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Imbroglios à gogo

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/24/2010 -  et 24, 26, 30 octobre, 2*, 8, 10 novembre (Strasbourg), 19, 21 novembre (Mulhouse, La Filature)
Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra
Sergey Murzaev (Simon Boccanegra), Michail Ryssov (Jacopo Fiesco), Nuccia Focile (Maria Boccanegra), Andrew Richards (Gabriele Adorno), Roman Burdenko (Paolo Albiani), Arnaud Richard (Pietro)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Rani Calderon (direction)
Keith Warner (mise en scène), Boris Kudlicka (décors), Kaspar Glarner (costumes), Wolfgang Goebbel (lumières)


A. Richards, S. Murzaev (© Alain Kaiser)


Avant d’assister à ce nouveau Simon Boccanegra on a sciemment négligé d’en relire le livret, avec l’espoir naïf qu’en glissant sur le fouillis de cette histoire compliquée on parviendrait à mieux s’en accommoder qu’en s’astreignant aux vingt minutes de révision habituelles. Somme toute c’est une méthode du même acabit que choisit Verdi lorsqu’il remit son malheureux Boccanegra sur le métier plus de vingt ans après sa création, comptant sur la vigoureuse intensification de quelques situations dramatiques pour dissuader l’auditeur de se poser trop de questions en cours de route sur une multitude de prérequis et d’arbres généalogiques à tiroirs. Mais force est de constater que cette approche cursive reste, elle aussi, problématique. La logique de Simone Boccanegra demeure irrémédiablement cryptée, la plus fascinante bizarrerie de ce chef-d’œuvre, surtout dans sa version définitive, restant une série de contrastes violents entre un langage musical déjà moderne et les tares d’un théâtre romantique finissant, devenu tellement boursouflé qu’il n’en plus à une outrance ou invraisemblance près.


Le metteur en scène Keith Warner semble lui aussi renoncer à trop d’explications, son travail se contentant d’exposer, avec une indéniable conviction, une série de situations à l’emporte-pièce. Confrontations politiques, conflits familiaux et malentendus de tous ordres… en définitive ce contexte confus n’a que peu d’importance. Verdi est avant tout un musicien d’affrontements passionnels forts et c’est la tension des ressorts qu’il fait fonctionner qui nous captive, bien davantage que leur vraisemblance. Cette vision très synthétique fait aussi l’impasse sur la signalétique des lieux et des costumes : de sobres tenues modernes se mélangent à des costumes médiévaux stylisés et toute la soirée se déroule dans le même espace modulé par deux cloisons pivotantes percées de portes, la mobilité permanente du dispositif ne permettant jamais clairement de savoir où se passe l’action (dedans ? dehors ? chez qui ?). Visuellement en tout cas le procédé est bien maîtrisé, une belle citation picturale (Mantegna à Mantoue) donnant beaucoup d’allure à l’ensemble, la magie des éclairages signés par Wolfgang Goebbel et la virtuosité technique des machinistes de l’Opéra du Rhin achevant de conférer à cette production habile un chic et un charme décisifs.


Auditivement, malheureusement, on ne se situe pas au même niveau. Un certain pragmatisme a prévalu dans le choix de chanteurs qui ne déméritent pas, voire qui «assurent» crânement, mais dont le raffinement n’est pas la vertu prédominante. Les décibels sont peu contrôlés, les timbres graillonnent et grisonnent... mais surtout tout cela manque fréquemment de classe. On a l’impression d’assister à une soirée de routine dans une maison d’opéra lointaine, quelque part entre Budapest, Prague ou Saint-Pétersbourg, dans une ambiance jamais calamiteuse (on y découvre de vraies voix) mais qui ne brille pas non plus par un niveau d’exigence élevé. Même problème avec l’Orchestre de Mulhouse, mené par un tout jeune et prometteur Rani Calderon, dont certaines phrases sont très justement ressenties mais d’autres restent gauches ou à peine esquissées (le formidable effet de gradation orchestrale et chorale de la scène du conseil est bien timide). Et puis, si les cordes de cette formation paraissent en constant progrès, les cuivres pourraient en revanche utilement s’y souvenir qu’ils jouent dans un orchestre et non dans une fanfare. Aux côtés d’une Amelia un peu mûre, dont le vibratello tourne parfois à l’instabilité, d’un Fiesco engorgé qui manque de creux et d’un Boccanegra sonore et bien chantant, à défaut d’une véritable prestance, on remarque surtout dans la distribution le ténor Andrew Richards, qui dispose de beaux moyens, déjà assez dramatiques, avec çà et là une gestion de l’aigu un peu particulière mais efficace, et le relief étonnant que Roman Burdenko parvient à donner au personnage du traître Paolo. Notre époque est devenue malheureusement très pauvre en vraies voix verdiennes. Avec des moyens financiers qui notoirement ne sont pas énormes l’Opéra du Rhin a su contourner plutôt habilement cette difficulté, mais est-ce bien suffisant ?



Laurent Barthel

 

 

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