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Dans la paix du soir

Aix-en-Provence
Domaine du Grand Saint-Jean
07/04/2010 -  et 5, 8, 9, 12, 13, 15, 17 juillet
Oscar Strasnoy : El regreso
Job Tomé/Hugo Oliveira* (Nestor Fabris), Mariana Rewerski*/Amaya Dominguez (Marta)
Ensemble Musicatreize, Quatuor Face à Face (Hélène Colombotti et Elisa Humanes, percussion, Mara Dobresco et Victoria Harmandjeva, piano), Thomas Callaux (trombone), Matthias Champon (trompette), Roland Hayrabedian (direction)
Thierry Thieû Niang (mise en scène)



(© Elisabeth Carecchio)


Le festival d’Aix s’ouvre aussi à la création, associé à l’Ensemble Musicatreize pour le dernier des sept contes musicaux commandés par Roland Hayrabedian à des compositeurs différents – et édités sous forme de livres-disques par Actes Sud. Un retour, de l’Argentin Oscar Strasnoy (1970), voit ainsi le jour dans la fraîcheur nocturne du Domaine du Grand Saint-Jean, à quelques kilomètres de la ville, que Stéphane Lissner avait investi en 1999, pour une Flûte enchantée confiée aux jeunes talents de l’Académie du festival.


Pour le texte, un autre Argentin, le romancier et essayiste Alberto Manguel (1948) a réduit son roman aux dimensions d’un livret d’opéra d’une heure. Le héros – pas très héros, à vrai dire ! – revient dans son pays, dont il s’est exilé à l’époque de la dictature. S’il y retrouve des figures connues, de son ancien professeur à la femme aimée, plus rien n’est comme avant. Nestor Fabris, accusé d’abandon par les siens, est désormais exilé de lui-même, sans que l’on sache le sort qui lui est réservé : il a arraché l’insigne lui permettant de quitter de nouveau le pays. Bref, il n’est pas sûr qu’il revienne de l’enfer, ou plutôt de Dis – « Dis comme disgrâce, I comme infamie, S comme sombre ». Cet enfer vient du chant VI de L’Enéide, Didon devenant Marta, de la Divine Comédie aussi. Initiation ? Nestor, en tout cas, n’en sort pas régénéré, ne comprenant pas l’impossibilité du retour. Le latin est d’ailleurs une des trois langues du texte, avec le français, celle de l’exilé, et l’espagnol, celle des compagnons restés au pays. Un beau sujet, dont le romancier ne tire guère de parti satisfaisant, sans doute trop contraint par la brièveté obligée, donnant souvent dans la facilité – personnages parfois grossièrement archétypaux, comme le bourreau appelé « le Scieur » - plus qu’il ne suggère l’horreur de la dictature du sinistre général Videla et les tragiques dilemmes qu’elle imposait aux consciences. Souvent traité, le sujet constituait un défi : Alberto Manguel ne l’a pas relevé. On l’a vu avec Amin Maalouf : les romanciers devraient parfois se méfier de l’opéra.


La musique ? Déjà auteur de plusieurs opéras, Oscar Strasnoy, qui, à Paris, a étudié avec Levinas, Grisey et Reibel, et avec Hans Zender à Francfort, est artisanalement efficace, moins novateur qu’héritier. Ces percussions flamboyantes, ces retours de la tonalité, notamment chez Marta, cette écriture récitative, en particulier pour Nestor, cette exploitation des tessitures extrêmes du chœur, parfois traité comme s’il chantait des madrigaux, tout cela montre d’abord de multiples assimilations, de Monteverdi à Bartók, Stravinsky ou Messiaen, cités par le compositeur lui-même – on pourrait ajouter Jolivet ou Ligeti. « Ancêtres choisis », qui ont inspiré l’effectif de cet « opéra de chambre » : deux percussionnistes et deux pianistes, un trombone et une trompette, tous mis à rude épreuve par une écriture volontiers virtuose, qui peut aussi devenir ascétique. A défaut d’être conquis, on ne s’ennuie jamais, le compositeur sachant créer des ambiances, doser ses effets et les adapter au texte – si celui-ci était plus fort, peut-être la musique le serait-elle aussi.


La réalisation bénéficie de tout le talent de Roland Hayrabedian, infatigable défricheur, qui ne laisse jamais retomber la tension dramatique alors que la partition peut paraître parfois un peu séquentielle. Les instrumentistes sont remarquables de précision et d’engagement, comme les solistes de Musicatreize. L’écriture vocale de Nestor, en revanche, appellerait une voix plus corsée que celle de Hugo Oliveira, qui, malgré sa grande musicalité, ne joue pas assez le jeu de l’opéra, tandis que Mariana Rewerski, pas moins stylée, peine un peu à assumer les tensions du rôle de Marta. Avec des moyens réduits au minimum, Thierry Thieû Niang, ancien assistant de Patrice Chéreau, construit une sorte de rituel funèbre épuré, où les personnages semblent errer, tels des fantômes, à travers un passé auquel ils ne peuvent échapper. Les lumières vacillantes d’Eric Soyer suffisent à animer la scène et le mur de la bastide, créant une impression d’incertitude et de vertige.


La soirée commençait par un voyage en trois étapes – d’un quart d’heure environ – à travers le domaine. Voyage à travers la douleur de l’abandon, celle qui se trouve aussi au cœur d’Un retour. Dans la « prairie des madrigaux », Amaya Dominguez, soutenue par le théorbe de Dolores Cosoyas, chante d’une belle voix de mezzo des passions et tourments amoureux mis en musique par Monteverdi et Barbara Strozzi, tandis que le jour décline doucement et que l’air se rafraîchit peu à peu. On passe ensuite dans la « clairière des contes », où Dominique Bluzet, directeur du Gymnase à Marseille et du Jeu de paume à Aix, ainsi que du Grand Théâtre de Provence, lit – de façon bien quelconque, sans parler de la prononciation de « Charon » – un texte de la poétesse argentine Silvina Ocampo sur la réversibilité du ciel et de l’enfer, puis la scène de la rencontre entre Didon et Enée aux enfers. On s’achemine enfin vers le « Sous bois », pour regarder « La primultime rencontre », solo conçu et dansé par Michèle Noiret, moment très fort où le corps, sur une scène de bois circulaire, murmure ou crie dans le silence, interrogeant, prenant à témoin, bousculant le spectateur par l’intensité du regard – dans les dernières minutes, seulement, Music for a While, de Purcell, se mêle doucement aux bruits de la nature.



Didier van Moere

 

 

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