs admirables, car on trouve dommage l’utilisation de certaines tournures un peu trop familières ou modernisantes, même si on en saisit l’enjeu. Cependant, les comédiens de Paul Desveaux sont d’une énergie communicative et le texte nous parvient avec simplicité, bien qu’on les trouve, le plus souvent, un peu trop techniques. Pour ce qui est de ce qu’on voit sur scène, la scénographie (de Paul Desveaux) est aussi sobre qu’efficace ainsi que le travail sur les placements, les mouvements chorégraphiques ou de groupe. On serait tentée de penser que le travail est juste un peu frais, ce qui justifierait nos réserves quant à une portée réellement poignante d’une pièce qui est, foi de lectrice puis de spectatrice (plurielle, eu égard au nombre de mises en scène auxquelles on a couru), absolument chargée d’enthousiasme, au sens premier du terme.


L’Orchestre symphonique d’Etat de Russie en démonstration


A l’entracte, on surprend une conversation d’une abonnée de l’Opéra de Rouen à une de ses amies : « Oh la la, c’est autre chose que l’orchestre de l’Opéra de Rouen ! T’as vu comme ils sont ensemble… » En effet, c’est presque inconcevable de précision, au niveau des places d’archet dans l’entrée d’un subito piano, pour des crescendi pas à pas gradués sans un musicien qui devance l’autre, sans une individualité qui suit sa fantaisie ou qui prédomine, sans aucune prise d’initiative ou de décision autre que celle édictée par Mark Gorenstein, le chef des trois cérémonies orchestrales : la Vocalise, la Symphonie n° 6 de Kancheli et évidemment le clou de la démonstration d’allégeance : la Symphonie n° 6 "Pathétique" de Tchaïkovski…


Parfait orchestre, au service de…, discipliné, suivant l’interprétation, parfois un peu trop carrée du chef, seul maître à bord (décomposant même les phrases soli): on dénoncerait presque une sur-obéissance mais on est complètement saisie par la grande tenue de la Pathétique, par les dynamiques, au développement très large, assumées de fond en comble par tout un chacun devant sa partition (sauf le chef qui dirige par cœur). Cette concentration collective à n’être qu’un seul Homme prend également corps dans une œuvre pourtant assez parcellaire (y compris sur le plan de la mise en espace) : on pense à la symphonie du Géorgien Kancheli.



G. Kancheli (© D.R.)


Dans cette œuvre, le compositeur spatialise deux instrumentistes à cordes : l’un en fond de scène l’autre à jardin, pour donner un chant préliminaire puis final à une voix soliste intervenant comme une évocation, peut-être celle des opprimés, face à un orchestre le plus souvent tapis d’une chorégraphie et une mise en lumière crées pour le Festival (carrés et rectangles tour à tour s’éclairant sur le sol de la scène, de gauche à droite puis de droite à gauche, suivant les déplacements du danseur.) L’œuvre cyclique est dépouillée : Saburo Teshigawara, danseur à la fois illustrateur rigoureux d’une partition musicale et acteur torturé d’une Histoire, porte en ses gestes, l’indicible souffrance ou les lueurs d’espoir, selon les phases de la symphonie qu’il figure.


Sidi Larbi Cherkaoui interprète le mythe de Babel


L’humour prévaut sur ce spectacle, on ne peut pas en dire autant de tous les spectacles présentés par des chorégraphes de renom : vous me direz, « chacun son créneau » mais je vous répondrais que c’est tant mieux si Sidi Larbi Cherkaoui nous fait davantage rire que les autres, surtout lorsqu’il s’agit de revisiter la plus grande tragédie sémantique de l’Humanité.
Quelle épopée joyeuse, même sur fond de « baston » que celle de Cherkaoui retraçant BABEL (words) avec ses danseurs ! Danseurs très volubiles d’ailleurs, mais pas seulement : on remarque des chanteuses à l’aise avec leur corps et des musiciens qui passent de leur scène surélevée à la scène des danseurs sans que l’on voie comment.



BABEL (Words) (© Koen Broos)


On aime beaucoup les références à aujourd’hui dans le vocabulaire, on aime encore plus les « mises en danse » de choses de la vie, comme dirait Claude Sautet, des choses qu’on fait depuis la nuit des temps en pensant qu’on les a ressenties, nous, pour la première fois, au détour d’un constat sur le couple, au détour d’un sentiment qui blesse. Fine analyse, souvent délaissée par les chorégraphies esthétisantes.



BABEL (Words) (© Koen Broos)


Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet jouent sur les clichés de notre vie moderne : deux asiatiques nous parlent en leur langue et on reconnaît le mot SONY, la nordique est une poupée-robot gonflable design IKEA, un couple mi-Bergman, mi-cinéma français se déchire, la télévision allumée, et ce fond de scène lointain sort de l’écran pour devenir un ersatz de TERMINATOR (à l’américaine donc) où le danseur noir américain se trouvent secondé de quelques danseurs pour créer un personnage apocalyptique. Musicalement, le « monstre » est annoncé à coup de percussions. Lors de conflits d’intérêt, des combats naissent pour lesquels chacun des danseurs sert une image (ralentie, accélérée…) avec humour et subtilité.


Les Sonnets de Shakespeare par Bob Wilson


Bien avant toutes les grandes institutions théâtrales centralisées à Paris, Rouen assiste à l’adaptation Jutta Ferbers-Bob Wilson des Sonnets de Shakespeare par le Berliner Ensemble, disciples dans l’âme et pour certains comédiens, dans la chair de Bertold Brecht, notamment Jürgen Holtz, à gauche de l’image suivante et Inge Keller, incarnant Shakespeare, 87 ans (à droite) ou bien encore le bouffon interprété par Ruth Glöss.



(© Lesley Leslie-Spinks)


Personnage quasi-fantomatique de la production qui ouvre et ferme ce spectacle rempli d’attachants polichinelles au teint blanc et à la verve poétique, si bien habillés par Jacques Reynaud. On allait écrire un mot sur le staff maquillage mais il n’est pas cité : cependant, un tiers de la réussite d’un tableau est à attribuer au maquillage des personnages, très grimés, très imprégnés de la pâte de Bob Wilson et pourtant peu similaires aux personnages purement de théâtre qu’il a mis en scène ces dernières années. En effet, Bob Wilson travaille, non seulement avec les comédiens du Berliner Ensemble mais aussi avec une fosse remplie de musiciens excellents portant les partitions de Rufus Wainwrigth (né en 1973), jeune loup multi-styles balançant aussi bien du hard rock que brodant autour d’une ligne mélodique signée John Dowland…Les musiciens sont tous des acteurs du drame puisque presque la totalité du visuel est une illustration du texte et tous concourent, sur scène, en fosse, en coulisse ou à la table pour les regisseurs à mettre en spectacle les sonnets, une vingtaine, dans la veine élisabéthaine, d’un des plus éloquents écrivains d’Angleterre.


Quoi qu’il en soit, la clôture du festival était en chansons, et même si « tout a une fin », on ne peut pas laisser tomber le rideau sur deux heures trente d’un tel spectacle : les émotions vécues ce soir-là reviendront sûrement aux oreilles des premiers interlocuteurs dès l’ouverture de la billetterie de l’édition 2011. Le directeur du festival, Benoît André, peut donc prendre un peu de répit après ce coup de maître de programmateur : de plus, le Festival a attiré, sur toute la région Haute-Normandie, aussi bien dans les salles conventionnées, les lieux de patrimoine et les structures culturelles, 39 000 spectateurs.


Le site d’Automne en Normandie



Pauline Guilmot

 

 

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