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Deux chefs-d’œuvre négligés

Paris
Salle Pleyel
04/16/2010 -  
Karol Szymanowski : Concerto pour violon n° 1 op. 35
Josef Suk : Asraël, Symphonie pour grand orchestre en ut mineur op. 27

Christian Tetzlaff (violon)
Orchestre philharmonique de Radio France, Jakub Hrůsa (direction)


J. Hrůsa (© Hanya Chlala/Arena Pal)


Début des vacances ? Enième méfait du star system ? Défaut de communication ? Szymanowski et Suk n’ont pas attiré un public nombreux à la salle Pleyel. Il y a beaucoup à faire à Paris dans le domaine de la communication musicale. Certes Christian Tetzlaff n’est pas le plus médiatisé des violonistes et l’on ne connaît pas encore très bien le jeune Jakub Hrůsa – né la même année 1981 que le très médiatique, pour le coup, Gustavo Dudamel –, pourtant jeune chef associé au Philhar’ en 2005-2006, aujourd’hui directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Prague. Et les chefs-d’œuvre programmées, Premier Concerto pour violon de Szymanowski ou, surtout, Symphonie Asraël de Suk, « coincé », comme Novák, entre Dvorák et Janácek, ne font pas partie des tubes du répertoire. C’est triste, mais c’est ainsi – parle-t-on davantage du petit-fils de Suk, également prénommé Josef, l’un des meilleurs violonistes de sa génération, qui a gravé tant de beaux disques pour Supraphon ?


Dommage que n’ait pas encore paru en France le disque Deutsche Grammophon où Pierre Boulez et la Philharmonie de Vienne accompagnent Tetzlaff dans ce Premier Concerto de Szymanowski - couplé avec la Troisième Symphonie « Chant de la nuit » : cela aurait peut-être donné à réfléchir. Le Concerto constitue d’ailleurs le pendant de la Symphonie, composée aussi en 1916, plus poème que concerto à proprement parler : deux Chants de la nuit, d’une nuit déployant ses mystères dans la sensualité de ses parfums orientaux, où l’orgie dionysiaque initie à la transcendance. C’est là où le violoniste allemand ne tient pas tout à fait les promesses de cet Opus 35, malgré une ligne superbement tenue, une sonorité d’une grande pureté, un jeu impeccable et concentré, sans parler d’une technique qui vient à bout d’une partie écrite pour et avec le grand Kochanski. Le lyrisme éperdu et grisant de la partition lui échappe, l’excessive concentration empêche l’abandon, l’épuration du son nuit à la diversité des couleurs : du superbe violon, pas vraiment celui du Premier Concerto de Szymanowski. Si l’orchestre manque également un peu de sensualité et de mystère, la direction, à défaut d’être incandescente, séduit par le dosage et la clarté analytiques des plans sonores, rendant pleine justice à la dimension polyphonique de l’écriture, très pensée dans sa façon de concevoir la continuité de l’œuvre – une des plus grandes réussites de Szymanowski sur le plan formel. Le violoniste convainc beaucoup plus dans la Mélodie populaire de Bartók donnée en bis, aux nuances magnifiques.


Cinq mouvements, deux parties, une heure de musique superbe que des chefs prestigieux tels Vladimir Ashkenazy ou Evgeny Svetlanov n’ont pas réussi à populariser par leurs enregistrements, pour ne rien dire de Tchèques comme Václav Neumann : achevée en 1906, la Symphonie Asraël de Suk, hommage à épouse et à son beau-père Dvorák, ne cache pas ses ambitions, sans pour autant tomber dans le gigantisme boursouflé. Cette sombre fresque porte le nom de l’ange de la mort dans la tradition hébraïque, dont le thème cyclique constitue le fondement structurel. Si l’on peut souhaiter un orchestre plus « Mitteleuropa » pour une telle partition, aux sonorités plus généreuses, aux bois plus fruités et aux cordes plus veloutées, Jakub Hrůsa fait ici preuve d’une maîtrise étonnante. Comme dans Szymanowski, l’ensemble ne sonne pas compact ; la direction, toujours aussi construite, très soucieuse des voix médianes, maintient jusqu’à la fin une implacable tension, concilie le lyrisme et la clarté, impressionnant dès le début par une violence nue, une noirceur désespérée dignes de Chostakovitch, d’une grandeur tragique à la fin du premier mouvement. Le chef dirige ensuite l’Andante comme un lamento résigné, sur lequel la note lancinante de la trompette et de la flûte jette un voile funèbre, avant que le Scherzo, à la fois fantastique et sarcastique, fasse de nouveau penser à Chostakovitch et révèle une certaine proximité avec le Mahler de la Septième Symphonie, à peine antérieure. Malgré l’enchaînement des mouvements, cette première partie se caractérise par une grande diversité d’atmosphères, que la direction, rien moins que décousue, gère magnifiquement. Elle échappe ainsi au piège tendu par le finale, dont les dernières mesures rappellent celles du Zarathoustra de Strauss, le mouvement le plus difficile à dominer à cause de ses ruptures, de ses accès de violence : le chef tchèque le structure parfaitement, après un Andante très intense dans le lyrisme, où le violon solo chante l’amour du compositeur pour la jeune Otilka. L’orchestre, encore une fois, n’est pas le plus idiomatique, mais il a brillamment relevé le défi de ce monumental Asraël, avec une belle homogénéité de ses pupitres.


Cette « Symphonie pour grand orchestre » s’inscrit dans une tétralogie, écho de l’itinéraire intérieur d’un compositeur méconnu, l’un des meilleurs représentants de l’école tchèque : après Asraël viendront Conte d’été, Maturation et Epilogue. Autant d’occasions de réinviter Jakub Hrůsa... en faisant ce qu’il faut pour la cause de Suk.



Didier van Moere

 

 

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