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Salle Favart, le 28 avril 1902

Paris
Opéra Comique
06/14/2010 -  et 16, 18, 22*, 24, 29 juin 2010
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande

Phillip Addis (Pelléas), Karen Vourc’h (Mélisande), Marc Barrard (Golaud), Markus Hollop (Arkel), Nathalie Stutzmann (Geneviève), Dima Bawab (Yniold), Luc Bertin-Hugault (Un médecin), Pierrick Boisseau (Un berger)
accentus, Pieter Jelle de Boer (chef de chœur), Orchestre révolutionnaire et romantique, John Eliot Gardiner (direction musicale)
Stéphane Braunschweig (mise en scène et scénographie), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Marion Hewlett (lumières)


(© Elisabeth Carecchio)


Pelléas comme à son premier jour, tel est le parti pris de John Eliot Gardiner, pour sept représentations de ce spectacle coproduit avec l’Opéra de Sydney et en association avec le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française). Non seulement le «drame lyrique» de Debussy retrouve la salle Favart où il fut créé et où il a été représenté depuis lors près de 450 fois, mais on peut compter sur le chef anglais pour tenter de restituer sa facture originelle, comme il le fait par ailleurs dans les répertoires baroque, classique et romantique. Dès 1986 à l’Opéra de Lyon – un spectacle qui fut ensuite diffusé en DVD – il s’était efforcé de revenir aux «intentions originelles du compositeur», sans les coupures et corrections dont la plupart furent inspirées, selon lui, par de mauvaises raisons. Aujourd’hui, regrettant qu’aucune édition Urtext d’une œuvre aussi fondamentale n’ait encore été publiée, il se fonde sur le travail qu’il a effectué voici près d’un quart de siècle, mais en se fixant cette fois-ci pour objectif de reconstituer la version entendue à l’occasion de la répétition générale du 28 avril 1902, deux jours avant la première. Il conserve donc les interludes «longs», qu’il avait écartés jusqu’alors, et rétablit les coupures que la censure avait imposées dans la scène entre Golaud et Yniold à la fin du troisième acte.


La minutie de Gardiner va jusqu’à respecter les souhaits exprimés par Debussy pour l’agencement des pupitres dans la fosse (cordes faisant «cercle autour des autres», bois «dispersés»). Et, last but not least, alors qu’il a précédemment toujours dirigé Pelléas à la tête de formations «modernes», tant à Lyon qu’à Edimbourg et à Londres, il a choisi à l’Opéra Comique de le donner avec son Orchestre révolutionnaire et romantique, c’est-à-dire sur instruments d’époque. Le résultat se révèle toutefois quelque peu décevant. Bien sûr, avec 34 cordes en boyau et sans vibrato, il cultive une transparence tout sauf wagnérienne, conforme au caractère français d’une musique qu’il dit situer dans la filiation d’Hippolyte et Aricie et des Troyens. De même, les vents paraissent plus typés, tels ces cors – que les deux listes des musiciens mises à disposition du public qualifient respectivement de «cornes» (allusion à Golaud, comme le fait plaisamment observer un spectateur?) et de «cornets» – dont la sonorité est à la fois plus douce et plus pincée. Surmontant une acoustique qui ne fait pas de cadeaux, l’orchestre tend parfois à couvrir excessivement les voix mais s’en sort globalement avec les honneurs. En revanche, la direction, assez lente, manque sinon de contrastes, du moins de sensualité, de fluidité et de sens dramatique, même si elle se trouve ainsi à l’unisson de la conception de Stéphane Braunschweig, non exempte de froideur.


Crédité à la fois de la mise en scène et de la scénographie, il reste fidèle à un style d’une grande sobriété, déclinant les noirs et gris sur lesquels les teintes vives n’en ressortent que plus nettement. Les volumes immenses des scènes d’intérieur sont entièrement ceints de très hautes persiennes sombres dont les vantaux, grâce aux éclairages finement réglés par Marion Hewlett, laissent parfois filtrer la lumière du dehors mais parviennent en même temps, comme des tableaux de Soulages, à capter celle du dedans. A l’extérieur, un plan incliné dont la forme évoque une huître et dont les dessins figurant un léger relief au sol peuvent aussi bien suggérer des vagues que des bancs de sable ou même les cercles concentriques d’un tronc d’arbre. Une cavité y est visible côté jardin: lorsqu’elle ne figure par la fontaine, elle est occupée par un gigantesque phare surmonté d’une lumière rouge, qui peut aussi symboliser la tour du château. En outre, une version miniature de ce plan incliné et de son phare apparaît parfois au premier plan côté cour. Quant au peu de mobilier requis, il est en harmonie avec cette austérité d’ensemble. Un peu daté dans sa manière «nouveau Bayreuth», le dispositif n’en ménage pas moins des images aussi belles que dépouillées, malgré un dernier acte assez lugubre sous des lueurs verdâtres.


La direction d’acteurs est très travaillée au point d’en sembler artificielle, mais elle témoigne d’une réflexion approfondie sur les personnages: Mélisande en femme-enfant tour à tour apeurée, énigmatique et mutine qui jette délibérément et joyeusement sa bague dans l’eau, face à un Golaud faible, humain, jamais dans la rodomontade ou dans l’hystérie, qui pousse les amants dans les bras l’un de l’autre avant de tuer Pelléas. Une lanterne remplacée par une torche électrique, Arkel en fauteuil roulant (d’où il peut cependant se lever), Golaud arrachant sa perfusion une fois rétabli de son accident de chasse: autant d’éléments qui situent l’action au XXe siècle, les discrets costumes de Thibault Vancraenenbroeck confirmant un ancrage autour de 1950, à l’image de la longue blouse du médecin. Bref, aucune référence aux décors et costumes de la création: on ne s’en plaindra évidemment pas, mais voilà qui confirme que cette «authenticité» invoquée avec une autorité autant esthétique que musicologique pour la partition proprement dite est un concept à géométrie variable, puisqu’à notre époque, nul, hormis Benjamin Lazar (Le Bourgeois gentilhomme, Cadmus et Hermione), ne songe à l’appliquer en matière de mise en scène.


Mais cette production l’emporte avant tout par une distribution vocale d’un niveau exceptionnel. En Pelléas, Phillip Addis (32 ans) est non seulement physiquement crédible avec sa fraîcheur adolescente, mais confirme les qualités de son récent Comte des Noces de Figaro à Toronto (voir ici): précis mais aussi puissant quand il le faut, le baryton canadien maîtrise à la perfection la tessiture si particulière du rôle, grâce à des registres impeccablement soudés jusqu’à des aigus idéalement lyriques. Karen Vourc’h (34 ans), qui a déjà été Mélisande à Tours en mars 2008 (voir ici), possède elle aussi l’atout de la jeunesse, sans compter un timbre d’une pureté éclatante et une réelle personnalité. Marc Barrard incarne un Golaud tout en nuances, avec une remarquable diversité d’expressions, grâce à la souplesse de sa voix, tantôt veloutée, tantôt blême. Nathalie Stutzmann est égale à elle-même en Geneviève, livrant des graves volumineux et justes. L’Arkel plus flageolant que nature de Markus Hollop ne pontifie certes pas, mais souffre d’une projection insuffisante et d’une intonation hasardeuse: plutôt que la basse allemande, on eût préféré entendre Luc Bertin-Hugault, excellent dans la trop brève partie dévolue au médecin.


Le site de l’Orchestre révolutionnaire et romantique
Le site de Phillip Addis
Le site de Karen Vourc’h
Le site de Marc Barrard
Le site de Nathalie Stutzmann



Simon Corley

 

 

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