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La Beauté des énigmes

Madrid
Teatro Real
11/06/2010 -  & 2, 4, 8, 10, 12, 14, 16 novembre
Benjamin Britten: The Turn of the Screw
Emma Bell (La Gouvernante), Marie McLaughlin (Mrs. Grose), John Mark Ainsley (Prologue, Quint), Daniel Sindram (Miss Jessel), Peter Shafran (Miles), Nazan Fikret (Flora)
Orchestre du Teatro Real, Josep Pons (direction musicale)
Tanya McCallin (décors et costumes), Adam Silverman (lumières), Andrew George (chorégraphie), David McVicar (mise en scène)


P. Shafran (© Javier del Real)


The Turn of the Screw est l'un des quatre opéras de chambre de Britten (avec The Rape of Lucretia, Albert Herring et The Beggar’s Opera). Un nombre limité de personnages, un orchestre réduit, et des décors simples. Et, par déduction, un théâtre de dimensions également réduites. Le talent et l’imagination rajoutent ce qui y manque (si toutefois il manque quelque chose). La très belle mise en scène de McVicar, un peu victime d’un excès de mouvements dont on ne voit pas trop bien l’utilité, aurait peut-être été valorisée dans un théâtre moins grand. On a déjà vu The Turn of the Screw à Madrid, très tard, mais dans des mises en scènes pourtant excellentes: Nouvel Opéra de Berlin, 1994, dans la scène minuscule de l’École de Chant; en 1999, dans le plus approprié Teatro de La Zarzuela, dans une mise en scène inoubliable de Luca Ronconi, et sous la baguette d’Antoni Ros Marbá. Cette troisième présentation a été aussi un succès très mérité, par l’œuvre elle-même, par la formidable baguette de Josep Pons, par McVicar et par les chanteurs.



La nouvelle de Henry James est un récit dans un récit qui s'inscrit à son tour dans un récit. L’ambiguïté, la pluralité de sens est son atout. C'est là que réside sa richesse. Mais le théâtre est présence, et les revenants du récit apparaissent dans l’opéra, tout comme dans le chef d’œuvre de Jack Clayton pour le cinéma, The Innocents. Dans les récits ils sont racontés, comme le reste des situations et des personnages. On aurait pu les laisser en coulisses, mais l’option de Britten et Myfanwy Piper est correcte et on peut l’admettre presque 60 ans après la première à la Fenice de Venise ; les critiques de l’époque dans ce sens-là sont oubliées. Réalité des revenants ou jeu des obsessions de la gouvernante et des enfants, objectivité ou subjectivité des personnages, rêve ou cauchemar, cela revient au même: il y a plusieurs énigmes, elles son montrées telles quelles. Il n’y a pas de solution claire. Tant mieux. Le contraire, traiter de coucher la gouvernante dans un divan ou croire aux fantômes, regarder les enfants comme des possédés, ne serait qu’un attentat contre la très riche poésie de James, de Britten, et de Piper. Aujourd’hui, on peut dire que The Turn of the Screw est un des chefs d’œuvre de l’opéra du XXe siècle. Un titre indispensable.


Josep Pons a déjà dirigé cet opéra, il en connaît bien les secrets, et il met en lumière son mystère, ou, plutôt, ses énigmes, à la perfection. On parle toujours d’atmosphère quand on fait référence à cet opéra émouvant et inquiétant. Pons a rendu cette atmosphère avec ses treize musiciens (treize: sextuor pour cordes, quatuor pour bois, cor, piano, percussions ; mais plus d’instruments pour les bois et, surtout, pour les percussions). Cet opéra de chambre donne l’occasion de moments intimes, une intimité pleine de suggestion. On sait bien que suggérer, pour un chef, est plus ardu qu’affirmer, et Pons domine l’art de suggérer et, tout à coup, récupérer l’art de l’éclatement, de l’affirmation sonore, de la transition qui monte, qui sait aussi descendre vers les gammes inférieures…


Pons est le protagoniste avec la présence permanente d’Emma Bell, une Gouvernante qui a su donner à son incarnation indiscutable une projection vocale lyrique alternant avec une tonalité dramatique, et où l’actrice excelle dans son rôle tourmenté et plein de nuances dans un état d’âme toujours altéré. Malgré ses monologues, cet opéra est bien loin d’être un opéra où le chant traditionnel est le maître. C’est le recitativo cantabile continu qui est l'option privilégiée au XXe siècle. Bell est soutenue par l’excellence des trois autres adultes, les deux revenants, très convaincants, John Mark Ainsley et Daniela Sindram, mais aussi par le seul être vivant dont ont peut croire qu’il conserve son sens commun, la Mrs. Grose de Marie McLaughlin. On sait bien que le rôle de Miles est pour un enfant soprano, et le très jeune Peter Shafran se tire très bien de ce rôle qui divise son sens entre deux apparences: celle de l’innocence claire et celle de la perversion à peine nuancée. Sa sœur, Flora, a une ligne de soprano lyrique normale. Dans ce rôle, Nazan Fikret a été très applaudie par un public rendu à toute la distribution. Attention : Britten ne prévoit que des ténors et des sopranos, pas des voix basses, mais ici Daniela Sindram est une mezzo. Pas grave.


La mise en scène de McVicar vient de Saint-Pétersbourg et recrée la beauté morbide, l’énigme et les doubles, voire triples sens de cet opéra. On dirait qu’il y a comme un parti pris pour la solution «déséquilibre de la Gouvernante», je ne saurais l’assurer. En tous cas, ces solutions scéniques sont poignantes, belles, parfois passionnantes. Bien sûr, McVicar s’appuie sur les très beaux et très maniables décors de Tanya McCallin, auteur aussi des très beaux costumes où le noir domine, c’est naturel.


The Turn of the Screw manquait au répertoire du Teatro Real. L’ère Mortier vient de commencer et le triomphe de cet opéra de Britten marque un nouveau succès pour sa gestion ambitieuse, après un début éclatant avec Eugène Onéguine et les risqués et discutés Montezuma et Mahagonny. Risquer et discuter, mais ne jamais se conformer à des faux paris trop sûrs. C'est ainsi que fonctionnent les grands théâtres d’opéra.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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