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Encore et toujours, les Noces de Strehler

Paris
Opéra Bastille
10/26/2010 -  et 28, 31 octobre, 3, 6, 9, 11*, 15, 18, 24 novembre 2010
Wolfgang Amadeus Mozart : Le nozze di Figaro
Ludovic Tézier/Dalibor Jenis* (Il conte Almaviva), Barbara Frittoli (la Contessa d’Almaviva), Ekaterina Siurina/Tatiana Lisnic* (Susanna), Luca Pisaroni (Figaro), Karine Deshayes (Cherubino), Ann Murray (Marcellina), Robert Lloyd (Bartolo), Robin Leggate (Don Basilio), Antoine Normand (Don Curzio), Christian Tréguier (Antonio), Maria Virginia Savastano (Barberina), Olivia Doray, Carol García (Due Donne)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Giorgio Strehler (mise en scène et lumières), Humbert Camerlo (réalisation)


(© Fred Toulet/Opéra national de Paris)


1973, Opéra de Versailles, puis Palais Garnier : Rolf Liebermann inaugure son règne avec des Noces de Figaro de rêve. Admirable alliance de la fosse, de la scène et du chant : Solti, puis Mackerras ou Rudel, Strehler, Janowitz ou Margaret Price, Freni, Berganza ou von Stade, Bacquier ou Krause, van Dam, Berbié, Moll, Sénéchal. Qui eût pu mieux dire, à l’époque… même si Rudel était loin d’être Solti ? Le rêve se prolongea pendant trente ans, avec plus ou moins de bonheur selon les chanteurs et les chefs, beaucoup gardant des premières une irrépressible nostalgie. Les dernières représentations de l’ère Liebermann, en 1980, marquaient déjà la fin d’une époque. Fallait-il donc exhumer ces Noces, en reconstituer les décors, parfois les costumes ? Irait-on ressusciter les mises en scène de Wieland Wagner, sans les Knappertsbusch et les Böhm, les Mödl, les Varnay et les Nilsson, les Windgassen, les Hotter et les Greindl ? « Restauration », dirait narquoisement Gérard Mortier, qui a fait brûler les décors d’Ezio Frigerio – heureusement il restait ceux de la Scala – et expédié ses costumes au musée de Moulins avant de nous infliger le sinistre massacre perpétré par Christoph Marthaler et Sylvain Cambreling – l’une de ses plus malheureuses inspirations. Eternité du beau, répond Nicolas Joel. Et puis Liebermann aurait cent ans : plus encore qu’une exposition à Garnier, cette reprise n’est-elle pas le plus bel hommage qu’on puisse lui rendre ?


Il eût fallu, pour cela, les donner à Garnier – mais elles remplissent Bastille… et le tiroir-caisse. Il n’est pas sûr non plus que Strehler, disparu en 1997, ferait aujourd’hui exactement la même chose. Les éclairages, parfois, semblent moins subtils que blafards, surtout au premier acte. Le jeu des chanteurs peut avoir, ici ou là, tendance à se figer. Il n’empêche : on compte les productions qui tiennent aussi bien le coup. Assistant du maître, Humbert Camerlo préserve la finesse de cette lecture à la fois psychologique, sociale et politique, où s’équilibrent subtilement la tendresse et la violence, le comique et la tristesse, où l’on sent à chaque instant, surtout, la fragilité de l’amour. Non, ce n’est pas, comme dirait Baudelaire, un monde lointain, absent, presque défunt : ces Noces vivent encore, pourraient être d’aujourd’hui, ne sentent pas la pièce de musée, malgré l’ancrage résolu dans l’époque – il suffit d’interroger le jeune public, qui les découvre. Ont-elles moins de magie ? Pas au dernier acte, en tout cas, où le nocturne d’une Fête galante à la Watteau célèbre, à travers la pénombre et les demi-teintes, dans une jubilation à l’ambiguïté toute verlainienne, le triomphe de l’amour retrouvé.


Comme on pouvait le craindre, c’est par le chant que pèche cette reprise, dépourvue de l’éclat attendu et ne pouvant, du coup, constituer un événement. Il n’y a guère que le Figaro de Luca Pisaroni pour se situer vraiment à la hauteur de l’enjeu : avec sa belle voix homogène, admirablement maîtrisée, sa ligne impeccablement tenue, le baryton italien n’est jamais valet bouffon, plutôt fiancé ardent et inquiet, qui phrase superbement « Aprite un po’ quegl’occhi », souvent trop déclamé. Remplaçant au pied levé Ekaterina Siurina, Tatiana Lisnic ne peut qu’être remerciée d’avoir sauvé la représentation : elle se coule assez bien dans la mise en scène, même si la voix, beaucoup trop petite pour Bastille, manque de souplesse dans « Venite, inginocchiatevi », offrant cependant, à la fin, un joli « Deh, vieni, non tardar ». La Comtesse de Barbara Frittoli, en tout cas, ne risque pas de lui faire de l’ombre : handicapée par un vibrato mal dominé, une ligne peu sûre et un legato sans grâce, elle n’a ni la classe ni l’aura du personnage, beaucoup trop plébéienne dans sa superbe robe rouge - surtout lorsqu’elle joue de son éventail. Autre déception, Karine Deshayes, que nous avons tellement aimée ailleurs : crédible ni physiquement ni scéniquement, elle campe un Chérubin sans grâce adolescente, presque gênée par la tessiture du rôle, chantant d’une voix monochrome un « Non so più » instable faute d’une maîtrise impeccable du souffle, meilleure dans une Romance qui reste pourtant assez scolaire. Excellent Figaro rossinien, Dalibor Jenis, Comte sans grande présence, attend le troisième acte pour projeter sa voix et affiner un chant très sommaire au début, avec un « Vedrò, mentr’io sospiro » élégamment phrasé. Une fois de plus, on a distribué Marcelline, Bartolo et Basile à des anciens dont le métier compense l’usure – si Ann Murray, un ancien Chérubin, et Robin Leggate sont évidemment dispensés de leur air, le chant syllabique rapide de celui de Bartholo ne met pas Robert Lloyd très à l’aise. La jeune Maria Virginia Savastano, en revanche, naguère pensionnaire de l’Atelier lyrique, trousse une Barberine pétulante, dont les quelques mesures de « L’ho perduta », si joliment phrasées, augurent fort bien de l’avenir.


Vif et léger, Philippe Jordan fait vite oublier le calamiteux Sylvain Cambreling, se gardant des excès de certains chefs « baroqueux », qui confondent le théâtre et les à-coups : un Mozart sans perruque, mais toujours superbement maîtrisé, notamment dans les finales, dont les sections s’enchaînent avec un parfait naturel. On aimerait cependant une direction moins droite, plus poétique, plus sensuelle - dans « Porgi, amor » ou « Sull’aria », par exemple. Plus italienne… ou plus viennoise.



Didier van Moere

 

 

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