About us / Contact

The Classical Music Network

Salzburg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

La mort d’Orphée

Salzburg
Grosses Festspielhaus
07/31/2010 -  et 3, 7, 13, 19*, 21, 24 août
Christoph Willibald Gluck : Orfeo ed Euridice
Elisabeth Kulman (Orfeo), Genia Kühmeier (Euridice), Christiane Karg (Amore)
Chœur de l’Opéra d’Etat de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Riccardo Muti (direction)
Dieter Dorn (mise en scène)


G. Kühmeier, E. Kulman (© Hermann und Clärchen Baus)


« Du conflit entre Dieu et l’homme naît la tragédie » : cette phrase de l’écrivain autrichien Michael Köhlmeier sert cette année de fil conducteur au festival. Un festival qui fête ses quatre-vingt-dix ans, sans éclat particulier – les quatre années du mandat de Jürgen Flimm, appelé à la Staatsoper de Berlin, n’auront, de toute façon, guère marqué les esprits. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette mode de la thématique, à laquelle succombent tant d’institutions. Avait-on besoin de cela pour programmer l’Orphée de Gluck, Don Giovanni, Norma, Roméo et Juliette de Gounod, Elektra, Lulu et la création mondiale du Dionysos de Wolfgang Rihm, « le » compositeur du festival, d’après les Dithyrambes pour Dionysos de Nietzsche ? Ou, côté théâtre, Œdipe à Colone ou Phèdre de Racine ? Salzbourg, de toute façon, reste fidèle à lui-même. La Philharmonie de Vienne assure la plupart des opéras et quelques concerts symphoniques, celle de Berlin donne le concert de clôture. Orchestres, solistes, chanteurs sont toujours aussi prestigieux : difficile de trouver une place pour entendre Riccardo Muti, Anna Netrebko ou Edita Gruberova, Maurizio Pollini ou Evgeny Kissin. Certains se trouvent aussi à l’aube d’une carrière déjà brillante : le Canadien Yannick Nézet-Séguin retrouve Roméo et Juliette, où il s’était fait remarquer il y a deux ans, et se voit confier – ni plus ni moins – Don Giovanni. Les programmes, pour autant, sortent parfois des sentiers battus : Ingo Metzmacher dirige Les Choéphores, Bertrand de Billy Jeanne d’Arc au bûcher, Krystian Zimerman et le Quatuor Hagen jouent, à côté du Quintette de Schumann, celui de Grazyna Bacewicz. Proposer toute une série de « Brahms-Szenen », avec, par exemple, la transcription du Requiem pour piano à quatre mains associée au Quinzième Quatuor de Chostakovitch va-t-il forcément de soi ? L’ère Karajan, marquée d’ailleurs par d’inoubliables moments, est bel et bien révolue. Après les audaces parfois provocatrices de Gérard Mortier, le festival semble chercher l’équilibre entre la tradition et la modernité, parfois écartelé entre les deux : des années-lumière séparent l’Orphée de Dieter Dorn du Don Giovanni de Claus Guth et les distributions ne sont pas toujours à la hauteur des œuvres proposées, suscitant des bouffées de nostalgie chez les habitués du festival.


L’opéra de Gluck, justement, présenté dans sa mouture viennoise en italien, s’adressait aux nostalgiques des temps anciens – il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’ils n’aient pas aimé la version de concert donnée par John Eliot Gardiner au Manège aux rochers en 1990, avec le contre-ténor Derek Lee Ragin. Le chef italien, à Salzbourg, a un peu pris la place de Karajan : son nom suffit à remplir la salle du grand Festspielhaus – et les caisses – alors qu’on aurait plutôt vu l’opéra de Gluck au Manège des rochers ou dans la Haus für Mozart. Or Karajan avait, à la tête du même orchestre, donné Orfeo ed Euridice, qu’il avait charcuté à son usage, en 1959. Muti marche sur ses brisées : même si les « baroqueux » ont depuis renouvelé les modes d’interprétation, il ignore superbement leur travail. A ceci près que son prédécesseur donnait une formidable leçon de théâtre, dirigeant une vraie tragédie en musique. Du coup, on lui passait tout : les coupures, les tempos, l’effectif… Muti, lui, nous délivre, d’un train de sénateur, une impeccable leçon de classicisme anémié – encore aurait-il, après la première, gagné dix minutes sur l’ensemble ! C’est lisse, c’est beau, c’est mort... et ça dure, sans entracte, une heure trois quarts. On ne reconnaît plus celui qui, dans le même lieu, a empoigné Ivan le terrible. Même la Philharmonie de Vienne semble s’ennuyer dans ce cérémonial figé et s’assoupir dans la rondeur soyeuse de ses sonorités – la partie orchestrale de « Che puro ciel ! », évidemment... Le chœur ne paraît plus concerné. Voilà où le bât blesse, alors qu’il y a place pour tout le monde : s’il possède évidemment Minkowski, le discophile n’a jeté ni Karajan ni Solti. Fallait-il de surcroît s’en tenir à la version de Vienne et nous priver, par exemple, de l’Air des Furies et de « Cet asile aimable et tranquille » ? S’il y avait au moins une distribution d’exception, comme en 1959, la chose passerait mieux. La jeune Autrichienne Elisabeth Kulman, qui a le vent en poupe et s’est déjà produite à la Staatsoper de Vienne – Fricka et Waltraute, s’il vous plaît –, chante proprement, d’une voix homogène et bien timbrée, mais ne montre aucune imagination, échouant du coup à donner chair au personnage, très loin du grand style tragique, avec un « Che faro » très neutre. Genia Kühmeier, qu’on a toujours plaisir à retrouver, incarne davantage Eurydice, ne peut à elle seule porter la soirée sur ses épaules, pas plus que l’Amour charmant et léger de Christiane Karg.


Muti est également allergique au Regietheater. La mise en scène de Dieter Dorn, un vétéran des scènes allemandes, ne peut que lui convenir, par sa plasticité et sa placidité. Là encore, rien n’empêche de rester classique et de donner une leçon de vrai théâtre. Le metteur en scène ne sort pas de la convention et dirige à peine les chanteurs, aussi peu soucieux que le chef de tension dramatique. Le chœur va et vient sur la scène, on rampe sur le sol des enfers, Eurydice disparaît dans une trappe, ne laissant à Orphée que sa robe, objet fétiche avec lequel il tentera de s’étrangler. Les effets de mise en abyme – les spectateurs félicitant Orphée – relèvent d’une modernité rebattue, comme le ballet final, très agité, où l’on voit le quotidien des ménages, jusqu’à un couple homosexuel, entre câlins et engueulades, histoire de montrer ce qui attend Orphée et Eurydice et de mettre à distance une fin un peu trop artificiellement heureuse – éternels recommencements de la vie conjugale dans un espace symboliquement circulaire. L’Amour sortant d’un concile de dieux vêtus un peu comme le Pacha Sélim ferait plutôt sourire. On ne retiendra pas davantage les costumes modernes ou les décors abstraitement épurés de Jürgen Rose, avec ces Champs-Elysées qui ressemblent à un bord de Riviera baignant dans une lumière azurée. On a voulu, semble-t-il jouer sur les couleurs : vapeurs jaunes des enfers, où Orphée descend par une échelle et où Eurydice se reflète dans un miroir, rouge de sa robe, etc. Bref, c’est propre et c’est lisse, moins indigne qu’indigent. Surtout, ça ne fait pas un Orphée de Gluck. Mais ça rassure et ça plaît.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com