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Les limites du possible

Paris
Salle Pleyel
05/22/2010 -  et 27 (Le Perreux-sur-Marne), 28 (Vitry-sur-Seine), 29 (Saint-Michel-sur-Orge) mai 2010
Alexandre Borodine : Le Prince Igor: Danses polovtsiennes
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Concerto pour violon, opus 35
Modeste Moussorgski : Kartinki s vystavki (orchestration Maurice Ravel)

Ann-Estelle Médouze (violon)
Orchestre national d’Ile-de-France, Yoel Levi (direction)


Y. Levi (© Carl Vandervoort)


L’année France-Russie aura suscité des concerts plus originaux que celui proposé à quatre reprises, dans la capitale puis dans le Val-de-Marne et en Essonne, par l’Orchestre national d’Ile-de-France sous le titre «Chère Russie,»: la virgule dénote une formule d’appellation – certainement celle d’une déclaration d’amour – mais ces trois incontestables «tubes» apparus à la même époque (1874-1879) n’ont pas complètement fait salle comble à Pleyel, probablement en raison du week-end de Pentecôte. Il ne faut pourtant jamais rater la formation francilienne, même dans ce grand répertoire a priori sans surprise, et surtout quand elle se produit avec Yoel Levi, qui en est le directeur musical depuis 2005. C’est également l’occasion de découvrir un nouveau premier violon supersoliste, le Vénézuélien Alexis Cárdenas (né en 1976), qui a fait une partie de ses études à Paris (avec Olivier Charlier, Jean-Jacques Kantorow et Roland Daugareil), où il s’est ensuite fait connaître en remportant le quatrième prix du concours Long-Thibaud en 1999.


Dans les «Danses polovtsiennes» du Prince Igor (1879), le pire est toujours à craindre: pas avec Yoel Levi, qui, sans forcer, dose les effets, privilégie l’élégance et le raffinement sur la sauvagerie et la brutalité, peut-être même un tantinet au détriment de l’élan. Le programme met ensuite en vedette Ann-Estelle Médouze (née en 1979), l’autre supersoliste (depuis 2004), elle aussi récompensée au Long-Thibaud, où elle obtint en 2002 le prix Serge Den Arend couronnant la meilleure interprétation de l’œuvre de Mozart: heureuse initiative, car la violoniste française, qui fut autrefois leader du Quatuor Alma, impose dans le Concerto (1878) de Tchaïkovski sa puissance, sa belle sonorité et sa technique, solide malgré quelques traits imprécis. Eperdument lyrique, son interprétation cajole et enjôle le public, le tire par la manche avec de séduisantes glissades, et s’avance avec assurance sur le magnifique tapis rouge que lui déroulent ses camarades de l’orchestre. La Sarabande de la Deuxième partita de Bach fait une nouvelle fois office de bis – page certes admirable et de nature à laisser s’exprimer toutes sortes de tempéraments. Mais il faudra quand même que les violonistes songent un jour à trouver d’autres idées: ne serait-ce que cinq jours plus tôt, Anne-Sophie Mutter avait fait le même choix (voir ici) et, comme son aînée, Ann-Estelle Médouze prend l’initiative de faire lever les musiciens pour les associer l’ovation des spectateurs.


Dans une lettre datée de 1877, citée parmi les textes sélectionnés avec toujours autant de pertinence par Corinne Schneider, Tchaïkovski relevait que «les Français ne sont pas aussi hardis dans leur recherches d’innovations que nos novateurs à nous, mais en revanche ils ne dépassent pas les limites du possible, comme Borodine et Moussorgski». Ils exercèrent toutefois une intense fascination sur la génération suivante de compositeurs français, notamment sur Ravel, qui orchestra en 1922 les Tableaux d’une exposition (1874). Yoel Levi prend des partis parfois surprenants, mais au moins ne peut-il être suspecté de routine: la lenteur de la première «Promenade» (certes marquée «senza allegrezza»), de la partie centrale de «Tuileries», voire de «Limoges. Le marché» (comme pour faciliter la réussite de la mise en place), de même que le caractère très appuyé du début de «Samuel Goldenberg et Schmuyle», surprennent quelque peu, alors même que «Catacombes» ne traîne pas du tout. Mais ces quelques écarts s’inscrivent dans une conception vivante et contrastée, dès «Gnomus», tour à tour tranchant et inquiétant, et «Il vecchio castello», assez allant, dans l’esprit d’une chanson ancienne. Variant le caractère des différentes «Promenades» et opposant l’épaisseur de «Bydlo» à la transparence du «Ballet des poussins dans leurs coques», le chef israélien atteint les sommets dans une fantastique – à tous les sens du terme – «Cabane sur des pattes de poule» et une «Grande porte de Kiev» soigneusement édifiée, ménageant sans pesanteur un crescendo toujours plus éclatant. L’orchestre ne faillit à aucun moment dans ces pièces où il peut particulièrement mettre en valeur sa cohésion mais aussi sa virtuosité, à commencer par l’impeccable trompette solo de Yohan Chetail.


Bref, une soirée dont chacun regrette qu’elle s’achève. Cela tombe bien, car l’orchestre et son chef vont s’attacher sinon à dépasser eux aussi «les limites du possible», du moins à aller bien au-delà des usages, en offrant trois bis qui demeurent dans le même cadre chronologique (les années 1870). Mais après un retour à Tchaïkovski, avec la «Danse hongroise (Czardas)» du troisième acte du Lac des cygnes (1877), le cadre géographique change, grâce à deux arrangements tirés de Bizet: la «Farandole» finale de la Seconde suite de L’Arlésienne (1872) puis la «Danse bohémienne» qui conclut la Seconde suite de Carmen (1875). Toutes les bonnes choses ont une fin et il faut donc hélas rentrer chez soi, alors que tout le monde serait encore bien resté: certains orchestres parisiens sont sans doute «meilleurs» sur le papier, mais peu donnent autant de plaisir et, pour tout dire, de bonheur.


Le site d’Alexis Cardenas



Simon Corley

 

 

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