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Et Dieu dans tout ça ?

München
Nationaltheater
07/09/2010 -  
Francis Poulenc : Dialogues des carmélites
Alain Vernhes (Marquis de la Force), Susan Gritton (Blanche de la Force), Bernard Richter (Chevalier de la Force), Felicity Palmer (Mme de Croissy), Soile Isokoski (Mme Lidoine), Susanne Resmark (Mère Marie de l’Incarnation), Hélène Guilmette (Sœur Constance), Heike Grötzinger (Mère Jeanne), Anaïk Morel (Sœur Mathilde), Kevin Conners (L’aumônier), Ulrich Ress (Premier commissaire), John Chest (Second commissaire), Christian Rieger (Un officier), Levente Molnár (Le geôlier), Rüdiger Trebes (Thierry)
Chor der Bayerischen Staatsoper, Bayerisches Staatsorchester, Kent Nagano (direction musicale)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène, décors), Elena Zaytseva (costumes), Gleb Filshtinsky (lumières)


(© Wilfried Hösl)


L’Opéra de Munich n’avait jamais représenté les Dialogues des Carmélites de Poulenc, chef-d’œuvre dont la création remonte, pour mémoire, à plus de soixante ans! Kent Nagano se devait de tenter de corriger cette absence au cours de son mandat bavarois, au problème près que l’élucubration signée par le metteur en scène russe Dimitri Tcherniakov mériterait tout au plus de s’appeler «Blanche de la Force, ou les affres d’une névrosée agoraphobe», et certainement pas Dialogues des Carmélites. Si c’est avec cette production de plus en plus absurde à mesure qu’elle avance que l’Opéra de Munich souhaitait combler une lacune de son répertoire, l’occasion est ratée.


Au cours de cette soirée irritante il n’est pas question de religieuses mais d’une sorte de petite secte, entassée dans une véranda rudimentaire. Cette communauté de femmes de tous âges vaque sans fin à des ouvrages ménagers, comptant sur la sécurité d’une vie passée ensemble pour mieux assumer les angoisses et la médiocrité d’une existence étriquée. Hors cet édicule rectangulaire de dix mètres sur sept le monde extérieur n’existe pas : ni ancien régime ni révolution, ni même vraiment d’hostilité politique affichée à l’égard de recluses qu’on finit quand même par expulser de leur antre mais qui reviennent vite s’y claquemurer ensuite. Désorientées à l’idée de devoir affronter l’inconnu hors de leur refuge commun, ces femmes de ménage neurasthéniques ne parviennent à trouver comme seule issue à leur quête d’on ne sait trop quoi… qu’un projet de suicide collectif au gaz (sic).


L’intérêt présumé du concept : peut-être focaliser davantage l’opéra sur le seul personnage de Blanche de la Force, en supprimant tout autre fil conducteur qu’une névrose d’angoisse. Le monde extérieur effraie cette pauvre fille au-delà du supportable, à tel point que le seul refuge possible lui paraît une communauté neutre, où elle ne fait pourtant que longuement souffrir avant de s’en enfuir. Finalement cette personnalité faible puisera en elle suffisamment de courage de revenir sauver la secte in extremis de son autodestruction programmée, au prix de sa propre vie. Pendant le dernier tableau Blanche de la Force extirpe une à une de leur boîte toutes ses ex-colocataires, trébuchantes et toussantes, puis retourne une dernière fois dans le bâtiment… qui explose. Un nuage de fumée s’échappe alors vers les cintres (joli effet d’éclairage), sous le regard blasé d’un public de choristes tenu à distance par un périmètre de sécurité…


Le problème majeur dans cette affaire est que Tcherniakov remplace un excellent livret d’opéra, dont Poulenc s’est imprégné au point de faire coïncider minutieusement sa musique avec chaque détail dramatique, par une histoire fumeuse qui ne tient pas debout. A moins de ne pas connaître l’ouvrage du tout (ce qui est éventuellement possible à Munich), on ne peut que passer la soirée à comptabiliser les incohérences de la production. Le pire étant atteint par cette scène finale absurde où le nombre de voix chantées décroît progressivement dans la partition alors que sur le plateau le nombre de rescapées augmente en sens inverse, et où l’on entend périodiquement tomber la guillotine, devenue une sorte d’instrument à percussion dérisoire dont le son ne correspond plus à rien de concret. Mais bien d’autres stupidités pullulent encore dans ce travail, discordances agaçantes entre ce que l’on voit et le texte que l’on écoute.


Un résultat clair en tout cas : ces Carmélites n’émeuvent pas souvent, et même achoppent là où se situe l’essentiel du projet (le traitement monotone de la personnalité de Blanche, silhouette en permanence apeurée et recroquevillée qui ne sait qu’ouvrir périodiquement une bouche énorme pour pleurer). Ajoutons qu’au milieu de la grande scène vide du Nationaltheater, l’omniprésente petite véranda est tapissée d’un fin grillage qui permet de voir ce qui se passe à l’intérieur mais étouffe beaucoup les voix, et que ses nombreux montants s’interposent comme autant de poutres gênantes. Bien que placé en plein milieu du parterre on n’a quasiment rien vu de Madame de Croissy au parloir, assise sur une chaise placée juste dans l’axe de l’une de ces poutres. Même problème au début de l’acte II : Sœur Constance masquée par une poutre, Sœur Blanche masquée par une autre… Tcherniakov étant du reste coutumier du fait : sa Khovantchina munichoise et son Joueur berlinois puis scaligère pâtissaient déjà d’un problème du même ordre, cette fois latéralement, avec une pléthore de logettes venant gêner la vision voire la propagation du son. Signalons aussi un découpage inepte, avec un seul entracte, juste après le tableau de la Nouvelle Prieure. Somme toute on est en train de dresser le constat d’une catastrophe pénible, que l’on ne peut cautionner que sous réserve d’une acculturation de longue date au système idéologiquement dictatorial du Regietheater, ou plus vraisemblablement d’une totale ignorance de ce que les Dialogues des carmélites sont réellement.


Soulignons les mérites d’une distribution internationale vocalement compétente, dont émergent prioritairement les français et les bons francophones (le Marquis de la Force d’Alain Vernhes, le Chevalier de Bernard Richter, la parfaite Sœur Constance d’Hélène Guilmette). En revanche la mauvaise articulation d’autres titulaires les disqualifie (La Nouvelle Prieure incompréhensible de Soile Isokoski) ou rend leur composition excessivement brouillonne (Susanne Resmark en Mère Marie de l’Incarnation, au demeurant impressionnante physiquement et vocalement). Mention particulière pour Felicity Palmer, bouleversante Première Prieure, aux moyens vocaux certes rauques mais encore formidablement efficaces. En fosse Kent Nagano fait sonner puissamment un orchestre dont Poulenc n’est pas la spécialité (certains pupitres paraissent mal à l’aise, dont un cor anglais en perdition) et ferme les yeux sur le massacre scénique avec une diplomatie qui confine à la passivité.



Laurent Barthel

 

 

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