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Grands espaces

Berlin
Deutsche Oper
10/17/1999 -  
Jean Sibelius : Kullervo
Lilli Paasikivi (Mezzo-Soprano), Raimo Laukka (Baryton)
Orchestre et choeurs de l’opéra national finlandais, Leif Segerstam (direction)

Quelques heures à peine après la nouvelle victoire de Mika Hakkinen au Grand Prix de Malaisie, l’orchestre national finlandais en visite à Berlin semblait vouloir y fêter l’événement en jouant l’oeuvre de Sibelius la plus patriotique, et qui eut d’ailleurs en son temps presque valeur d’hymne national. Créée en 1892 alors que leur pays gémissait encore sous le joug russe, cette partition fut saluée par beaucoup de finlandais comme le début de la "grande" musique suomi et connut un fort retentissement qui, s’il n’eut pas d’effets immédiats à l’instar de La Muette de Portici pour nos amis belges, renforça beaucoup toutefois l’esprit d’insoumission au régime tsariste. L’oeuvre est depuis tombée dans un relatif oubli, le compositeur (mort en 1952) ayant décidé assez rapidement d’en interdire l’exécution de son vivant, pour des raisons encore très mystérieuses. Comme dans certains de ses poèmes symphoniques, le maître d’Helsinki s’y est inspiré de la grande épopée finnoise du Kalevala, et donc plus précisément de l’histoire de Kullervo qui en est un des épisodes saillants. Kullervo est une sorte de Siegmund hamleto-oedipien : dernier descendant du clan des Kalervo anéanti par leurs ennemis de toujours le clan des Untamos, il grandit comme captif et rumine sa vengeance. Un jour il tue sa mère adoptive (une Untamo) et part à la recherche de ses vrais parents. En chemin il séduit une jeune beauté sylvestre sur le siège arrière de son traineau et ce n’est que bien plus tard, vengeance accomplie et parents à l’agonie retrouvés, qu’il apprend l’horrible vérité : celle-ci était sa soeur, qui entre temps s’est donnée la mort. Désespéré, il se suicide à son tour à la romaine en se jetant sur sa propre épée.

Plutôt que d’écrire un opéra qui aurait pu être un remake d’une partie de La Walkyrie, Sibelius a préféré la symphonie avec choeurs, en ajoutant deux solistes mais ceux-ci ne chantent que dans le mouvement central. La partie proprement instrumentale ressortit au genre aujourd’hui un peu suranné de la musique "à programme" et décrit après une longue introduction certains épisodes du geste. On y perçoit assez paradoxalement l’influence de compositeurs russes, Tchaïkovski et même Moussorgski (le thème principal du premier mouvement n’est pas sans rappeler, en plus allant, le lever du soleil sur la Moskva au début de la Khovantchina), mais avant tout un côté "grands espaces" : on peut penser que John Ford ou Anthony Mann n’auraient pas dédaigné en illustrer leurs films si ceux-ci avaient été des Northerns... C’est en tout cas une partition très équilibrée mais peut-être un peu trop propre, et qui ne prend vraiment de la hauteur qu’avec l’arrivée des choeurs, et surtout dans la complainte de la soeur de Kullervo, d’une grande beauté. La partie de Kullervo lui-même est aussi très émouvante, mais un peu plus frustre.

Cette oeuvre est défendue par un orchestre précis et limpide s’articulant sur de superbes cordes, très souples et sans la moindre épaisseur de timbre, tentation à laquelle on peut pourtant facilement succomber pour cette musique post-romantique. Les cuivres, assez sollicités par le compositeur, ont un beau son très rond, et nous donnent envie d’entendre cet orchestre dans Wagner. Mais on remarque surtout un excellent timbalier, qui impressionne dans ses passages de bravoure et, véritablement habité par cette musique, semble jouir au dessus de la masse orchestrale d’une relation privilégiée avec le chef. Ce dernier est Leif Segerstam, cocasse personnage rappelant au physique à la fois Johannes Brahms et Martti Talvela, par ailleurs grande figure de la musique finlandaise d’aujourd’hui et compositeur prolifique, presque aussi célèbre en son pays que Sibelius soi-même. Il retrouvait là une oeuvre dont il a gravé récemment un bel enregistrement chez Chandos avec l’orchestre de la radio danoise, Soile Isokoski, et le même Raimo Laukka. Dans le "rôle titre" ce dernier se montre ici en voix et très efficace, un peu rude cependant. Il semble bien peu attentif envers sa collègue Lilli Paasikivi, qui n’est pourtant pas désagréable à regarder et offre en tout cas une prestation vocale tout à fait convaincante, même si son joli gosier nous semble au début un brin "soufflé". Mais ce sont les choeurs qui se taillent à juste titre le grand succès vocal de la soirée : précis, nuancés et montrant parfois une puissance phénoménale, ils séduisent surtout par leur timbre très particulier évoquant les futaies et les grands lacs de ce lointain pays. S´il y a un opéra de Wagner que l’on a envie d’entendre à Helsinki ou à Savonlinna, c’est bien Parsifal !

En bis, l’orchestre propose une version avec choeurs de Finlandia, un des grands succès de Sibelius et qui déchaîne d’ailleurs dans l’assistance (en partie finlandaise) des applaudissements proprement délirants. Vers le quinzième rang en particulier, deux ténors semblent rivaliser dans l’aigu pour mieux hurler leurs bravos. Peut-être deux doublures, voulant montrer au chef de choeur qu’ils valent mieux que le banc des remplaçants ?




Thomas Simon

 

 

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